De multiples mesures de régulation ont été décidées pour éviter la multiplication des faillites. Mais des zones de risque subsistent. Pour autant, la probabilité d’une nouvelle crise économique semble plus forte que celle d’une nouvelle crise financière.
Les leçons de la crise ont partiellement été tirées, sous la pression des faillites, des régulateurs et… d’amendes record!
Il convient d’abord de rappeler que la crise financière de 2007 a entrainé des faillites retentissantes (Lehman Brother et AIG aux États-Unis étant les plus connues, mais aussi Dexia en France ou HBOS en Angleterre) mais aussi des sauvetages coûteux d’établissements piégés par les subprimes et autres créances douteuses : Freddy et Fanny May, Washington Mutual, Fortis, Hyporealestate, les Caisses d’Épargne espagnoles, les banques régionales italiennes, les banques grecques, etc. Par ailleurs, des amendes records ont été infligées aux banques internationales, pour l’essentiel par la justice américaine : 97 % des plus de 200 milliards de pénalités sur 10 ans. Ces amendes sanctionnant des défaillances des systèmes de contrôle des banques et/ou les pertes infligées aux investisseurs ont apporté un puissant stimulant à la refonte du système financier.
La première réponse des Autorités financières internationales a consisté à renforcer les ratios prudentiels exigés des banquiers et assureurs. Les Accords de Bâle 3[1] ont considérablement augmenté les exigences de Fonds Propres des banques (aujourd’hui supérieurs à 10% contre 4/5%). Ils ont renforcé les exigences de liquidité et plafonné l’effet de levier[2]. Pour les Assureurs, s’est ajoutée la marge de solvabilité, et les placements financiers pour le compte des assurés ont été strictement cantonnés.
Une deuxième réponse a consisté en des exigences accrues en matière de contrôles internes de l’ensemble des opérateurs des Marchés financiers (banques, assurances, brokers[3], sociétés de gestion, etc.) et à tous les niveaux : dissociation des fonctions de Président du Conseil d’Administration (superviseur) et de Directeur général (opérationnel) ; mise en place de Comités des risques rapportant au CA ; recrutement massif de contrôleurs ; institutionnalisation des procédures (connaissance des clients, suivi des positions, valorisation des instruments financiers, etc.)
Ces contrôles internes ont été favorisés par les obligations réglementaires de recentrage des transactions sur les Marchés organisés. Les Marchés parallèles dits de gré à gré ont perdu beaucoup de leur importance. Aux États-Unis comme en Europe depuis 2014, toutes les transactions sur produits dérivés doivent faire l’objet d’une déclaration et d’une compensation officielle. La Directive MIFID2[4], longuement et difficilement négociée, et finalement publiée en septembre 2014, prévoit une obligation de négociation des actions sur des marchés organisés, ainsi qu’une obligation de transparence sur les autres instruments (obligations, dérivés, produits structurés). Par ailleurs, MIFID2 renforce la protection des investisseurs, sur le plan notamment de la prévention des conflits d’intérêt.
Cela s’est accompagné, sous la pression également des ONG, d’importants progrès dans la lutte contre les paradis fiscaux, qui avaient servi non seulement à l’évasion et au recyclage de l’argent sale, mais aussi à domicilier la Finance de l’ombre (shadow banking)[5], c’est-à-dire les opérations spéculatives (en particulier des spéculateurs professionnels comme les hedge-funds[6]), les opérations hors-bilan ou de gré à gré des opérateurs financiers, et certains nouveaux instruments de dette. La quasi-totalité des grands paradis fiscaux (Suisse, Luxembourg, iles des Caraïbes, Ile Maurice, Singapour, etc.) est rentrée dans le rang, en abandonnant le secret bancaire et en ouvrant leurs livres. Il reste néanmoins une importante zone noire avec les pays pratiquant le discount fiscal pour les multinationales (Irlande, Pays-Bas, Delaware aux US, etc.).
