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Quelles villes pour demain?

Quelles villes pour demain?Temps de lecture : 4 minutes

L’évolution de la réalité urbaine vers la constitution de métropoles qui jouent un rôle de plus en plus important dans la structuration de l’espace est devenue un phénomène majeur en France comme dans le monde. Ce processus pose de multiples questions allant de l’équilibre des différents territoires jusqu’à la réponse aux défis environnementaux en passant par la transformation des processus de prise de décisions au regard de l’enjeu démocratique. Ce dossier de Silomag a pour ambition de présenter quelques-unes des principales thématiques en débat en donnant la parole à des architectes, des élus, des universitaires ainsi qu’à des acteurs associatifs et syndicaux.

Des réalités en pleine évolution

Alors qu’elle ne représentait que 30 % de la population mondiale en 1950, la population urbaine est de 55 % aujourd’hui. Ce chiffre devrait s’accroître de manière significative à l’horizon 2050 puisqu’il s’élèverait, selon de nouvelles données des Nations unies, à 68 %[1]. À cette date, il y aura donc 2,5 milliards d’urbains supplémentaires ; sachant que 90 % de cette croissance concernera l’Asie et l’Afrique, continents jusque-là les moins urbanisés. En France, la population urbaine est passée de 62 % en 1960 à près de 80 % de la population totale en 2016[2]. Au-delà des chiffres, les modes de vie des citadins se sont profondément transformés. L’espace urbain connaissant une augmentation significative, la structuration en ville-centre et périphéries est de plus en plus anachronique. Les emplois ne sont plus seulement concentrés dans le centre. Les déplacements s’effectuent de plus en plus transversalement.

Même si elle est assez floue et polysémique, la notion de métropolisation vise à rendre compte de ces réalités en pleine évolution. Elle désigne le processus de développement urbain qui se traduit par une concentration de populations, d’activités, d’emplois, de centres de décisions, de réseaux de communication, de lieux de culture, de recherches et de formations. La métropolisation renvoie donc tout à la fois à des phénomènes économiques, sociaux, culturels et politiques. Elle porte des enjeux majeurs autour de la capacité des sociétés à maîtriser l’extension du processus urbain dans une perspective de progrès humain même si ces enjeux prennent des formes différentes selon les territoires.

Une représentation fantasmée des métropoles

La tendance dominante est de soumettre les logiques de métropolisation au paradigme de la compétitivité et au règne de la concurrence entre les villes à l’échelle mondiale. Dans cette conception, les métropoles sont appréhendées comme des moteurs de croissance au sein de l’économie mondialisée et financiarisée. À ce titre, elles ont pour objectif d’attirer les firmes de taille planétaire ainsi que les activités et les compétences tournées vers la concurrence mondiale et les flux transnationaux. Attractivité, excellence, innovation, regroupement des talents, tels sont les maîtres mots de la novlangue néolibérale s’agissant des métropoles. Les élites doivent pouvoir y trouver tout ce qu’elles attendent de la nouvelle urbanité (emplois qualifiés, mobilité, espaces culturels et festifs, etc.). Par « ruissellement », les autres territoires comme les catégories populaires devraient être irrigués par ces richesses créées et donc y trouver leur compte.

Or, le réel est loin de cette représentation fantasmée. En premier lieu, cette dernière repose sur une vision par trop restrictive de ce qui fait le dynamisme de la société. L’innovation, l’excellence et les talents existent à grande échelle dans la diversité des territoires et dans une multitude d’activités. Ils ne sont pas le monopole des classes supérieures métropolitaines… En second lieu, l’« effet de ruissellement » est, dans ce domaine comme dans tous les autres, une thématique purement idéologique. La tendance est, à l’inverse, à la concentration des richesses et à l’aggravation des inégalités – si ce n’est des ségrégations – sociales et territoriales. La relégation des couches populaires hors des centres métropolitains liée notamment au phénomène de gentrification illustre cette tendance.

Par ailleurs, les questions de la gouvernance métropolitaine et de la démocratie sont d’une acuité particulière. Les évolutions actuelles tendent à privilégier des processus de décisions plus centralisés dégageant un champ élargi à la tutelle technocratique mise au service de la concurrence et du marché. Ce faisant, elles mettent plus de distances entre les décisions et les citoyens et contribuent à aggraver le déficit démocratique et le discrédit de la politique. Les enjeux institutionnels de la métropolisation sont donc importants. Comment réussir la métropolisation en préservant le lien entre les élus et les citoyens ? Comment favoriser la participation de ces derniers au nécessaire débat pluraliste sur les projets d’aménagement ou de transport ? Comment leur permettre d’exprimer des choix d’option sur les orientations des politiques locales et territoriales ?

Le processus de métropolisation peut également être une chance

Au-delà d’être un fait, le processus de métropolisation peut également être une chance. Un certain nombre de problèmes ne peuvent trouver de bonnes solutions qu’à une échelle plus intégrée. Les transports, les réseaux d’assainissement et d’adduction d’eau, l’équilibre des territoires notamment en ce qui concerne le rapport emploi/habitat, la coordination des politiques d’aménagement urbain et d’équipements, la construction de logements, ou encore la transition énergétique et écologique impliquent des coopérations entre les territoires sur de plus vastes échelles pour améliorer la vie de tous.

Lutter contre les inégalités et les ségrégations, promouvoir une véritable mixité sociale, construire au quotidien le vivre ensemble, réduire les déséquilibres et favoriser l’égalité des territoires dans une dynamique de projets et de coopérations, développer un urbanisme à la hauteur des défis environnementaux ; ces différents objectifs devraient constituer le cœur d’une métropolisation solidaire. Dans un tissu urbain en mutation rapide, l’enjeu est de construire la ville de demain. Sur tous ces thèmes, notre dossier veut favoriser l’information, la réflexion et le débat.

NB : Nous tenons à remercier ici Stéphane Cadiou ainsi qu’Isabelle Lorand et Makan Rafatjou pour leur aide dans l’élaboration de ce dossier.

 

[1] « World Urbanization Prospects : The 2018 Revision. Key facts », United Nations, Economic and social affairs, mai 2018. Pour une présentation en français, voir « 2,5 milliards de personnes de plus habiteront dans les villes d’ici 2050 », Nations Unies, département des affaires économiques et sociales, 16 mai 2018.

[2] « Perspectives d’urbanisation du monde », Banque mondiale, Nations Unies, consulté le 20 juin 2018.

Pour citer cet article

Louise Gaxie et Alain Obadia, « Quelles villes pour demain ? », Silomag, n° 7, été 2018. URL : https://silogora.org/quelles-villes-pour-demain/

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