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Une analyse des réponses américaines à la crise de 2007/2008

Une analyse des réponses américaines à la crise de 2007/2008Temps de lecture : 11 minutes

Différentes options politico-économiques ont été proposées ou mises en œuvre pour éviter que la crise de 2007/2008 ait les mêmes répercussions dramatiques que celle de 1929. Mark Kesselman en propose un panorama et nous fait part de son analyse des rapports de force politique actuels.

Depuis la crise des années 1930, la crise financière et économique de 2008 a été la plus grave, la plus profonde, et la plus durable aux États-Unis (et ailleurs). Même si elle a eu des impacts considérables, ces derniers ont néanmoins été moins importants que ceux qui ont découlé de la crise des années 1930 qui a vraiment ébranlé le système économique et politique en place. Bien sûr, l’Allemagne et l’Italie ont été plus touchées que les États-Unis. Mais, il faut remonter à la guerre civile du XIXe siècle pour trouver un précédent d’une ampleur comparable aux U.S.A. La crise de 2007/2008 n’a pas été d’une gravite semblable à la crise des années 30 aux États-Unis. À la différence de cette dernière, elle n’a pas entraîné un tournant politico-économico-culturel fondamental. Elle a sans doute contribué à l’élection de Barack Obama. Bien que sa présidence ait différé considérablement de celle de son prédécesseur, il n’y a pas eu de rupture comparable à celle qui a marqué la présidence de Franklin Delano Roosevelt par rapport à Herbert Hoover.

L’objectif de cette contribution est de présenter les trois réponses et demi politico-économiques à la crise de 2008, de proposer une brève analyse de l’essor de la gauche comme du déluge que va entraîner l’élection de Donald Trump en 2016.

Panorama des réponses politico-économiques

1) L’approche keynésienne-centriste – type social-démocrate/centre-gauche – a été proposée par Obama après son élection en 2008 au début de la crise économique. Au regard du virage à droite amorcé depuis les années 1970 par le Parti démocrate américain (Jimmy Carter d’abord, qui a dirigé la déréglementation des prix dans les secteurs comme les transports aériens, et puis Bill Clinton, qui a pratiqué la politique de « triangulation »), le New Labour de Tony Blair en Angleterre et le Parti socialiste en France, la politique de relance d’Obama a été assez audacieuse, surtout pendant les deux premières années de sa présidence au cours desquelles il disposait d’une majorité dans les deux chambres du Congrès.

Il faut souligner qu’après les élections de 2010, il n’était plus maître du jeu, le Parti républicain ayant repris le contrôle de la Chambre des Représentants. Pendant le reste de sa présidence, la cohabitation – plutôt dure – avec le Parti républicain a, en effet, bloqué toute nouvelle initiative. Cependant, même pendant les premières années de sa présidence, sa politique n’a été en rien un « New New Deal ». Cela étant dit, elle a néanmoins marqué une importante rupture avec le passé récent.

Les éléments de son programme comprenaient :

(a) un vaste plan de sauvetage financier des grandes banques, compagnies financières, assurances et entreprises industrielles que l’administration démocrate a estimées « too big to fail », c’est-à-dire comme risquant de mettre en péril tout le système économique si elles venaient à faire faillite.

(b) un grand plan de relance, grâce aux dépenses d’infrastructures physiques (routes, ponts), technologiques (le net) et sociales (recherche et développement, éducation, famille, etc.).

(c) la réforme financière Dodd-Frank qui a exigé la séparation entre les banques d’investissement et les banques de dépôt, afin d’empêcher que ces dernières ne prennent trop de risques. Elle a également imposé la surveillance des grandes banques et les a obligées à mettre de côté des réserves financières pour empêcher des faillites à l’avenir.

(d) la grande réforme de santé (ObamaCare) qui est la plus profonde réforme du système de santé entreprise depuis le Social Security Act piloté par Franklin D. Roosevelt.

