Hérités de la colonisation, les systèmes de protection sociale en Afrique subsaharienne ne concernent, au moment de l’indépendance, que les travailleurs des secteurs publics. Élargis par la suite aux travailleurs du secteur privé formel non agricole, ils restent souvent non accessibles à une grande majorité de la population. Néanmoins, avec l’échec des politiques néolibérales imposées par les institutions financières internationales, des mesures ont été mises en place dans nombre de pays africains qui ont intégré la Couverture sanitaire universelle pour objectif. Félix Atchadé nous replace cette histoire dans son contexte, nous propose un rapide état des lieux et ouvre des pistes pour permettre le développement d’une véritable sécurité sociale dans cette région du monde.
L’Afrique subsaharienne, encore appelée l’Afrique au sud du Sahara ou l’Afrique noire, est l’étendue du continent africain située au sud du Sahara[1]. Elle regroupe 48 pays (îles comprises) sur une superficie de 24.271.000 km². L’Afrique subsaharienne comptait environ 1,033 milliard habitants en 2016 soit 14 % de la population mondiale.
À l’échelle mondiale, selon la Banque mondiale, le poids économique de l’Afrique subsaharienne reste modeste, à peine 2,3 % du PIB mondial. Le Revenu moyen brut (RNB) par habitant est de 1651 US dollars très loin de la moyenne mondiale.
Si, vue de l’extérieur, l’Afrique subsaharienne peut paraître homogène, il est plus difficile de ne pas noter la diversité qui est sienne dès lors qu’on change de perspective. Que de différences entre ce que le géographe Roland Pourtier appelle l’Afrique des troupeaux et celle des greniers et de la houe !! Ou encore entre l’Afrique des paniers et celle des bananiers.
Économie et géopolitique de la protection sociale en Afrique
Depuis le milieu des années 1980, la plupart des pays d’Afrique subsaharienne sont sous la coupe réglée des institutions de Bretton Woods (Banque mondiale, Fonds monétaire international). Elles imposent des politiques néo-libérales inspirées du Consensus de Washington. Que ces politiques aient pour nom Ajustement structurel, stratégie de croissance accélérée, initiative PPTE (Pays pauvres très endettés), Document stratégique de réduction contre la pauvreté (DSRP), elles ont en commun d’être fondées sur le postulat que les forces du marché sont les mieux à même de favoriser la croissance économique qui, elle-même, est confondue avec le développement.
Le résultat de cette révolution néolibérale a été très en deçà des espoirs de ces initiateurs. Les taux de croissance enregistrés pendant la première décennie du siècle, de l’ordre de 5 à 6 %, sont loin d’avoir fait reculer la pauvreté. La croissance n’est pas suffisamment forte pour absorber les millions de jeunes qui grossissent chaque année les rangs des demandeurs d’emploi.
La période de libéralisation économique des années 1980 avait vu les programmes de Protection sociale régulièrement dénoncés par la Banque mondiale comme économiquement néfastes et socialement injustes, seuls étant légitimes les filets de sécurité minimaux réservés aux populations les plus pauvres confrontées à des chocs sociaux.
Quelques évènements vont amener à changer de paradigme. Parmi ceux-ci, on peut noter la crise asiatique de 1997, le désenchantement progressif par rapport aux effets économiques attendus des programmes d’ajustement structurel et la prise de conscience de leurs effets négatifs sur la pauvreté.
L’adoption en l’an 2000 des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) par l’Assemblée générale des Nations unies a également eu une influence importante sur l’agenda international. De même que la « campagne mondiale sur la sécurité sociale et la couverture pour tous » de l’Organisation internationale du travail (OIT) ou encore la campagne « Initiative pour un socle de protection sociale » menée conjointement par l’OIT et l’OMS tout au long des années 2000.
État des lieux
Les systèmes de protection sociale en vigueur en Afrique subsaharienne ont été hérités de la colonisation. À l’indépendance, la prévoyance était limitée aux travailleurs du secteur public. Ce n’est qu’au cours des décennies suivantes que les systèmes de protection sociale furent élargis aux travailleurs du secteur privé formel. La majeure partie des systèmes en vigueur sont de type bismarckien dans lesquels les bénéficiaires paient des cotisations qui leur ouvrent le droit à une série de prestations sociales. Les systèmes de sécurité sociale obligatoires en Afrique sont financés à partir des prélèvements obligatoires sous forme de contributions employeurs et employés. Les niveaux de contribution vont de 8 % du salaire au Rwanda à 16 % au Ghana.
Depuis une décennie, on note des programmes de transfert en espèces, non contributifs, qui ciblent les plus pauvres. Ces programmes apportent une touche « beveridgienne » aux systèmes.
