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Ni commémorer, ni célébrer. Enjamber le présent ou la nécessité de l’histoire

Ni commémorer, ni célébrer. Enjamber le présent ou la nécessité de l’histoireTemps de lecture : 3 minutes

Serge Wolikow revient sur l’enjeu de l’évocation de 1917 et la manière dont cette révolution a été commémorée au XXe siècle. En 2017, cette évocation est loin d’avoir perdu sa dimension idéologique et politique. La lecture de cet événement reste conditionnée par le fait de considérer ou non comme souhaitables ou possibles des processus révolutionnaires.

Puisque l’actualité en ce mois de novembre 2017 est à l’évocation de la révolution d’octobre 1917 en Russie, commençons par dire pourquoi la commémoration nous semble tombée en désuétude et comment la célébration nous paraît devoir être évitée. Toutes les manifestations de mémoire sont des constructions idéologiques qui nous ramènent du passé au présent. Elles font l’économie de l’histoire critique et dispensent d’imaginer de nouveaux horizons. En ce sens, quelles que soient leurs différences, elles ont en commun de ressasser, comme pour se réassurer face aux inquiétudes et aux désillusions possibles. Faire autrement est un impératif. Évoquer l’événement dans un processus plus vaste, d’abord comme événement spécifique daté de l’histoire russe et de la guerre mondiale, puis en tant que révolution revendiquée par les acteurs et les historiens, permet d’inscrire la révolution russe dans la succession séculaire et mondiale des révolutions (cf l’édito).

La commémoration comme moment de reconstruction de l’événement

Sans doute la révolution russe a-t-elle été, durant de longues décennies, l’objet d’une commémoration qui parfois était doublée d’une célébration, en URSS notamment. Le moment commémoratif participait d’ailleurs de la reconstruction d’un événement qui jouait le rôle d’épisode fondateur légitimant l’État soviétique. Dans la Russie soviétique, le récit de la prise du pouvoir par les bolcheviks va progressivement se mettre en place pour justifier le rôle du parti, évoquer celui de Lénine et dénoncer tous ceux qui avaient douté ou s’y étaient opposés. La commémoration décennale de la révolution d’octobre va scander l’histoire de l’URSS. Jusqu’en 1987, sa légitimité va être affirmée au travers d’un récit fondateur, au prix d’une instrumentalisation complète du travail historique. D’ailleurs, dès la fin des années 1920, l’histoire de l’URSS est un domaine qui passe sous le contrôle du parti. Octobre 17 en est bien sûr le premier fondement. À chaque décennie, de 1927 à 1987, le style et la rhétorique de la commémoration changent en fonction du moment historique. En ce sens, il y a une histoire des commémorations même si leur logique n’est pas celle de la connaissance historique critique ! De fait, ces commémorations deviennent très vite des manifestations dont la fonction n’est pas seulement la mémoire de l’événement, sa mise en récit mais surtout son exaltation. De la sorte, elles se transforment en célébration instituant l’événement dans une position prééminente au sein du discours national.

Au-delà de l’URSS, la commémoration de la révolution russe est indissociable de l’action de l’Internationale communiste, de ses sections nationales puis des partis communistes. Dès la fin des années 1920, la fidélité idéologique et politique de ces partis à l’URSS s’est mesurée à la manière dont ceux-ci s’associaient à l’exaltation de cette révolution qui offrait l’exemple concret d’un soulèvement populaire et politique réussi. Le parti bolchevik est devenu le modèle des partis communistes et la révolution russe la référence pour les révolutions à venir. Ils furent donc au centre des commémorations qui marquaient les temps forts de l’action idéologique des partis communistes dans les différents pays du monde[1]. Bien sûr, ces commémorations ne furent jamais une simple répétition de la commémoration précédente mais elles avaient en commun de répondre à des préoccupations autant tactiques que stratégiques.

1917, accident de l’histoire ou moment particulier d’un mouvement de longue durée?

En 1977, les partis communistes qui affirmaient un projet politique dont le dénominateur commun était l’eurocommunisme, prirent soin – non sans difficulté – de s’affranchir de cette référence à la révolution d’octobre comme modèle. Ils firent davantage de place à des évocations où s’affirmaient la contribution d’historiens eux-mêmes engagés mais sur un registre faisant davantage sa place aux nouvelles connaissances historiques et aux débats d’idées sur un sujet qui avait perdu de son importance stratégique. Pour autant, en 2017, l’évocation de 1917 en Russie est loin d’avoir perdu sa dimension idéologique et politique. Sans doute, le temps des commémorations officielles ou institutionnelles est passé dans la plupart des pays même s’il faut sans doute envisager à part la situation de certains pays d’extrême orient où le récit sur 1917 en Russie reste canonique.

1917 en Russie, accident de l’histoire ou moment particulier d’un mouvement de longue durée ? Ces deux points de vues différents orientent la lecture des évènements. Cette lecture est conditionnée par la manière dont sont ou non envisagés comme possibles sinon souhaitables des processus révolutionnaires et des changements sociopolitiques dans le monde contemporain.

[1] À cet effet, dans les années 1920 et 1930, l’Internationale communiste fournit à ses différentes sections nationales les articles documentés et les ouvrages politiques et historiques nécessaires ; les écoles de formation pour les cadres internationaux y consacraient plusieurs cours. Cet effort idéologique fut souvent pris en charge par les différents partis communistes eux-mêmes.

Pour citer cet article

Serge Wolikow, « Ni commémorer, ni célébrer. Enjamber le présent ou la nécessité de l’histoire », Silomag, n° 5, nov. 2017. URL : https://silogora.org/ni-commemorer-ni-celebrer-enjamber-le-present-ou-la-necessite-de-lhistoire/

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