#17

Différences et égalité:

quels horizons communs?

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Coordinatrice : Chrystel Le Moing
Chargée d’édition : Hélène Cogez

Présentation

Les inquisitions des droites à l’encontre du « wokisme », brandi en épouvantail pour discréditer d’un seul geste l’ensemble des nouveaux concepts et des mobilisations pour l’égalité et contre toutes les discriminations, se sont multipliées jusqu’à confisquer le débat sur les approches qui se développent à la faveur de dynamiques renouvelées féministes, antiracistes, intersectionnelles, décoloniales ou queer. Les luttes pour l’égalité et contre toutes les discriminations sont au contraire des combats majeurs à gauche. Espace dédié aux pensées critiques et au débat, Silomag souhaite avec ce dossier contribuer à une meilleure compréhension de ces différents concepts et approches qui dans les recherches en sciences sociales comme dans les mobilisations, permettent de penser et de lutter contre les rapports de domination, d’oppression et d’exploitation…

Une première partie de la rubrique « Actualité du débat » revient sur leur sens, leur portée subversive autant que sur les appropriations militantes à l’œuvre et leurs limites. Un rappel de la généalogie des concepts témoigne de leur ancrage dans l’action pour la justice sociale et la libération humaine. Cette partie éclaire également les divergences et controverses nourries par l’analyse matérialiste marxiste qui loin d’avoir manqué ou minoré la complexité des diverses formes d’assujettissement, a permis de penser et d’agir pour transformer l’ordre socio-économique qu’il s’agisse de la relation entre les hommes et les femmes, de la famille, de la place assignée aux personnes de couleur et de toutes les formes d’exploitation.  Les combats féministes et antiracistes ont historiquement été intimement liés aux combats de classe contre l’exploitation capitaliste.

Dans une deuxième partie, l’accent est mis sur la centralité du travail dans les rapports de pouvoir pour resituer les assignations de genre et raciale dans le contexte de l’exploitation capitaliste. Envisager les rapports sociaux de sexe et de « race » comme produits et reproduits à partir de l’enjeu de la division du travail et de la valorisation du capital ouvre des perspectives de mobilisations collectives pour construire l’unité politique dans le « pluralisme stratégique »[1] des exploités. Les contributions sur les trajectoires scolaires des jeunes de milieu populaire, rural et urbain, des quartiers, issus de l’immigration témoignent de la persistance d’inégalités aggravées par la gestion néolibérale de l’enseignement et des politiques publiques qui sont mises au service de la reproduction d’une division sociale, sexuée et raciale du travail.

Face aux offensives réactionnaires accusant les luttes féministes et antiracistes de polariser la société en communautés, considérées comme menaçant l’idéal républicain, la quatrième partie dédiée aux luttes contre le racisme, pour l’égalité et l’émancipation aujourd’hui se propose de déconstruire et dépasser l’opposition entre lutte pour la reconnaissance des différences et lutte universelle pour l’égalité. Alors que le risque d’une approche différentialiste et identitaire des phénomènes sociaux peut creuser des lignes de fracture et faire obstacle aux combats pour l’égalité et l’émancipation collective, les nouvelles dynamiques de mobilisation fondées sur la prise en compte d’expériences marginalisées contribuent d’autant plus à l’avancement des luttes collectives qu’elles s’inscrivent dans les combats de classe.  Ces articulations s’avèrent décisives pour reconstruire un bloc historique uni, mais non uniforme, dans des luttes qui rassemblent et convergent vers des horizons communs, ceux de la justice sociale et de l’émancipation collective de toute forme de domination et d’exploitation. Ce sont toutes ces questions que ce nouveau dossier investit.

[1] L’expression vient de Florian Gulli, L’antiracisme trahi, 2022.

Actualités du débat

Autour des concepts : clarification et controverses

Lost in translation? Black feminism, intersectionnalité et justice sociale

Dans le chapitre, « Lost in translation ? Black feminism, intersectionnalité et justice sociale », de l’ouvrage L’intersectionnalité ; enjeux théoriques et politiques, Patricia Hill Collins, sociologue afro-américaine spécialiste du Black Feminism, revient sur l’ancrage de l’intersectionnalité dans l’action politique des mouvements sociaux des années 1960 et 1970 pour expliquer comment les activistes ont aidé à sa légitimation et à forger ses ambitions dans le champ universitaire…

Histoire(s) de concept(s) des deux côtés de l’Atlantique

Publié en 2016, l’ouvrage dirigé par Farinaz Fassa, Eléonore Lépinard, Marta Roca I Escoda, L’intersectionnalité ; enjeux théoriques et politiques, fait référence pour comprendre la genèse politique du concept, les débats et controverses auxquels il donne lieu de part et d’autre de l’atlantique.

