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Le spectre de la dette et comment s’en défaire

Le spectre de la dette et comment s’en défaireTemps de lecture : 4 minutes

Loin de la fable du dérapage des dépenses publiques, l’endettement est la contrepartie du mode économico-financier de croissance imposé depuis quarante ans. S’attaquer à la question de la dette publique implique d’accorder une place nouvelle au travail, à l’environnement et aux activités productives.

L’histoire récente de la dette publique française peut s’écrire de bien des manières. Mais une chose est sure, elle est tout sauf le simple récit de la croissance irresponsable des dépenses, fable commode que nous délivrent les économistes libéraux. Expliquer d’où viennent réellement les 2 150 milliards de la dette publique française ôte toute justification au discours austéritaire, sans pour autant accréditer l’idée que l’on pourrait se défaire de ces endettements accumulés d’un claquement de doigt. L’exemple de la Grèce est dans tous les esprits.

De nouvelles menaces liées à la hausse des taux d’intérêt

S’emparer de la question est d’autant plus urgent que le processus de hausse des taux d’intérêt, enclenché depuis le début de l’année, fait peser de nouvelles menaces. Son accélération coïncide avec l’annonce des besoins d’emprunts affichés par les États en ce début d’année. Au bas mot, 8 900 milliards d’euros pour 2017 selon le chiffrage de l’OCDE! 185 milliards d’euros pour le seul Trésor français. Finis les taux d’intérêts très bas auxquels se finançait l’État ces dernières années. «Si les taux retrouvaient leur niveau de 2005, la charge de la dette doublerait» estime une note de l’Institut de l’entreprise, think tank proche du patronat. De quoi nourrir un enchaînement catastrophique poursuit-il. Et l’occasion pour les uns et les autres de brandir la menace, en l’occurrence le fardeau que nous allons laisser à nos petits-enfants si nous n’opérons pas les coupes nécessaires dans les budgets publics et sociaux.

Commençons par rassurer notre descendance. Même si quelques échéances sont plus lointaines, la durée moyenne de la dette publique est de 8 ans. C’est donc bien nous qui la remboursons. Et si au bout du compte notre génération laisse des dettes, elle laissera autant de créances. La véritable question est de savoir ce que l’on fait avec cet argent. Ce qui nous ramène aux questions de la production, de la circulation et de la répartition des richesses.

L’impasse d’une politique budgétaire draconnienne

Il est dangereux de penser que l’on pourrait venir à bout des dettes accumulées par la seule vertu d’une politique budgétaire draconienne. Un effort d’économies budgétaires trop important, comme cela a été pratiqué ces dernières années en Europe, a réduit le taux de croissance tendanciel de l’économie restreignant par la même la trajectoire de dettes soutenables et augmentant le risque de défaillances.

L’accumulation des endettements n’est pas due à un dérapage des dépenses publiques ou à la seule «exubérance financière» évoquée parfois. Elle est due au transfert d’une masse de dettes du secteur privé au secteur public. Cette masse de capital fictif accumulé sur le dos de l’État est la contrepartie de déséquilibres économiques profonds qui ont en fait trois causes : une nouvelle phase de la mondialisation qui a permis la mise en concurrence des travailleurs à une échelle sans précédent, d’abord; une augmentation de la rentabilité du capital qui a accru la pression sur les salariés, développé la précarité et réduit l’investissement dans la sphère productive ensuite; enfin l’existence d’un volume impressionnant de liquidités qui a permis une inflation des actifs financiers et immobiliers.

On ne comprend rien en effet à cette menace de remontée des taux d’intérêt qui risque de mettre un peu plus l’Europe sous tension, si on ne la relie pas au processus d’accumulation financière sous la forme de dettes publiques qui prennent le relais des endettements privés. Les autorités ne tiennent pas compte du fait que l’endettement est la contrepartie des déséquilibres du mode économico-financier de croissance qui s’est imposé depuis 40 ans à partir des États-Unis. Si l’on veut s’attaquer à la question de la dette, c’est ce processus d’accumulation qu’il faut mettre en cause en mesurant la place nouvelle à accorder au travail, à l’environnement et aux activités productives. Le «retour au réel» passe par la reconnaissance de ces trois priorités.

Le besoin d’une nouvelle stratégie de développement

C’est le moment de débattre des réponses à apporter en écartant celles qui relèvent de la pure posture. «Moraliser» le capital financier fournira le prétexte à des discours enflammés contre «l’argent roi» mais ne sera d’aucun effet sur l’économie. Injecter des liquidités et du capital sans modifier les critères d’investissement, se résumera à vouloir remplir le Tonneau des Danaïdes! La remontée de taux d’intérêt met en exergue le besoin d’une nouvelle stratégie de développement social et économique qui suppose l’organisation d’une large restructuration des créances accumulées.

La clé de la réduction des dettes est dans l’effectivité d’un taux de croissance supérieur au taux d’intérêt réel. Il faut admettre que si un pays n’est pas sur ce chemin, créanciers et banque centrale doivent négocier un plan de restructuration qui réduise le volume et le coût des créances et permette un refinancement du pays à des conditions compatibles avec les objectifs de développement que se donnent les peuples concernés. La mise en place d’un fonds alimenté par la taxation des balances extérieures excédentaires en Europe peut y contribuer. C’est dans cette direction et seulement dans cette direction, qu’il peut y avoir une solution à la crise de la dette. Encore faut-il vite se mettre d’accord sur la méthode.

Pour citer cet article

Jean-Christophe Le Duigou, « Le spectre de la dette et comment s’en défaire », Silomag, n°2, avril 2017. URL : : https://silogora.org/le-spectre-de-la-dette/

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