Bien que ce programme ait été considéré comme trop modéré aux yeux de la gauche et comme gauchiste aux yeux de la droite, ces réformes et ces dépenses ont empêché le pire. Elles ont renversé la courbe descendante de la croissance, et ont apporté quelques avancées modestes dans les domaines financier, économique et social.

À partir de la victoire des républicains aux élections législatives de 2010, la présidence d’Obama a été presque totalement bloquée. Il n’était plus question de lancer des réformes, mais de se cantonner, au mieux, à faire fonctionner l’État. Or, même cela n’a pas toujours été possible en raison de l’opposition farouche des républicains. Ils ont par exemple bloqué les crédits de fonctionnement de l’administration ce qui a eu pour conséquences la fermeture, pendant deux semaines (octobre 2013), de nombreux bureaux d’État et la mise au chômage de 800 000 fonctionnaires.

(2) L’approche de la gauche: Paradoxalement, malgré la crise, la gauche a été affaiblie après 2008 si l’on se place du point de vue du nombre, des forces socio-économiques/politiques et de son impact à l’égard de l’opinion publique. Ce constat s’explique par la lune de miel dont Obama a bénéficié à gauche en tant que premier président afro-américain de l’histoire, mais également en raison de ses compétences, de son talent, de son autorité, et de sa personnalité ; surtout après huit années de présidence Bush. Ces différents facteurs ont renforcé la solidarité à gauche face à l’opposition de la droite à son égard. (Son opposition à la guerre d’Iraq menée par les USA a également pesé).

Le programme de la gauche a essentiellement été un « Obama Plus », c’est-à-dire la préconisation de davantage de dépenses dans tous les domaines.  Il y a eu également des propositions qualitativement plus à gauche comme la nationalisation des plus grandes banques, des compagnies d’assurance et des entreprises d’automobiles.

(3) La droite classique.  C’est l’option idéologique soutenue traditionnellement par le parti républicain : moins d’État, baisse des impôts, surtout pour les riches, priorité à l’équilibre fiscal, déréglementation dans les domaines comme la finance, l’économie, l’environnement, etc. Cette approche a été durcie – c’est-à-dire, renforcée dans un sens plus conservateur et réactionnaire – par Ronald Reagan élu en1980 et 1984, suivi par les deux présidents Bush. Comme déjà précisé, Bill Clinton, élu président en 1992 et réélu en1996, a contribué au renforcement de cette option néo-libérale.

(3,5) L’ultra droite: La droite classique – même dans sa version plus droitière néo-libérale – a été doublée, après 2008, par un mouvement encore plus réactionnaire et dur, du nom de Tea Party. Il s’est mobilisé à partir de 2009 – presque tout de suite après l’entrée en fonction d’Obama quand il a proposé son programme réformiste de sauvetage. Même si les partisans du Tea Party se sont opposés aux républicains classiques qu’ils ont estimé trop modérés, en désignant l’ultra droite comme l’option 3,5, je voudrais souligner comment ce courant s’est implanté dans les terrains traditionnels de la droite, et donc du Parti républicain, et s’en est nourri.

Les partisans du Tea Party se sont opposés aux députés en place du Parti républicain dont ils estiment qu’ils ont « trahi » les principes conservateurs par leur lâcheté, leur laxisme, leurs options politico-idéologiques suspectes et leur mollesse et modération face au danger que représente Obama. Grâce aux fonds colossaux que des milliardaires comme les frères Koch et Sheldon Adelson ont fournis à l’extrême-droite, les rebelles du Tea Party se sont présentés (bien souvent avec succès) face aux députés républicains lors des primaires républicaines de 2009. Cette révolte a modifié la balance en faveur des ultras tant au sein du parti républicain que du Congrès. Les élus républicains plus modérés (de la droite classique) ont suivi le virage à droite de peur de perdre leur place. À la chambre des représentants, les ultras ont, par exemple, obligé John Boehner, chef de file du parti républicain, à laisser la place de « Speaker » (président de la chambre) à Paul Ryan, le chef de file des ultras. L’objectif principal du Tea Party était de bloquer les institutions et les initiatives d’Obama.