Aux croisements des exploitations. Pour une analyse intersectionnelle des rapports de production

Au-delà de la panique morale de la droite à l’égard de l’intersectionnalité, la notion fait polémique à gauche où elle a tracé une ligne de clivage entre les tenants d’un « class first » d’une part, et les partisans d’une équivalence des formes de dominations autonomisées et essentialisées. Salomé Bouché-Frati déconfine ici le débat par une lecture marxiste du lien organique entre les rapports sociaux de classe, de sexe et de race.

Marxisme et féminisme: des affinités électives

Si les difficultés du mouvement ouvrier depuis la contre-révolution néolibérale ont pu permettre aux discours identifiant comme rivaux les luttes pour les droits civils et sociaux de rencontrer un certain écho, l’histoire des combats féministes nous indiquent que loin d’être concurrents, ils ont été intimement liés à la théorie et pratique politiques socialistes…

Une typologie pour éclairer le débat sur le racisme systémique

Pour caractériser le racisme et mettre l’accent non plus seulement sur le racisme comme idéologie structurée mais comme phénomène social produisant des inégalités de résultats, les notions de « racisme systémique », « racisme institutionnel » ou encore « racisme structurel » ont fait leur apparition dans le débat public.

Par-delà l’intersectionnalité

Dans cet article, j’examine la généalogie de l'”intersectionnalité”. Plus précisément, je me penche sur l’histoire de la conceptualisation de la “diversité” comme consistant en l’interaction de multiples “catégories de différences sociales”, par exemple la race, la classe, le sexe, etc.

Penser les identités dans la lutte des classes

Les critiques de la domination sociale sont traversées depuis les années 1980 par une tendance à produire une lecture autonomisée des formes d’oppression. Depuis la sociologie des nouveaux mouvements sociaux (Alain Touraine) jusqu’à la théorie politique post-marxiste (Chantal Mouffe et Ernesto Laclau), la structure de classe cède peu à peu le pas au primat de la conflictualité, d’un antagonisme qui s’extirperait du champ de la production.

Dyke March Hamburg (Creative commons)
L’intersectionnalité chez Crenshaw: un projet politique centrée sur la « race »

En rappelant que la complexité et l’intrication des dominations ont été analysées dès le 19e et le début du 20e siècle par les auteurs et autrices marxistes, communistes et socialistes, Florian Gulli interroge les apports réels de l’intersectionnalité dans la compréhension des rapports sociaux et leur transformation.

Racisme « structurel » : le risque d’un effet boomerang

Le débat public a vu ces dernières années apparaître les notions de « racisme structurel » ou « systémique », mises en avant pour mettre l’accent sur les dimensions collectives du racisme comme conséquences hiérarchisantes du fonctionnement concret d’institutions et de configurations qu’elles rendent possibles…

Misères du décolonialisme, promesses du décolonial

Pour ses détracteurs, le terme décolonial sert un combat militant mené par un mouvement héritier de la déconstruction, qui entend lutter contre les inégalités en assignant chaque personne à une identité de race ou de genre…

La centralité du travail dans les rapports de pouvoir

Produire et se reproduire: La domesticité comme solution?

Le déplacement des soins aux populations du service public vers le marché à l’aune duquel elles sont une opportunité de profit a dynamisé le secteur des services au domicile. Cette reconfiguration du travail reproductif, articulée à celle du travail productif , tant à l’échelle nationale que mondiale, est explorée par Alizée Delpierre qui, à partir de l’analyse des transformations de la division du travail reproductif montre que la « domination rapprochée » que constitue le rapport de domesticité, échappant aux formes standard de l’emploi, reconduit les hiérarchies genrées et raciales.

Appâtés et piégés dans un travail pour immigré: les rêves déçus des chauffeurs Uber

Alors que les Uber Files ont révélé le deal secret entre Emmanuel Macron, lorsqu’il était ministre de l’Économie et des Finances, et la plateforme de chauffeurs pour faciliter son implantation en France, Sophie Bernard montre dans cet article que la firme américaine a délibérément ciblé les habitants des quartiers populaires qu’elle considère comme un réservoir de main d’œuvre docile, en leur promettant un enrichissement rapide.

Penser les rapports de pouvoir pour combattre les dominations

Si l’approche intersectionnelle a eu de nombreuses appropriations militantes, la focale de ces dernières sur les catégories dominées plutôt que sur les rapports sociaux qui sous-tendent la production des identités de groupe, tend à essentialiser des catégories auxquelles l’appartenance pour les sujets va de soi.

Les métiers féminisés du soin et du lien aux autres: entre utilité sociale et dévalorisation professionnelle et salariale

Les économistes Rachel Silvera et Séverine Lemière présentent, dans cet article, une partie de l’étude financée par l’IRES pour la CGT pour comprendre les mécanismes concrets des inégalités professionnelles dans le secteur du soin et du lien aux autres, au croisement de toutes les formes de pénibilité.