Ce qui caractérise les systèmes de protection sociale d’Afrique subsaharienne c’est la faiblesse de la proportion de la population ayant accès aux prestations, du nombre de branches de la sécurité sociale auquel à accès la population et enfin du niveau et de la qualité des prestations. Pour l’ensemble du continent, le taux de couverture moyen est de 6 % alors que la moyenne mondiale est de 25 %. Moins de 20 % des personnes âgées ont accès à une pension de retraite. Dans la plupart des pays, ce taux tombe à moins de 10 % selon l’Organisation internationale du travail (OIT).
La population assujettie aux différents régimes de prévoyance sociale est faible. Les agriculteurs qui constituent la composante la plus importante des populations (près de 85 %) et les travailleurs exerçant dans le secteur informel ne sont pas couverts. En outre, la problématique de la couverture sociale (notamment en matière de retraite) des travailleurs qui se déplacent d’un pays à l’autre demeure entière.
Les pensions servies sont aussi d’un niveau assez bas compte tenu des niveaux de rémunération dans les différents pays. Les réajustements périodiques prévus par les textes ne sont généralement pas appliqués.
La couverture du risque maladie connait un développement important. La plupart des pays africains ont intégré la Couverture sanitaire universelle (CSU) parmi les objectifs de leur stratégie nationale de santé.
Le Rwanda fait partie des bons élèves du continent. Depuis 2004, le pays a mis en place un système national d’assurance maladie qui couvre désormais plus de 80 % de sa population.
Le Ghana a, depuis 2003, un système d’assurance-maladie universel pour tous les résidents. Le Programme national d’Assurance-Maladie (PNAM) est géré par l’Autorité nationale de l’Assurance-Maladie (ANAM), une agence gouvernementale centralisée qui a son siège social à Accra. L’ANAM accrédite les fournisseurs publics et privés et est responsable des politiques et des opérations du PNAM. Le PNAM est financé au niveau national à partir d’un fonds unique, le Fonds National de l’Assurance-Maladie (FNAM). La source principale de financement est la taxe nationale de l’assurance-maladie basée sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA, 2,5 %). Les fonds dédiés constituent 90 % des revenus totaux ; plus de 70 % proviennent de la taxe et environ 20 % de contributions versées par les travailleurs du secteur administratif à la Réserve nationale de la Sécurité sociale (RNSS). Un 10 % additionnel provient d’autres sources, incluant les paiements de primes.
L’Afrique du Sud est le pays du continent africain qui consacre la part la plus importante de sa richesse à la protection sociale. La part de ses dépenses publiques dans l’ensemble des dépenses de santé est la plus importante (soit 48,2 %) parmi tous les pays du continent. Selon l’OIT, presque tous les retraités perçoivent une pension, ce qui place ce pays largement en tête des autres pays dans ce domaine. C’est également le seul pays à verser des indemnités de chômage à certaines catégories d’actifs. L’Afrique du sud « Old Age Pension » alloue à 3 millions de personnes une pension de 135 dollars par mois.
Les perspectives
L’Afrique subsaharienne est la région du monde qui enregistre les dépenses de sécurité sociale les plus basses après l’Asie du Sud. Mais on constate une hausse des dépenses dans la plupart des pays. Ces dépenses se limitent, dans bien des cas, à la mise en place de filets sociaux de sécurité et à la couverture du risque maladie.
Il est nécessaire de remédier à la faiblesse des taux de couverture en étendant la sécurité sociale au secteur informel et au monde rural. Cela passe par une rupture avec le modèle néolibéral de croissance sans développement, mais aussi avec les logiques d’extraversions[2] ͤqui caractérisent les économies africaines. Il faut repenser les modèles économiques, les réorienter vers la création de richesses répondant aux besoins fondamentaux.
Une lutte s’impose : s’opposer au changement de paradigme qui s’opère !! La Banque mondiale n’envisage pas la protection sociale dans une perspective de droits universels. L’État social est basé sur le principe de citoyenneté et d’égalité des droits et est potentiellement universel. Ce que met en place la Banque mondiale, c’est une protection sociale ciblée. Elle parle de « résilience », d’« équité », d’« opportunité » selon la situation des gens. Mais pas de solidarité, de citoyenneté ou d’universalité. Face au défi, les forces démocratiques organisées, qu’elles soient politiques, associatives ou syndicales, doivent se saisir de ces enjeux et s’inviter dans le débat. Il s’agit de faire la démonstration qu’une véritable sécurité sociale est possible en Afrique subsaharienne, malgré les résistances, les pressions endogènes et/ou exogènes.
Les partis progressistes, les syndicats, les mouvements sociaux doivent pousser pour que la Protection sociale qui est mise en place soit au bénéfice de toute la société.