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«Être dans un syndicat, encore plus à la CGT, façonne politiquement»

«Être dans un syndicat, encore plus à la CGT, façonne politiquement»Temps de lecture : 7 minutes

Dans cet entretien, Thomas Vacheron, secrétaire confédéral de la CGT, revient sur le rôle du syndicat comme contre-pouvoir indépendant au service des travailleurs et de la défense de leurs intérêts dans l’entreprise, et comme outil de construction du collectif et de solidarités concrètes pour une société plus égalitaire et plus juste. Cherchant à rassembler au-delà des clivages partisans, le syndicat constitue également un rempart contre l’extrême droite, pouvant appeler à l’unité comme la CGT l’a fait lors des législatives de 2024 en soutenant le programme du Nouveau Front populaire qui offrait en outre des débouchés politiques aux luttes menées notamment contre la réforme des retraites.

Comment articuler les rôles des syndicats et des partis ?

Pour les articuler, il est important d’abord de bien identifier leurs différents rôles :

Un parti réunit sur son programme, sur un projet. Il attend donc des adhérents d’être alignés dessus, au sens de partager des positions communes pour un programme et un projet sur le type de société qu’on veut.

Le syndicat c’est un outil, c’est même le seul outil aux mains des travailleuses et travailleurs pour se défendre et s’organiser au sein de l’entreprise, où on passe toutes nos journées et de plus en plus toute notre vie. En France, le syndicat réunit les travailleurs sur leurs seuls intérêts communs. Cela justifie une ouverture de principe à tous les travailleurs, sur leurs seuls intérêts et au-delà de leur éventuel choix partidaire.

À la différence d’un parti, le syndicat ne recrute pas sur un programme, mais sur la préoccupation et les besoins immédiats des salariés. Alors que le parti c’est un choix politique, le syndicat pour les salariés, ce n’est pas un choix, mais un besoin. En organisant les salarié·es, le syndicalisme est un contre-pouvoir social au sein des entreprises, là où il y a le moins de droits pour les salariés, le moins de loi protectrice, de fait là où il y a le moins de démocratie.

Mais être dans un syndicat, et encore plus à la CGT, façonne politiquement. En défendant ses intérêts de travailleurs, on arrive de fait à défendre des pistes pour une autre société, moins inégalitaire et plus solidaire. On n’a pas besoin d’être « progressiste » pour entrer dans un syndicat, mais y être aide à le devenir (on le voit par exemple sur le vote RN qui est moins important quand il y a une proximité syndicale). Par ses formations et ses diverses formes « d’éducation populaire », le syndicalisme participe à changer les idées des adhérent·es et à leur faire prendre conscience de l’intérêt du collectif, des actions de solidarité concrètes ; et du fait qu’unis on est plus fort que divisés.

Le syndicat devient le dernier rempart progressiste aujourd’hui contre la montée de l’extrême droite. L’intérêt aussi de l’ouverture du syndicat est que l’ensemble du salariat puisse bénéficier de cet outil et de ce vecteur de conscientisation et de politisation, que n’assurent plus ou trop peu les partis politiques progressistes.

C’est cette différence fondamentale entre syndicats et partis qui amène à devoir assurer une articulation essentielle entre eux : l’indépendance. Des appels communs ou parallèles sont possibles, mais ils ne doivent jamais remettre en cause l’indépendance syndicale. L’intérêt c’est d’une part, que les syndicats ne soient pas fermés sur eux-mêmes sur une base trop étroite. C’est d’autre part s’assurer que les syndicats constituent un contre-pouvoir, que le gouvernement soit de droite (éviter les contre-réformes) ou, réellement, progressiste (pour le forcer à appliquer son programme, et les revendications spécifiques syndicales, comme en 1936). L’histoire est là pour nous le rappeler : nous savons qu’il y aura besoin de contre-pouvoirs dans les entreprises et dans la rue pour éviter les divisions et les trahisons.

Indépendance ne veut pas dire neutralité. En écho à d’autres moments de notre histoire où la CGT a su prendre ses responsabilités, cela se retrouve dans notre pratique actuelle, car il y a un an, le 10 Juin 2024, au matin, la première organisation collective à dire « face à l’extrême droite, Front populaire », c’est la CGT. Ce fut le cas aussi pendant la campagne, où nous avons pris notre place, sur nos revendications syndicales, dans ce combat commun dans les entreprises et les services, contre l’extrême droite et pour le progrès social.

Les forces syndicales et politiques doivent-elles s’additionner et se compléter, et si oui, comment ?

L’exemple des législatives de 2024 a mis en évidence le rôle crucial des syndicats dans la mobilisation contre l’extrême droite en demandant l’unité politique face à ce danger mortel.

Mais dans la construction d’un rapport de forces d’ensemble, nous avons besoin de tenir compte des problématiques unitaires différentes et du fait que le temps syndical et le temps politique ne sont pas forcément les mêmes. La pratique et l’idée que nous cherchons à développer, c’est d’être majoritaire à chaque étape de l’action syndicale. Dans le nécessaire développement du syndicalisme, nous cherchons à nous implanter dans les entreprises et les services pour plus et mieux organiser le salariat, car notre seule force, c’est son nombre, mais il n’a d’efficacité que s’il est organisé. C’est aussi dans ce sens que nous engageons le travail en commun avec la FSU, pour rassembler le syndicalisme de transformation sociale, afin de lutter contre l’émiettement sans fin et de redonner des perspectives positives pour tout le salariat.