Enfin, on constate une indépendance accrue des Superviseurs et des Professionnels de l’Analyse (Agences de notation et Auditeurs notamment). En sus des amendes américaines, les superviseurs des Bourses ont rationalisé et internationalisé leur architecture. En Europe, l’ESFS (European System of Financial Supervision) et la BCE contrôlent l’ensemble des Autorités nationales, voire directement les acteurs des Marchés. Aux États-Unis, la FED (Federal Reserve System) et la NASD (National Association Of Securities Dealers) ont accru leurs moyens humains et informatiques, tandis que de nouvelles règles (loi Dodd-Frank de 2010) ont alourdi les ratios et la surveillance des banques « too big to fail ».
Mais des zones de risques subsistent
Du fait de taux d’intérêt historiquement bas, les encours de crédit ont repris une progression soutenue aux États-Unis, avec des risques évidents de bulle notamment dans deux secteurs : les prêts aux étudiants, et les crédits automobiles dans lesquels est réapparue une catégorie « subprime[7] ». Aujourd’hui, on estime le total de la dette subprime (immobilier, prêts étudiants et auto) à 1 250 milliards de dollars, ce qui se rapproche des 1 900 Milliards atteints en 2008-09.
Dans le financement des entreprises, la dette « corporate » (c’est-à-dire non bancaire) représentait 41% du PIB aux USA, contre 13% en Europe ; ces financements par les Marchés (titrisation[8], placements privés, capital-risque, etc.) comportent un risque évident, car non soumis aux règles prudentielles des banques. En Europe, commencent à émerger des financements désintermédiés[9] notamment sur internet, où les prêteurs sont beaucoup moins protégés et où des accidents vont immanquablement se produire. En Asie, le shadow-banking chinois atteindrait 7 000 milliards d’euros d’encours et préoccupe les Autorités, encore qu’une part significative des prêteurs appartienne au Secteur public.
Un risque de valorisation apparait évident dans le secteur non-côté qui s’est beaucoup développé dans le monde. Ce développement a été alimenté par la recherche de rendement des investisseurs institutionnels dans un environnement de taux bas, et par l’activisme des hedge-funds dont les encours ne faiblissent pas (3 000 milliards de dollars). Les prix des valeurs non cotées, notamment du secteur technologique et internet, se sont envolés ces dernières années aux États-Unis et en Asie, ce qui ressemble à une bulle prête à éclater.
En face, l’épargne financière s’est massivement réorientée vers les Fonds indiciels (ETF)[10] dont les encours dépassent aujourd’hui 3 500 milliards de dollars ; leurs caractéristiques consistent à dupliquer les indices boursiers avec des commissions très faibles. Mais cela pourrait poser un important risque de liquidité en cas de krach boursier et/ou de panique sectorielle (sur les valeurs technologiques par exemple), car les marchés comptants iront dans le même sens et ne pourront faire contrepartie. Régulièrement d’ailleurs, on assiste à des minikrachs sur les Bourses consécutifs aux algorithmes du trading haute fréquence, très liés aux fonds indiciels.
Enfin, le programme de Trump comporte un allègement des contraintes pesant sur le secteur financier qui a été mis en pratique immédiatement. Une loi vient d’être votée par la Chambre des Représentants (mais pas par le Sénat) qui viderait la loi Dodd-Frank de l’essentiel de son contenu. Réduisant les exigences de fonds propres et supprimant les contraintes du « too big to fail », elle alimenterait le trading pour compte propre[11] des banques US, qui a expliqué une partie de la crise financière de 2007.
La probabilité d’une crise économique semble supérieure à celle d’une nouvelle crise financière
Le cycle de reprise économique conjoncturelle aux USA, débuté en 2009, parait à bout de souffle (fléchissement des ventes de voitures, stagnation du marché immobilier, montée de la pauvreté). Or le programme économique de Trump, censé protéger l’industrie et les travailleurs américains, mène tout droit à la récession. La lutte contre l’immigration stoppe un des principaux moteurs de la croissance séculaire, à savoir l’augmentation de la population. Le tournant protectionniste a fort peu de chance de rapatrier la sidérurgie et d’autres industries traditionnelles du fait de leur non-compétitivité. La « déréglementation » des banques ne recréera pas de l’emploi dans un secteur en voie de digitalisation. Le gonflement des dépenses militaires se heurtera au mur de la dette américaine, dont les taux d’intérêt sont orientés à la hausse. Dans cet environnement, et au moins aux États-Unis, la probabilité d’une crise économique semble bien supérieure à celle d’une nouvelle crise financière.