Le retour de la gauche

Le virage à droite du parti républicain sous l’influence du Tea party – et par conséquent, de tout l’échiquier politique – comme la volonté de faire échouer Obama pendant la période de cohabitation ont conduit à bloquer et à polariser la situation. Cette polarisation, les actions de la droite (par exemple, le blocage de l’État), les tentatives de démanteler les droits et acquis sociaux ainsi que la persistance de la crise (bien que le pire a été évité) ont contribué, après plusieurs années de la présidence d’Obama, à l’essor de la gauche. Les trois exemples les plus importants sont Occupy Wall Street, Black Lives Matter, et la candidature de Bernie Sanders en 2015. Ces trois mouvements – et beaucoup d’autres au niveau local (par exemple, le mouvement Indivisible, qui organise les actions contestataires partout a l’égard des élus du Parti républicain ; et les mouvements, manifestations, et élections des élus locaux nettement à gauche dans beaucoup de villes) – signifient le retour de la gauche en politique.

Occupy Wall Street (OWS) a démarré en 2011. Ce mouvement s’est inspiré des occupations antérieures, comme celle à l’Université de Californie en 2009-2010 pour s’opposer aux augmentations des frais d’inscription et aux coupes budgétaires ou encore celle des Indignados en Espagne en 2011. OWS a d’abord été un « sit-in » visant à occuper le Parc Zuccotti, tout près de Wall Street. « Nous sommes les 99 pourcent » (contre le 1 pourcent qui sont les plus riches) est devenu son mot d’ordre. OWS a rapidement inspiré plus de 600 autres occupations de lieux publics américains (Chicago, Los Angeles, de nombreuses petites villes) mais aussi quelques centaines d’autres lieux ailleurs dans le monde. Ces occupations ont toutes fini par être dispersées par les forces de police, généralement après avoir fait la une des journaux et des actualités télévisées. Elles ont sensibilisé les américaines aux inégalités flagrantes et à la complicité – si ce n’est pire – de l’État pour les maintenir.

Black Lives Matter (BLM) est un réseau très décentralisé, créé en 2013 après que George Zimmerman, un homme blanc de la Floride, a été relaxé et jugé non-coupable par la justice alors qu’il avait fusillé et tué Trayvon Martin, un jeune noir. Bien que Martin ne portait pas d’arme et qu’il n’avait pas attaqué Zimmerman, la défense de ce dernier était basée sur le fait qu’il avait tiré à cause de la peur et qu’il était donc en situation de légitime défense. BLM s’est beaucoup agrandi en 2014 après deux meurtres d’hommes noirs par des policiers blancs. La cible du mouvement BLM est surtout la violence policière à l’égard des hommes noirs.

La candidature de Bernie Sanders a eu beaucoup de succès pendant les primaires Démocrate de 2015-16 à la grande surprise générale ; Sanders compris. Sénateur de l’État vert et progressiste du Vermont depuis 2007, Sanders s’est affiché socialiste pendant des décennies, quand il était maire, puis député et ensuite sénateur. Depuis qu’il a été étudiant à l’université pendant les années 1960, il a critiqué les défauts du capitalisme aux USA, y compris le pouvoir des grandes entreprises, les inégalités économiques, la dégradation de l’environnement, les deux guerres en Iraq, le système privé de santé, etc. Or, jusqu’à l’annonce de sa candidature à la primaire en avril 2015, son discours est passé presque inaperçu. Son message a ensuite rencontré un très important écho. Malgré l’opposition de l’appareil démocrate et ses actions pour soutenir la candidature d’Hillary Clinton, la campagne de Sanders a déclenché un formidable mouvement de base, surtout parmi les jeunes. Le succès de Sanders est le fait de son message, et non de sa personne étant loin d’être charismatique. La conjoncture a beaucoup joué en sa faveur. Après tant d’années, un grand nombre d’américains en avaient marre du système politique et économique. Ceux-ci ont préféré les deux candidats contestataires, Sanders ou Trump, aux valeurs sûres, expérimentées – et sans audace – de Clinton. Sanders n’était pas loin de devenir le candidat démocrate : il a gagné presque la moitié des primaires au niveau des États fédérés et presque la moitié des délégués démocrates qui élisent le candidat. Une fois battu, Sanders a, quand même, appelé haut et fort à voter pour Clinton – surtout pour empêcher la victoire de Donald Trump. On peut constater que, dans les sondages avant l’élection présidentielle de 2016, la côte de Sanders a été nettement plus haute que celle de Clinton et de Trump. S’il est impossible d’affirmer que Sanders aurait été élu président, c’est néanmoins fort possible.

