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Contre-propositions pour faire face à la régression sociale et démocratique en cours

Contre-propositions pour faire face à la régression sociale et démocratique en coursTemps de lecture : 8 minutes

Emmanuel Dockès présente quelques-unes des propositions du Code du travail rédigé par le GR-PACT ; à contre-courant des mesures prévues dans la réforme du droit du travail du gouvernement Philippe.

Depuis plusieurs décennies, le mouvement de destruction du droit social est lent, mais presque ininterrompu. Les derniers épisodes, à base de loi Macron du 6 août 2015, Rebsamen du 17 août 2015 et El Khomri du 8 août 2016 sont présents dans toutes les mémoires. Et l’actualité n’est que l’accélération, de cette direction délétère. Le projet de loi qui habilite le Gouvernement à réduire le droit du travail par ordonnances[1] permet d’accroître la précarité de tous les salariés, quels que soient leurs statuts (licenciement simplifié des salariés en CDI, extension possible du recours aux contrats précaires, généralisation des contrats de chantier…). Il est aussi prévu d’affaiblir encore la loi et des conventions de branches, au profit de la négociation collective d’entreprise qui est la plus déséquilibrée. Et, il est d’ailleurs prévu d’accroître ce déséquilibre en permettant de conclure des conventions collectives d’entreprise par référendum, sans, voire contre, les organisations syndicales présentes dans l’entreprise. On envisage encore de réduire le nombre d’élus du personnel, ce qui est original dans un projet dont le titre prétend renforcer le dialogue social… Le projet de loi d’habilitation permet encore de procéder à certaines régressions dans le domaine de la sécurité et de la santé des travailleurs, lequel était jusqu’ici préservé (réduction du compte pénibilité, réduction des obligations de reclasser les salariés victimes d’accidents du travail, suppression du CHSCT…). Enfin, ce nouveau train de réformes, conformément à l’habitude, se fera en ajoutant de nouveaux textes et de nouvelles complexités à un droit du travail qui n’en a pas besoin.

Face à cette complexification et à cette destruction progressive du droit social, avec la vingtaine d‘universitaires qui composent le GR-PACT[2] et en concertation avec de nombreux acteurs du droit social et notamment d’organisations syndicales, nous avons écrit un autre code du travail. Cette Proposition de code du travail, publiée aux éditions Dalloz, est consultable et discutée sur http://pct.u-paris10.fr/. Quatre fois plus courte que les textes qu’elle remplace, cette proposition n’est pas moins protectrice –au contraire- que le droit actuel. Elle est aussi mieux adaptée aux difficultés de notre temps.

Cette réécriture complète du Code du travail a été l’occasion de faire des propositions de réformes dans tous les domaines du droit du travail. Pour la plupart, ces propositions sont en direction strictement inverse des projets actuels du gouvernement. Il en possible d’en lister quelques-unes.

Revenir au principe de faveur

Le Président et le Gouvernement envisagent de renforcer la possibilité de détruire des avantages sociaux par convention collective d’entreprise. Ce sera au moins la vingtième fois qu’une réforme va dans ce sens…

Dans la proposition du GR-PACT, en revanche :

– L’adaptation de la loi par convention collective n’est admise qu’à titre exceptionnel, sous conditions de contreparties claires et prédéfinies par la loi.

– Une convention d’entreprise ne peut pas déroger à une convention collective de branche, sauf si celle-ci le prévoit expressément.

– Les avantages négociés dans les contrats individuels de travail ne peuvent plus être réduits sans l’accord du salarié.

Ce retour du principe de faveur progressivement mis à mal au cours des dernières décennies redonne à la loi sa finalité première : définir un socle de protection minimal, égal pour tous. Il permet aux conventions collectives de branche d’égaliser les conditions de la concurrence entre toutes les entreprises d’un secteur. Il permet enfin de respecter le consentement du salarié.

Annuler les licenciements injustifiés

Il est prévu de plafonner cet été le coût des licenciements injustifiés, c’est-à-dire sans cause réelle et sérieuse. Cela rendra ce coût prévisible et tout à fait abordable pour les grandes entreprises qui dégagent de gros bénéfices. C’est tout l’inverse qu’il faut faire. Pour lutter contre les licenciements injustifiés, il convient de renforcer la sanction de cette violation de la loi. C’est pourquoi le GR-PACT propose de généraliser la nullité des licenciements injustifiés. Ceci ouvre aux salariés un droit à la réintégration, lorsque celle-ci est possible. Ceci permet aussi une plus forte indemnisation, qui peut aller jusqu’à plusieurs années de salaires dans certains cas. La violation de la loi est ainsi associée à une sanction véritablement dissuasive.

