La création d’eau de Paris en 2019 est l’un des symboles forts de la politique de gauche de la capitale française. Elle est la transcription d’une volonté politique d’une gestion intégrée, directe et publique de l’eau, qui mène les élus à reprendre le contrôle aux actionnaires privés. Dans cet entretien, Jean-Noël Aqua, élu communiste, membre du conseil d’administration en sa qualité de conseiller du 13e arrondissement de Paris, retrace l’histoire de la mise en place de cette régie, son efficacité visible et sa possible application à l’échelon supérieur, qu’il soit national ou européen.
Entretien réalisé par Jean Chevalier
Tout d’abord, comment s’est passée la mise en régie du service public de l’eau au sein de la ville de Paris et avec quelle volonté politique ?
La mise en régie a été faite sous le deuxième mandat de Delanoë, qui n’était pas contre dans l’absolu, mais n’était pas non plus pleinement convaincu. Cela a été une bataille du groupe communiste. L’idée était de prendre un contrôle public sous forme de régie, ce qui est pour moi le modèle à valoriser quand on peut le faire, car il permet une maîtrise à 100 % public.
Il y a, cependant, un problème d’ordre financier, car acquérir le matériel industriel nécessaire à la mise en place d’une régie a un certain coût. Toutes les collectivités ne peuvent pas se le permettre. Mais au niveau européen, on peut imaginer que la Banque centrale européenne puisse prêter à des organismes qui auraient ensuite la capacité de prêter à leur tour, puisqu’en l’état, les traités interdisent le prêt direct de la part de la BCE[1]. Cela fait partie des propositions du Parti communiste français sur la question européenne. Ce n’est pas une révolution, mais c’est déjà un pied dans la porte possible, en particulier sur ce bien essentiel qu’est l’eau. Il y a une vraie possibilité de faire consensus sur le sujet et de créer une majorité pour que ce genre de projet soit approuvé.
La ville de Paris, elle, avait les moyens bien que l’État nous doit beaucoup d’argent et que cela crée un manque de moyens. Nous restons une municipalité à part sur le plan financier, bien que je souhaite un alignement vers le haut pour que toutes les collectivités puissent avoir les moyens parisiens et que Paris en ait encore plus.
Sur la question de l’eau, on parle d’un outil industriel accessible pour une collectivité, je ne dirai pas cela sur la question de l’énergie. Acheter une centrale nucléaire n’aurait pas de sens, il y a des domaines où il faut une expertise d’État et un service public national. Au niveau national, un service public de l’eau est également souhaitable, ce qui ne veut pas dire que ce dernier ne peut pas être constitué d’un maillage de régies locales. L’eau fait partie des domaines où l’on peut avoir des personnes compétentes pour l’expertise au niveau local avec une mise en commun des savoirs à l’échelon national.
Quels ont été les effets de cette mise en régie ?
Sur Paris, ce modèle 100% public a permis plusieurs choses. Tout d’abord, une maîtrise publique de la part des élus et non plus d’actionnaires privés, une amélioration de la qualité de l’eau, ce qui entre en contradiction avec la fable libérale de l’amélioration par la concurrence. Cette amélioration est due à une recherche de la qualité et non de la rentabilité. La baisse du prix du mètre cube de l’ordre de 7 centimes est aussi à mettre au crédit de la mise en régie, une baisse qui est restée relativement stable, car nous n’avons dégelé le prix qu’une seule fois depuis la prise de contrôle public en 2019. Cette baisse est tout autant consécutive à celle de la TVA qu’à l’absence de dividendes reversés aux actionnaires. Cela représente un avantage réel pour les usagers parisiens, mais aussi pour les autres usagers franciliens. En raison de la peur de la compétitivité des prix parisiens, les opérateurs privés franciliens se sont alignés sur nos prix en anticipation, ce qui n’a pas empêché certains territoires d’Île-de-France de passer en régie, en particulier des villes communistes comme Montreuil et Grigny.
