La politique est un métier fait par les hommes, pour les hommes, des hommes blancs plutôt âgés et plutôt bourgeois. La progression significative du nombre de femmes élues ces vingt dernières années change-t-elle la donne ? Dans cet article, Sandrine Lévêque revient sur l’ambivalence de la féminisation en politique. Si au tournant des années 1990/2000, la prescription de nouvelles règles contraignantes et incitatives, en faveur de la parité, renforce incontestablement la représentation des femmes dans les assemblés élues, une « forme de loi d’airain de l’oligarchie patriarcale » qui élimine les femmes à mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie politique, ainsi qu’une division genrée du travail politique perdurent.
La « bataille de la parité », pour reprendre un terme de Laure Bereni, est parfois considérée comme constitutive d’une troisième vague du féminisme. Après avoir conquis le droit de suffrage (lors de la première vague), la liberté sexuelle et de reproduction (au moment de la seconde vague), les femmes devraient désormais pouvoir, grâce aux lois dites « sur la parité », entamer le monopole masculin sur la représentation politique. La France a ainsi choisi à la fin des années 90 et au début des années 2000, une solution radicale pour mettre fin à la sous-représentation chronique des femmes en politique, celle d’imposer par la loi, un quota original de 50% de chaque sexe dans les assemblées. Le dispositif adopté a-t-il cependant permis une réelle féminisation du jeu politique ?
Une sous-représentation chronique des femmes en politique
Si les femmes ont obtenu le droit de vote en 1944, cet accès tardif à la citoyenneté n’a pas été synonyme d’un accès facilité aux postes électifs. L’assemblée constituante élue le 21 octobre 1945 ne compte que 33 députées femmes (dont la moitié communistes) soit 5,6% des effectifs de l’ensemble de la chambre. Alors que la seconde partie du XXe siècle est marquée par des avancées essentielles en matière d’égalité femmes/hommes désormais garantie par la constitution, le champ politique reste quant à lui très largement fermé aux femmes. La part des femmes à l’Assemblée nationale entre 1945 et 2002 (date d’application de la loi sur la parité) a ainsi varié entre 1,5% (pour la législature 1958-1962) et 10,9% pour la législature (1997-2002). La France est durant toute cette période à la traine des classements internationaux des parlements mondiaux dans ce domaine. Au niveau local, la part des femmes est passée de 3,1% des membres des conseils municipaux à 21,7% en 1995. La bonne volonté de certains partis politiques, en particulier les partis de gauche qui réfléchissent dès le milieu des années 80 à favoriser des candidatures féminines, n’a donc pas suffi à faire progresser la part des femmes parmi les élu.e.s.
À la fin des années 1990, sous la pression des mouvements sociaux et de la résurgence sur le plan international de l’enjeu de l’égalité femmes/hommes (en particulier avec la conférence de Beijing de 1995 (4e conférence onusienne sur les femmes), la France adopte non sans débat, une série de mesures visant à faciliter l’accès des femmes à la vie politique. Après avoir révisé la constitution en 1999, les parlementaires votent de manière quasi consensuelle, la loi du 6 juin 2000 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. Les dispositions de cette loi feront jusqu’à aujourd’hui l’objet d’un renforcement systématique par le vote de textes toujours plus « contraignants ». « La parité » devient progressivement pour l’ensemble de la classe politique, une nécessité indiscutable.
Les règles paritaires qui sont alors mises en place, sont à la fois contraignantes pour les élections au scrutin de liste et incitatives pour celles qui s’organisent au scrutin uninominal. La loi commence par imposer pour les élections municipales, régionales et européennes que les listes ne puissent être déposées si elles ne contiennent pas autant de femmes que d’hommes. Pour les scrutins uninominaux, les dispositifs sont incitatifs. Il s’agit, pour les élections législatives notamment, d’opérer une retenue (dont le montant sera augmenté au fil du temps) sur la part de financement public des partis politiques qui ne présenteraient pas suffisamment de femmes à la députation. Par ailleurs, certaines institutions ne sont pas concernées par la parité, comme le gouvernement, les exécutifs locaux (présidence de conseil régional, départemental ou maire) et bien sûr l’élection présidentielle.
Dans cette répartition des dispositifs selon les modes de scrutin, se lit surtout la hiérarchie implicite du champ politique. La « contrainte paritaire » est d’autant plus forte qu’elle s’applique à des fonctions électives moins prestigieuses (celles de membres des assemblées locales ou du parlement européen) et qu’elles épargnent les postes les plus prestigieux comme ceux des parlementaires ou des exécutifs locaux. Cette partition initiale n’est pas sans effet sur l’efficacité des dispositifs paritaires.
Une féminisation indéniable du champ politique
Les lois paritaires ont indéniablement permis l’accès d’un plus grand nombre de femmes à l’espace politique. La part des femmes a ainsi progressé à tous les niveaux de pouvoir. On constate par ailleurs que plus les mesures sont contraignantes, plus la part des femmes progresse parfois de manière spectaculaire. Aux municipales de 2001, dans les conseils municipaux des villes de plus de 30 000 habitant.es, la part des femmes passe de 33% à 48%. Dans les conseils régionaux élus en 2004, la part des femmes passe de 25% à 47,6% et au Parlement européen – institution qui était jusqu’alors la plus ouverte aux femmes – leur part progresse encore au sein de la délégation française passant de 40,2% à 43,6%. Pour ces assemblées soumises à une obligation « paritaire », le dispositif se révèle donc très efficace même si aucune institution – sauf les conseils départementaux – n’est aujourd’hui encore strictement paritaire.