Trump, le scénario-catastrophe

Le 8 novembre 2016, une minorité des américains a élu Donald Trump comme président des USA (malgré les 3 millions de voix de moins qu’Hillary Clinton, il a obtenu une majorité des voix des grands électeurs au Collège électoral). Le système présidentiel accordant d’importants pouvoirs au gagnant, comment Trump en a-t-il profité ?

Il n’est pas trop risqué d’affirmer qu’il est, dans toute l’histoire américaine, le candidat à la présidence le moins préparé et le moins apte intellectuellement, psychologiquement et moralement. On pourrait affirmer aussi que l’expérience qu’il a acquise depuis son entrée à la Maison Blanche ne l’a pas changé d’un pouce (j’écris ces lignes le lendemain de ses insultes et injures – même pas dignes d’un adolescent macho et mal élevé – à l’égard des présentateurs de l’émission télévisée Morning Joe qui l’avaient critiqué).

Deux remarques à propos de la politique économique, financière et environnementale de Trump :

Ses propos sont tellement contradictoires, instables et illisibles qu’il est difficile d’en analyser les grandes lignes. Prenons par exemple la réforme du système de santé. Il a affirmé dans chacun de ses discours de campagne que l’Obamacare est un désastre et que sa réforme serait moins chère et plus juste.  Or, il est clair qu’il n’a aucune idée de ce qu’il faut mettre à la place du système qu’Obama a piloté. Trump n’a rien fait pour proposer et conduire une réforme alternative. Par contre, il a donné des consignes contradictoires aux dirigeants du Parti républicain pour en élaborer. Jusqu’ici, la tentative républicaine visant à remplacer l’Obamacare a totalement échoué.

Malgré ce grand brouillard des politiques de Trump, il y a bien un fil conducteur qui est totalement à l’opposé des intérêts de sa base électorale populaire : son gouvernement cherche à opérer une redistribution du bas vers le haut en réduisant les impôts et les autres bénéfices des riches et en donnant aux entreprises les mains libres pour augmenter au maximum leurs profits au détriment des travailleurs, des consommateurs et de l’environnement. Par les choix des ministres de son gouvernement et les politiques économiques qui se dessinent, Trump paraît suivre la voie ultra-droitière précisée au-dessus. Il est bien probable que lorsque l’impact de ses politiques réactionnaires deviendra manifeste, la vague de désillusion et de mécontentement qui a alimenté les succès des deux candidats contestataires se retournera contre lui.

Le seul bénéfice de la présidence catastrophique de Trump pour les forces progressistes est que ses politiques et ses maladresses énormes ont beaucoup alimenté le mouvement de résistance à gauche. En ce moment, il y a des manifestations toutes les semaines aux États-Unis. Bien sûr, la résistance ne fait pas le poids face au courant réactionnaire et dangereux qui domine l’État. Mais, nous sommes loin d’être à la fin de l’histoire. Des millions d’américains font tout pour essayer d’empêcher qu’après lui, le déluge ne dure pas.

Pour citer cet article

Mark Kesselman, «Une analyse des réponses américaines à la crise de 2007/2008», Silomag, n° 3, juillet 2017. URL: https://silogora.org/analyse-des-reponses-americaines/

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