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AFP en danger, information menacée

AFP en danger, information menacéeTemps de lecture : 5 minutes

L’AFP fait face en 2025 à une crise d’une gravité sans précédent qui, si rien n’est entrepris, pourrait à terme mettre en cause les fondements de la troisième agence mondiale de presse, dans un contexte national et international où une information certifiée apparait comme essentielle face aux adeptes de la post vérité, aux pressions des régimes illibéraux et à une utilisation sans frein de l’Intelligence artificielle (IA) en lieu et place des journalistes.

Le PDG de l’agence Fabrice Fries a mis le feu aux poudres en annonçant le 13 juin 2025 un plan drastique d’économies, estimant que l’AFP allait devoir trouver 2 millions d’économies dès cette année, puis 10 à 12 millions en 2026 sur un budget de 325 millions d’euros en 2025.

Ce plan va entrainer, selon la direction, 70 départs (40 en France et 30 à l’étranger) sans remplacement des effectifs notamment rédactionnels. Une décision qui a de grandes chances de porter un coup fatal au rayonnement mondial de l’agence en réduisant sensiblement la capacité de l’AFP à pouvoir remplir ses missions en France comme à l’étranger avec ses 2600 salariés sur les cinq continents.

L’AFP menacée d’un double choc social et éditorial menaçant la fiabilité de l’information

Les syndicats et le personnel sont vent debout contre ces décisions. Dans son communiqué de presse du 15 juillet 2025, le SNJ-CGT de l’agence estime que «faire mieux avec toujours moins est impossible!», avec de telles mesures de réduction des postes à l’étranger, pourtant véritable «ADN de l’AFP», mais aussi devant l’annonce «d’un big bang rédactionnel» conduisant à «moins de reportages» et davantage de recours à l’IA. La direction va infliger, «un double choc, social et éditorial» pour «faire face aux conséquences de ses propres échecs», le plan d’économies constitue «une saignée dans les effectifs et un nouveau coup porté à l’expatriation» poursuit le syndicat.

Cette mise en cause du maillage international de l’agence ne constitue-t-il pas une atteinte sinon à la lettre, du moins à l’esprit du statut de 1957 ? Son article 2-3° dispose que «l’Agence France-Presse doit, dans toute la mesure de ses ressources, assurer l’existence d’un réseau d’établissements lui conférant le caractère d’un organisme d’information à rayonnement mondial».

Mais au-delà, en annonçant vouloir réduire drastiquement le nombre de journalistes expatriés, la direction de l’agence prévoit de transformer ces contrats dits «siège» (141) et régionaux (134) en contrats locaux, entrainant globalement une précarisation des emplois par la baisse des salaires, la remise en cause des garanties sociales conduisant de facto et de jure à une dégradation des conditions de vie et de travail des journalistes en poste. Ce qui risque d’entraîner une baisse sensible de la qualité de l’information et ajouter de la crise à la crise sans rien résoudre des questions de fond.

(NB : les journalistes expatriés sont des agenciers ayant le statut siège qui leur garantit des droits basés sur la convention collective française et le droit du travail. Ils sont affectés dans les bureaux étrangers de l’agence pour couvrir un pays, ou une région pour une durée déterminée en fonction de leur contrat.)

Dès 2025, un gel va frapper les départs à l’étranger des journalistes candidats à l’expatriation. Une mesure à contresens des pratiques de l’AFP qui permettent aux agenciers d’acquérir une expérience internationale, et globalement d’assurer une présence et une couverture mondiale à l’égal des deux agences anglo-saxonnes concurrentes : AP et Reuters. Une réduction de la voilure de l’agence qui parallèlement pourrait entrainer une perte de nombreux abonnés à l’international.

Un repli de l’AFP, seule agence mondiale francophone, livre un peu plus l’information aux manipulations et aux faiseurs de fake news

Une telle décision provoquera sans nul doute l’émergence de zones grises au détriment de l’information. Une chape de plomb s’étendra ainsi dans des régions entières hors des radars de l’agence, d’autant qu’au nombre des mesures d’économie figurerait une réflexion sur la nécessité de maintenir ou non les six langues de travail de l’agence.