Il y a besoin d’un débouché politique aux revendications syndicales. Le syndicalisme porte ses revendications directement dans l’entreprise (augmentations des salaires, égalité professionnelle, application des 35 heures etc.), mais également au niveau national et de la loi (indexation automatique de tous les salaires sur le prix, Smic à 2000€ brut, rétablissement des CHSCT etc.). Pour ces dernières, le débouché politique est important et nécessaire. Cela a été le sens de la campagne de la CGT en faveur du programme du Nouveau Front populaire (NFP) en juin dernier : un soutien à un programme qui reprenait nombreuses de nos revendications.

Par ailleurs, s’il n’y avait pas eu de mobilisation en 2023 sur les retraites, le gouvernement n’en parlerait plus. En 2019 sur la retraite par point, comme en 2023, aucune autre force que le syndicalisme ne peut mobiliser par millions et rassembler autant la population. Nous considérons que le résultat des élections législatives de l’an dernier est aussi un effet différé de cette mobilisation. Elle explique en partie le résultat du NFP, mais aussi la défaite électorale de tous ceux qui ont défendu le projet de retraite à 64 ans. Aujourd’hui, ce sont justement les perdants de ces élections qui dirigent le gouvernement, mais un gouvernement minoritaire dans l’Assemblée et dans le pays. Nous avons aussi conscience qu’il n’y a, aujourd’hui, pas de majorité progressiste alternative.

Quels axes vous semblent prioritaires à développer pour un rapport syndicalisme / politique efficace ?

Un des problèmes percutant une bonne conjugaison de l’action politique et syndicale est l’instrumentalisation dont font trop souvent l’objet les syndicats, les syndicalistes et même certaines luttes sociales. Ces dernières peuvent être dévoyées par des interventions politiques gênant la construction unitaire au lieu d’aider à ouvrir des perspectives, voire même modifier l’objectif premier qui est le succès revendicatif.

Depuis deux décennies, les réflexions sur les rapports entre syndicalisme et politique ont surtout été menées du côté syndical où elles font l’objet de discussions régulières. Les choses bougent et sont en train de se modifier y compris en intégrant le mouvement associatif et citoyen. Les mobilisations doivent respecter l’indépendance des différents acteurs, lesquels peuvent avoir des formes différentes. Sur le plan politique comme syndical, les comportements hégémoniques ou identitaires figés apparaissent contre-productifs, freinent l’élargissement des mobilisations et sont réducteurs du rapport de force à construire.

Un autre volet reste les problématiques de mélange des genres et d’instrumentalisation de l’outil syndical. L’objet du syndicat n’est pas de traiter les différents politiques ni d’être leur terrain de jeu. Nous refusons l’instrumentalisation de notre syndicalisme. Nous voulons être l’outil de tous les salariés, pas seulement des salariés politisés ou militants. Le syndicalisme est efficace que lorsqu’il est utile, qu’il protège des reculs ou gagne des avancées, qu’il mobilise et s’implante dans les larges couches du salariat.

Le syndicalisme c’est une représentation directe des intérêts des travailleurs et comme lien avec les réels vécus par le salariat.

C’est avec ce niveau de connaissance et de conscience partagées que nous pouvons et devons travailler avec les organisations politiques, comme nous le faisons avec les associations.

Comment appréhendez-vous les rapports syndicats, patronat et pouvoirs publics ?

Là encore, l’indépendance des décisions et de leurs processus est essentielle. C’est vrai dans les relations entre syndicats et partis ou élus. C’est vrai aussi entre syndicat et gouvernement pour la CGT. Un éventuel accord idéologique ne doit pas déterminer la position du syndicat en lieu et place de sa mission de défense des intérêts des travailleurs qui doit prévaloir en toutes circonstances.

Avec le patronat, l’indépendance y compris financière doit être la règle dans les relations. Celles-ci s’opèrent par des négociations et des compromis qui ne peuvent être que le résultat du rapport de force établi avec les travailleurs. À tous les niveaux, le syndicalisme CGT tient compte de la réalité et du rapport de force. Dans une entreprise, les délégués vont rencontrer la direction. Ils n’ont pas pour autant l’illusion d’obtenir satisfaction sur leurs revendications. Mais c’est un moyen d’argumenter auprès des salariés et démontrer qu’ils sont leurs représentants légitimes. Ils savent que les avancées n’ont lieu que lorsque le rapport de force leur est favorable. Mais ils participent aux négociations pour dire aux salariés, « voilà ce que nous avons défendu et voici la réponse patronale ». C’est de leurs réactions que dépendent aussi les suites.

Le syndicalisme n’a pas à dire s’il faut ou non censurer et les organisations politiques n’ont pas à s’ingérer dans les stratégies syndicales et c’est aussi ce qui nous permet de rassembler la majorité du salariat.

La CGT veut être un syndicat indépendant, du patronat, de l’État, du gouvernement, des églises et des partis. Tout le monde a sa place à la CGT, quelles que soient ses orientations idéologiques, sauf les militants d’extrême droite.

Depuis 130 ans, la CGT a dû lutter pour cette indépendance avec des hauts et des bas. Mais nous y tenons, nous voulons décider dans nos structures de nos actions et de nos orientations, c’est cela aussi la démocratie. Nos relations avec les autres forces sociales, doivent se faire dans le cadre de cette intelligence collective.

Pour citer cet article

Thomas Vacheron, «Être dans un syndicat, encore plus à la CGT, façonne politiquement», Silomag, n°19, juillet 2025. URL:

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