Trajectoires scolaires et inégalités

Familles immigrées: le niveau d’éducation progresse sur trois générations mais les inégalités sociales persistent

Conduite par l’Ined et l’Insee, la deuxième édition de l’enquête « Trajectoires et Origines » permet, pour la première fois, de savoir si les familles issues de l’immigration parviennent à surmonter les obstacles à leur ascension sociale en mesurant la progression du niveau d’éducation sur trois générations, ainsi que son rendement sur le marché du travail.

Inégalités territoriales et trajectoires scolaires de jeunes des quartiers populaires

Dans l’enquête ethnographique qu’il a menée de 2005 à 2015 auprès d’anciens élèves, du bac jusqu’à la fin de leurs études, le sociologue Fabien Truong offre un éclairage sur les inégalités territoriales à partir du rapport contradictoire qu’entretiennent les jeunes de banlieues populaires à la fréquentation des institutions scolaires et universitaires.. Entretien

Des filles en lycée professionnel: Des trajectoires de formation aux prises avec les inégalités

Les vies des filles des milieux populaires sont, comme d’autres, marquées par des rapports sociaux de domination qui ont notamment à voir avec leur appartenance de sexe et de classe sociale. Nous nous sommes intéressées aux trajectoires scolaires de ces filles en milieu rural, notamment à celles qui n’ont pas particulièrement investi l’école ou qui n’ont pas pu l’investir comme support de réussite scolaire…

Enseignement professionnel: une réforme pour les jeunes ou pour les entreprises ? 

La succession des réformes de l’enseignement professionnel où se concentrent les jeunes de milieux populaires et issus de l’immigration, révèle le mépris social des responsables politiques pour ses enseignants, ses diplômes et les élèves destinés à occuper des emplois ouvriers et d’employés qualifiés…

Lutter contre les discriminations,
pour l’égalité et l’émancipation aujourd’hui

Vers une libération totale: La solidarité contre une politique du plus petit dénominateur commun

La principale menace pour la gauche réside dans la tentation de mettre en œuvre une politique du plus petit dénominateur commun autour d’une identité étriquée. En alimentant une concurrence des luttes, cette stratégie fait le jeu du capitalisme qui cultive les différences pour diviser celles et ceux qu’il exploite et opprime. Ashley Bohrer plaide au contraire pour un mouvement pluridimensionnel…

Face aux offensives de l’idéologie dominante, forger une compréhension commune du réel

Si la question de l’articulation des luttes fait problème, avec la possibilité d’une rivalité entre les nouveaux sujets politiques qu’elles cherchent à instituer, en comprendre les causes implique d’interroger la façon dont les lignes de fracture de la réalité sont conceptualisées dans les courants féministes et antiracistes…

Les difficultés de la lutte contre le racisme à l’école

Si la définition classique du racisme comme une idéologie amène logiquement à conférer à l’école la mission de démystifier rationnellement ces fausses croyances pour lutter contre le racisme, l’enquête menée par Aurélien Aramini dans deux collèges et un lycée de l’est de la France cherche à comprendre le racisme « en situation ».

Différentes et égales

Alors que la dernière édition du rapport d’ONU Femmes sur l’égalité des sexes dresse un tableau alarmant des droits des femmes et de leurs conditions de vie qui régressent en raison des conflits, du réchauffement climatique, de la persistance du sexisme et des violences de genre, Lilian Halls-French rappelle dans cet article l’urgence de mettre enfin à l’ordre du jour politique le combat pour l’égalité…

Comment lutter contre les inégalités de santé entre les femmes et les hommes?

Les différences de santé entre femmes et hommes résultent d’interactions complexes entre des facteurs biologiques, socioculturels et économiques. Si des spécificités anatomiques et physiologiques participent de ces différences, elles ne sont pas exclusives.

L’avenir de l’émancipation

S’émanciper, c’est aspirer à se soustraire à une emprise, une tutelle ou une domination qui entravent la liberté de décider et d’agir de façon autonome. Cette aspiration a une dimension juridique, qui consiste à devenir légalement responsable de ses actes. Mais elle a surtout un caractère politique, au sens où elle appelle une modification d’un ordre institué de relations sociales…

Combattre les discriminations sans essentialiser les identités

Si la question de l’articulation entre les luttes émancipatrices est aujourd’hui majoritairement posée à partir de leur hiérarchisation, c’est, d’après Alain Policar, parce qu’elle postule qu’autour de chacune de ces luttes se constituent des groupes sociaux homogènes aux intérêts antagoniques à partir d’une seule dimension de notre existence sociale…

Miroir

Repères