Nous avons aussi pu améliorer la question écologique dans la gestion de l’eau. En partie grâce aux bénéfices engendrés par l’absence d’actionnaires à rémunérer, nous avons pu acheter des terres situées au-dessus de nos puits de captage. De ce fait, nous pouvons accompagner les agriculteurs occupant ces terres, dans leur transition vers le Bio et par là même améliorer la qualité de l’eau que nous captons.
La régie a montré que la sortie de la concurrence était plus intéressante pour tout le monde. Le petit bémol que j’ai à formuler porte sur les salariés. On peut avoir des enjeux de type service public tout en étant dans une gestion d’une entreprise avec des méthodes managériales. Or, je défends, pour ma part, une vision fondée sur une philosophie du service public, qui inclue notamment, la question de la rémunération, du nombre de salariés, etc. Le groupe communiste a régulièrement voté contre des suppressions d’emplois par le non renouvellement de départ en retraite, ce qui met plus de pression sur les employés et facilite le recours à la sous-traitance, en particulier pour des métiers à risque, avec des salariés moins formés.
À ce bémol près, je vante le bilan de la mise en régie de la gestion de l’eau à Paris. Je plaide avec mon parti pour la création d’un véritable service public national de l’eau qui peut passer par des régies locales tout en mettant en coopération les connaissances et les expertises à une plus large échelle. Car nous sommes souvent en contact avec des villes qui veulent passer en régie, mais qui nous disent qu’elles n’en ont pas les moyens. Un service public national sur la question permettrait de résoudre ce problème. Ce service public-là et cette coordination pourraient même être envisagés à l’échelle européenne en promouvant des coopérations à ce niveau.
Par exemple, à Paris, nous avons un des meilleurs systèmes pour repérer les fuites, notamment grâce à l’accessibilité directe des canalisations par le réseau très important de tunnels souterrains parisiens. Cela nous a permis d’acquérir des compétences particulières à travers la maintenance préventive qui pourrait être notre apport à cette coopération européenne nouvelle. Il y aurait de quoi avancer, pas seulement sur la technique, mais aussi dans le domaine juridique où la collaboration à grande échelle ne peut être que bénéfique.
Que pensez-vous de la déclaration du 22 mars 2010 du Conseil de l’Europe que l’eau potable « doit être disponible, physiquement accessible, d’un coût abordable et d’une qualité acceptable » ? Y voyez-vous une contradiction intrinsèque avec la mise en concurrence opérée sur ce service public par l’Union européenne ?
J’y répondais indirectement tout à l’heure avec la question du prix. Avant la mise en régie, le prix ne cessait de monter à cause de la mise en concurrence entre plusieurs opérateurs. Force est de constater que la régie les a forcés à baisser leurs prix du fait des avantages de cette dernière sur leur mode de fonctionnement. Après, ils pourront dire « regardez, nous aussi, opérateurs privés de l’eau, avons baissé nos prix ». La réalité est que s’il n’y avait pas eu la régie à Paris, les prix auraient continué à grimper pour satisfaire cette recherche de profit inhérente aux entreprises privées. Dès qu’ils peuvent, ils montent les prix, on le voit bien ailleurs.
Si l’on veut que l’eau reste accessible et à moindre coût, il faut passer à une maîtrise publique généralisée.
Les opérateurs privés, qui par définition sont le cœur du fonctionnement capitaliste, doivent rétribuer leurs actionnaires. Ils vont donc vouloir générer le plus de marge possible. Quand on les laisse faire, cela donne n’importe quoi, que ce soit au niveau de la disponibilité, de la qualité, de l’impact écologique ou de la tarification. C’est intrinsèque à un fonctionnement capitaliste.
Par ailleurs, investir sur du long terme, comme acheter les terrains agricoles au-dessus de nos puits de captage pour améliorer la qualité de notre eau, le privé ne pourra jamais le faire, car il s’agit d’investissement de long terme, là où la seule logique des opérateurs privés est la rentabilité à court terme pour leurs actionnaires. Le capitalisme veut de la rentabilité tout de suite, encore plus maintenant avec l’ultralibéralisme.
Je pense donc qu’il y a bien une incompatibilité entre les objectifs affichés par le Conseil de l’Europe et la mise en concurrence. La logique capitaliste ne permet pas de remplir les objectifs de par son fonctionnement propre.