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L’analyse de Guillaume Duval

L’analyse de Guillaume DuvalTemps de lecture : 7 minutes

Guillaume Duval

Rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques et auteur de « La France ne sera plus jamais une grande puissance ? Tant mieux ! », aux éditions La découverte (2015).

 

Si la volonté de baisser le niveau d’endettement public est légitime, le meilleur moyen d’y parvenir n’est pas l’austérité, mais une organisation de la mutualisation partielle et de la restructuration de cette dette au niveau de la zone euro. Dans tous les cas, l’obsession du désendettement public ne doit pas empêcher la conversion écologique des économies pour s’attaquer à la principale dette actuelle: la dette écologique.

Le niveau incontestablement élevé atteint par la dette publique aujourd’hui empêche-t-il de mettre en œuvre toute réforme sociale ou écologique d’ampleur ? Il constitue en effet un frein significatif et il faut trouver les moyens de limiter cet inconvénient via une restructuration coordonnée des dettes publiques au niveau européen.

Tout d’abord à quel niveau se situe aujourd’hui la dette publique brute de la France ? Elle pesait 35,4 % du PIB français en 1990, elle est montée à 96,4 % en 2016, soit 2 146 milliards d’euros. Une croissance impressionnante, accélérée par les crises successives de 1993, 2001-2002 et enfin, last but not least, celle de 2008-2012. La seule période où ce ratio a baissé significativement depuis les années 1990 avait été celle du gouvernement Jospin de 1997 à 2001, grâce en particulier à la mise en place des 35 heures qui avait dopé l’économie et réduit le chômage. S’endetter ne présente pas d’inconvénient, ni pour une entreprise, ni pour un État, si c’est un moyen de doper la croissance économique du pays ou le chiffre d’affaire de l’entreprise dans le futur. La forte hausse du ratio d’endettement de l’État français montre cependant que l’endettement contracté depuis trente ans n’a pas eu ce résultat sur l’activité économique. Cette forte augmentation ne s’est pas traduite cependant jusqu’ici par une croissance correspondante de la ponction qu’elle exerce sur la richesse produite dans le pays du fait de la forte baisse des taux d’intérêts intervenue depuis vingt-cinq ans : les intérêts de la dette publique représentaient en effet 1,9 % du PIB en 2016 contre 2,5 % en 1990.

L’obstacle du haut niveau de la dette publique

Cette situation reste cependant étroitement dépendante de la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne (BCE). Or, celle-ci ne pourra sans doute pas rester éternellement aussi expansive qu’elle ne l’est depuis 2012. Ce faible niveau des taux d’intérêt est soumis également au jugement que portent les investisseurs présents sur les marchés financiers sur la politique menée par le gouvernement français et l’appréciation qu’ils ont de la capacité future de remboursement du pays. Ce qui interdit assez largement toute politique un tant soit peu audacieuse en termes de gestion des finances publiques. Au niveau atteint aujourd’hui par le stock de dettes publiques, une hausse même d’ampleur relativement limitée des taux d’intérêt aurait assez rapidement un effet majeur sur l’économie française : elle risquerait d’entraîner un effet boule de neige qui ferait perdre le contrôle de la situation d’une manière analogue à ce qu’ont subi les pays périphériques de la zone euro dans la période 2010-2012. Ce qui, dans le contexte actuel de la zone euro, se traduirait par la mise sous tutelle du pays via l’obligation où se trouveraient, ses dirigeants quelle qu’en soit la couleur politique, de recourir rapidement au Mécanisme européen de stabilité (MES). Bref : oui le haut niveau de la dette publique constitue bien un obstacle majeur à des politiques sociales et environnementales avancées.