Dans les petites entreprises (moins de dix salariés), il est prévu que le juge puisse réduire cette sanction, en cas de circonstances économiques difficiles ou lorsqu’il s’agit d’une simple maladresse d’un employeur inexpérimenté.

Généraliser le CDI et supprimer les CDD

La loi d’habilitation pour adopter des ordonnances prévoit de permettre aux conventions collectives d’élargir les cas de recours contrat à durée déterminée (CDD) et de généraliser le contrat de chantier. Les statuts précaires seront de fait d’un usage simplifié, au risque de voir la précarité s’accroître.

L’idée du code proposé par la GR-PACT est inverse. Elle vise à réduire la précarité de ceux qui, actuellement, sont en contrats à durée déterminée, en supprimant les CDD et en les remplaçant par la faculté de conclure dans les contrats de travail des clauses de durée initiale. Ce qui mérite quelques explications.

Le constat de départ est le suivant : souvent, les salariés sous contrat à durée déterminée (CDD) espèrent que leur contrat sera renouvelé. Le non-renouvellement est alors vécu comme un licenciement. Pour cette raison, la proposition du GR-PACT étend certaines des protections du droit du licenciement à l’échéance d’un contrat à durée déterminée :

– droit à l’entretien préalable si le salarié à une ancienneté minimale ;

– droit au reclassement si d’autres postes sont disponibles.

L’échéance d’un CDD devient ainsi une sorte de licenciement simplifié. En d’autres termes, les CDD ne sont plus de véritables CDD. Ils deviennent des CDI, dotés de « clauses de durée initiale », lesquelles prévoient la possibilité du licenciement lorsque la tâche stipulée ou le remplacement d’un salarié absent cesse. Les cas dans lesquels il est possible de recourir à ces clauses sont strictement encadrés, sur le modèle des cas de recours actuels au CDD.

La précarité juridique est ainsi sensiblement réduite en intensité. Cette mesure devrait aussi rendre la précarité plus exceptionnelle, puisque ces clauses de durée initiale sont bien moins incitatives pour les employeurs que les actuels CDD.

Relancer la réduction du temps de travail

Le candidat Emmanuel Macron proposait de défiscaliser à nouveau les heures supplémentaires, en réintroduisant un dispositif inauguré pendant la présidence de Nicolas Sarkozy. Il s’agit d’une mesure qui incite à concentrer encore davantage le temps de travail sur les uns, au risque du burn-out, cependant que les autres restent au chômage. Cette mesure, qui devrait réapparaître à l’automne, est à contre sens.

Au nom du droit à l’emploi des uns et du droit au temps libre des autres, il conviendrait de relancer le partage du temps de travail. Dans cette direction, le GR-PACT propose notamment :

– Une abrogation des mesures qui ont détricoté les 35 heures dans les années 1990 et 2000.

– Une augmentation des majorations pour heures supplémentaires, afin d’inciter à l’embauche plutôt qu’à l’augmentation du temps de travail ;

– Un passage aux trente-deux heures dans les cas d’annualisation du temps de travail.

Protéger le temps libre

Trop de salariés sont tenus de rester constamment à la disposition de leur employeur, parce qu’ils ne savent pas quand ils vont travailler, si ce n’est quelques jours, voire quelques heures à l’avance. Cette situation n’est pas seulement stressante ou déstabilisante. Elle est aussi nocive pour la société tout entière. Le temps libre est nécessaire à la vie familiale, à l’éducation et au  soin des enfants, à l’entraide, à la vie associative, militante, aux créations intellectuelles et artistiques, à la formation… Ces activités sont cruciales pour la société et pour l’économie. Elles nécessitent de pouvoir être organisées, ce qui suppose de pouvoir les anticiper.

Pour toutes ces raisons, le GR-PACT propose que :

– la notion de « temps libre » remplace l’actuel « temps de repos » ;

– un droit effectif à la déconnexion soit garanti pendant la totalité du temps libre ;

– un droit à la prévisibilité de l’emploi du temps, ou un « droit à l’agenda » : un emploi du temps ne doit plus pouvoir être modifié sans l’accord du salarié, ni sans respect d’un délai de préavis suffisant qui lui permette de réorganiser ses autres activités, professionnelles ou extra-professionnelles.