Un retrait de l’AFP de certaines régions aboutirait au bout du compte au triomphe de la manipulation de l‘information via le floutage des faits et des concepts que des régimes autoritaires et populistes pratiquent, à travers la toute-puissance de leurs groupes publics médiatiques transformés en outils de propagande. Mais aussi aux conglomérats internationaux privés enclins à transformer leur vision du monde en « infotainment », ravalant l’information au rang de spectacle.

C’est toute une chaîne de la crédibilité de l’information qui risque de péricliter à l’heure où les opinions publiques sont de plus en plus confrontées à l’inversion totale et permanente de la vérité dans un monde de plus en plus complexifié, où la qualité d’une information certifiée peut seule apporter des clés pour la compréhension de tout un chacun des problèmes majeurs de la planète.

Concrètement, par ces décisions inconséquentes, la Direction de l’agence va mettre en péril le travail au quotidien de la rédaction, en détricotant les réseaux et en mettant en danger les sources des journalistes en France comme à l’étranger avec des conséquences incalculables sur la qualité et les contenus de l’information fournie aux media.

Un tel plan ira à l’encontre de la hiérarchisation de l’information, de la vérification des faits, de la diversité des couvertures, etc. Une erreur serait de faire accroire que, par mesure d’économie, l’IA pourrait suppléer au rôle des agenciers.

Ces craintes se concrétisent dès aujourd’hui par la décision inappropriée de la fermeture du bureau régional de l’agence à Nicosie (Chypre) chargé de la couverture du Proche Orient. Une erreur stratégique dans un contexte où cette zone fait la une quotidienne de l’actualité internationale (Gaza, Israël, Iran, Irak, Syrie, Liban, les pays du Golfe…).

D’abandon en abandon, le rôle mondial de l’agence sera gravement atteint.

Devant ce tsunami, les organisations syndicales CGT, SNJ, SUD, FO et CFE-CGC, ont décidé de se «mobiliser pour la défense de l’emploi et de conditions de travail permettant de poursuivre la mission de l’AFP pour un journalisme de qualité».

Pour faire pression sur la direction et l’État, les syndicats se donnent pour mission «d’aller voir les parlementaires et sensibiliser l’opinion afin que la plus grande agence de presse mondiale non anglo-saxonne et seule francophone n’entame pas un rabougrissement mortifère l’année où elle fête ses 80 ans d’existence».

D’ores et déjà, selon l’hebdomadaire Télérama du 29 juillet 2025, trois sénateurs ont saisi la ministre de la Culture Rachida Dati pour demander «si le gouvernement entend augmenter la dotation de l’État» (elle est de 120 millions d’euros par an au titre de la compensation de sa mission d’intérêt général) afin de «faire face aux difficultés financières mais aussi permettre aux citoyens de bénéficier d’une information fiable»[1].

L’État macronien est pris ici dans ses propres contradictions. Qui en effet pourrait comprendre qu’Emmanuel Macron, qui ne cesse de proclamer indispensable la lutte contre les fake news et les «usines à troll russes» ou d’autres puissances, se refuserait à venir en aide à l’AFP qualifiée pour délivrer une information vérifiée en six langues avec textes, vidéos, photos, infographies à l’appui?

Le SNJ-CGT à juste titre appelle à «la mobilisation de tous et exige de la direction qu’elle obtienne l’aide de l’État français pour soutenir l’une des trois plus importantes agences de presse au monde, la première francophone!»

«Pas question de valider l’agonie d’une certaine idée de ce que doit être notre mission d’intérêt général: une information fiable, rapide, diversifiée, éclairant la marche du monde, par-delà les intérêts économiques et les modes de consommation», martèle le syndicat.

Pour l’heure, l’État aurait refusé de venir en aide à l’AFP.

Pour citer cet article

Patrick Kamenka, «AFP en danger, information menacée», Silomag, n°20, novembre 2025. URL: https://silogora.org/afp-en-danger-information-menacee/

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