De plus même si, pour l’instant, les intérêts payés sur la dette ne représentent pas un montant croissant rapporté au PIB, ils n’en constituent pas moins un des principaux postes de dépenses de l’État. Or il n’y a guère de raison que l’État dépense davantage pour payer des intérêts à ses créanciers aisés et souvent étrangers que pour améliorer l’enseignement, la protection des Français contre les risques terroristes ou encore accélérer la transition énergétique… Les politiques qui consistent à laisser filer l’endettement public sont fondamentalement des politiques de droite : c’est la politique de ceux qui préfèrent emprunter de l’argent aux riches que de leur faire payer des impôts. Il n’est de ce fait guère surprenant que ceux qui ont le plus accru l’endettement public de leurs pays respectifs soit des Reagan et des Bush aux États-Unis, des Berlusconi en Italie ou encore des Balladur ou des Sarkozy en France… Dans ce contexte, il est donc légitime de chercher à faire reculer le niveau de l’endettement public. Encore faut-il cependant le faire efficacement et c’est là que le bât blesse le plus souvent chez ceux qui, comme François Hollande depuis 2012, affichent ce type de priorité : les politiques d’austérité empêchent en effet le plus souvent tout désendettement du fait du ralentissement de la croissance et de l’inflation qu’elles entraînent. Prenons un exemple fictif pour illustrer ce propos avec deux pays où la dette publique atteint 100 % du PIB. Le premier fait un gros effort pour ramener rapidement ses déficits à 0 % du PIB, mais du coup son économie stagne, il a 0 % de croissance, et il se trouve en légère déflation, les prix baissent de 1 %. Quel est son ratio d’endettement à la fin de l’année ? 101 % du PIB ((100+0)/(100+0-1)), il aura augmenté. L’autre pays laisse son déficit inchangé à 3 % du PIB, mais connait du coup une croissance économique de 2 % avec une inflation à 2 %. Il finira l’année avec 99 % de dette publique sur PIB ((100+3)/(100+2+2)), son ratio d’endettement aura baissé. Le contraste entre ces deux pays fictifs correspond cependant grosso modo au contraste entre les politiques d’austérité budgétaires menées en Europe qui ont été d’autant plus contreproductives qu’elles se sont accompagnées de politiques du marché du travail déflationnistes, et les politiques moins stupides menées aux États-Unis durant la même période. Il est donc légitime de chercher à faire baisser le niveau de l’endettement, mais l’austérité n’est pas forcément le meilleur moyen d’y parvenir.

Une nécessaire restructuration des dettes publiques de la zone euro

Pour autant, au niveau atteint désormais par l’endettement public en Europe après la crise de 2008-2012, il n’y a sans doute guère d’autres moyens de le faire baisser de façon significative que d’essayer d’organiser une restructuration de cette dette au niveau de la zone euro. Ce genre d’opération est évidemment toujours très délicat à organiser : il suscite la défiance des investisseurs et peut entraîner une forte hausse des taux d’intérêts pour les nouveaux prêts consentis aux États qui, du coup, ne bénéficieraient pas réellement d’un allègement de la charge correspondant à cet endettement même si leur ratio d’endettement est réduit. De plus, ce genre d’opération a nécessairement des effets redistributifs majeurs : les créanciers perdent une partie de leur capital tandis que les débiteurs en profitent. Or, la dette publique est en réalité largement détenue par des nationaux qui souvent l’ignorent via notamment des dispositifs d’épargne comme l’assurance vie. Ces épargnants perdraient donc eux aussi une partie de leur capital. De plus, même si les dettes publiques excèdent presque partout la barre des 60 % du PIB prévue par les Traités européens, certains pays, très endettés comme la Grèce ou l’Italie, profiteraient plus que d’autres d’une restructuration des dettes européennes. Il s’agit donc forcément d’un processus très complexe à mettre en œuvre sur le plan social et politique et le « yaka fokon » ne peut pas suffire à l’enclencher. On ne pourra cependant pas faire l’économie de cette question de la mutualisation au moins partielle et de la restructuration des dettes européennes après les élections française et allemande si on veut rétablir durablement la situation économique et sociale au sein de la zone euro.

Notre principale dette est la dette écologique

Ceci étant dit, en France comme en Europe et dans le monde, la grande question qui structure le XXIe siècle c’est d’abord et avant tout la réponse que nous devons impérativement apporter d’urgence à la grave crise écologique que nos activités ont déclenchée sur toute la planète. Si l’obsession du désendettement public devait ralentir ou empêcher la transition énergétique et la conversion écologique de nos économies, ni les créanciers de l’État ni nos petits enfants ne seraient avancés demain puisqu’il n’y aurait probablement plus d’activité économique possible susceptible de permettre le remboursement de la dette publique. Or c’est bien ce qu’on observe en Europe pour l’instant : en 2016, on a quasiment investi deux fois moins sur le vieux continent dans les énergies renouvelables qu’en 2011 avant le virage de l’austérité à tout crin. L’Europe qui était à l’avant-garde mondiale de la transition énergétique se trouve désormais à la traîne de la Chine et des États-Unis… Notre vraie et principale dette aujourd’hui c’est notre dette écologique et non la dette publique. Et celle-là est beaucoup plus difficile encore à restructurer…

Pour citer cet article

Guillaume Duval, « La dette: une chape de plomb pour tout projet transformateur? », Silomag, n°2, avril 2015. URL : https://silogora.org/dette-une-chape-de-plomb-duval/

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