Étendre le champ d’application du Code du travail aux travailleurs dépendants

Essaimage, uberisation, faux autoentrepreneurs, travailleurs externalisés. De nombreux travailleurs sont actuellement qualifiés de travailleurs indépendants alors qu’ils sont, en réalité, en position de faiblesse. Se constitue ainsi progressivement une sorte de sous-salariat, privé des garanties élémentaires du droit du travail. Contre cette tendance, le champ d’application du Code du travail doit être étendu à tous les travailleurs en situation de faiblesse, de dépendance.

Deux nouvelles catégories de salariés sont dès lors proposées par le GR-PACT : les salariés autonomes et, sur le modèle du droit des travailleurs à domicile, les salariés externalisés. Des règles spécifiques permettent d’intégrer ces travailleurs dans les protections du Code du travail, tout en préservant l’autonomie dont ils peuvent bénéficier, notamment sur la fixation de leur emploi du temps.

Refondre le statut du chômeur

La chasse aux soi-disant « faux » chômeurs est ouverte. Pour un retard, pour une absence à une convocation, parfois même pour une simple erreur, des chômeurs peuvent être privés de toute indemnisation et donc de tout revenu. Les chômeurs sont de plus en plus infantilisés et subordonnés. Et il est envisagé par Emmanuel Macron de renforcer encore les obligations des chômeurs et leurs sanctions en cas de non-respect à ces obligations, tout en faisant, par l’étatisation, basculer le droit du chômage d’une logique assurantielle à une logique d’assistance…

À contre-courant de ces évolutions, le GR-PACT propose notamment d’accorder aux demandeurs d’emploi toutes les garanties d’une procédure préalable, contradictoire et transparente avant toute sanction ou radiation. De plus, il propose que seules les fautes les plus graves fassent l’objet des sanctions les plus graves. La radiation et les suspensions de revenu doivent devenir exceptionnelles.

 

Il ne s’agit que de quelques-unes des mesures proposées… On aurait pu en développer beaucoup d’autres. Ainsi, pour lutter contre les discriminations sexistes à l’embauche et dans la vie familiale, nous proposons d’accorder un congé paternité obligatoire et égal au congé maternité. Pour renforcer la démocratie sociale, nous prévoyons d’ouvrir à l’élection de nouveaux champs (élection directe du CHSCT, des juges prud’homaux, élections de détermination de la représentativité dans les branches…), alors que la tendance est à la suppression d’élections (suppression récente de l’élection des juges prud’homaux). Plusieurs mesures visent à mieux protéger la santé (dont le renforcement du CHSCT que les ordonnances s’apprêtent à supprimer, le renforcement du rôle de l’inspecteur du travail, l’organisation d’une meilleure indépendance des médecins du travail…). Et l’on pourrait multiplier les exemples.

Le droit du travail a vraiment besoin de réformes. Mais celles-ci doivent aller dans le sens d’une clarification et d’une amélioration. La complexification et la dégradation en cours ne sont pas des fatalités. Et la proposition de code du GR-PACT est désormais là pour le démontrer.

[1] Projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances : les mesures pour le renforcement du dialogue social, adopté par l’Assemblée nationale, adopté par l’Assemblée nationale le 13 juillet dernier.

[2] Le Groupe de recherche pour un autre code du travail (GR-PACT) est composé de Gilles Auzero, Dirk Baugard, Pierre-Emmanuel Berthier, Michèle Bonnechère, Vincent Bonnin, Augustin Boujeka, Laure Camaji, Florence Debord, Josepha Dirringer, Emmanuel Dockès (coordination), Carole Giraudet, Ylias Ferkane, Franck Héas, Julien Icard, Anja Johansson, Sylvaine Laulom, Hélène Melmi, Cécile Nicod, Jean Pélissier, Sophie Rozez, Morgan Sweeney, Sébastien Tournaux, Christophe Vigneau.

Pour citer cet article

Emmanuel Dockès, « Contre-propositions pour faire face à la régression sociale et démocratique en cours », Silomag, n° 4, sept. 2017. URL: https://silogora.org/contre-propositions/

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