Là où les dispositions paritaires ne sont qu’incitatives, la progression est moins spectaculaire. En 2001, alors que s’applique pour la première fois la loi sur la parité, la part des femmes maires dépasse à peine les 10%. À l’Assemblée nationale, la part des femmes passe en 2002 à 12,1% (contre 10,9 dans la législature précédente). En 2020, plus de 20 ans après la première loi et alors que les dispositifs paritaires n’ont cessé d’être renforcés, la part des femmes dans les diverses institutions a progressé, même si perdure une forme de loi d’airain de l’oligarchie patriarcale : plus on monte dans la hiérarchie politique moins les femmes sont présentes. Le mécanisme du plafond de verre continue de se déployer tout au long de la carrière politique, les faisant trébucher à chacune des étapes de leur progression plus qu’il ne les stoppe net juste avant d’arriver au sommet.
Ainsi, selon les chiffres publiés par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, l’Assemblée nationale reste composée de 61,3% d’hommes, le Sénat de 68,4%. Les exécutifs locaux comme les présidences des conseils départementaux et régionaux sont à plus de 80% (voire 90%) masculines. L’élection médiatisée de femmes souvent jeunes et moins aguerries politiquement aux élections municipales de 2020 dans des villes de plus de 100 000 habitants ne doit pas nous faire oublier que les postes de maires restent à près de 80% occupés par des hommes.
L’efficacité des dispositifs paritaires tient bien sûr à leur caractère incitatif ou contraignant, mais pas seulement. Si le principe paritaire a fait l’objet d’un relatif consensus dans son principe, sa mise en œuvre s’est confrontée à un état du champ politique où les sortants (principalement des hommes) ont cherché à en minimiser les effets afin de conserver leur poste de pouvoir. Les partis ne sont pas tous égaux face au respect des règles paritaires. En 2017 les femmes ont au total représenté 42,4% de l’ensemble des candidatures (en constante augmentation depuis 2002). Craignant des sanctions financières fortes, les partis ont ainsi joué le jeu des candidatures : La République en marche (LRM) a investi 50,3 % de candidates, le FN 49,2 %, le PCF, 49,1%, La France Insoumise 47,5 %, le PS 44,2 %, Les Républicains 38,9 % et l’UDI 39,2 %. Au final, pourtant les femmes (qui représentent 38,8% de l’assemblée au total) n’ont pas le même poids dans les différents groupes politiques : elles représentent ainsi 47% des élu.e.s de La République en marche, 46% de celles et ceux du MoDem, 41% des élu.e.s de La France Insoumise, mais seulement 38% des élu.es du parti socialiste, 25% des élu.e.s du RN, 23% de Les Républicains (23%), 20% des élu.e.s du PCF, et 17% de celles et ceux de l’UDI.
Pour arriver à ces formes de distorsions, les lois sur la parité ont ainsi été parfois et en toute connaissance de cause, détournées : les candidates ont été présentées là où les partis savaient qu’elles n’avaient aucune chance de l’emporter par exemple ; elles ont été confrontées à des dissidences organisées de la part d’hommes écartés par les commissions d’investiture, etc. Mais, et cela vaut pour les élections législatives, les partis politiques ont préféré renoncer à une part de leur financement public plutôt que de présenter le nombre attendu de candidats et de candidates. Ainsi pour la législature 2012-2017, le parti socialiste a renoncé à près d’1,4 million d’euros par an et l’UMP a près de 4 millions par an pour non-respect de la législation sur la parité. Pour la nouvelle législature (2017-2022) et alors que les « sanctions » financières ont été accrues, Les Républicains renoncent à prés 1,8 million d’euros de financement public par an. Si le jeu avec les règles explique en partie le déficit de femmes dans les institutions publiques les plus prestigieuses, d’autres mécanismes plus insidieux continuent de fonctionner pour exclure les femmes – mais aussi les classes populaires et personnes racisées – du jeu politique.
Un métier politique qui reste un métier d’homme.
Le processus de sélection du personnel reste encore et avant tout contrôlé par des hommes blancs plutôt âgé et plutôt bourgeois parmi lesquels se recrutent les députés et les dirigeants de partis politiques depuis les débuts du processus de professionnalisation politique sous la IIIe république. L’illégitimité, mais aussi le processus d’illégitimation du personnel politique qui concerne, comme l’avait montré Michel Offerlé à partir du cas de Jules Joffrin, les ouvriers, continue d’exclure les femmes, ou celles et ceux issus de la diversité. Si le racisme de classe que subissait Jules Joffrin perdure dans l’espace politique, il se double aujourd’hui d’un racisme et d’un sexisme ordinaire qui s’expriment encore régulièrement dans les médias malgré la condamnation prompte de ce genre de discours. Les élues au parlement ou sur le terrain, dans les mairies ou les administrations racontent régulièrement les attaques sexistes ou les rappels à l’ordre du genre dont elles font l’objet de la part de leurs collègues et de leurs administrés : difficulté à prendre la parole en assemblée, division sexuée du travail militant, insulte sexiste parfois sont, dans un contexte plus large de remise en cause des élus en général, le quotidien des femmes élues.
Dans l’exercice de leur mandat, perdure aussi une division genrée du travail politique : les députées se retrouvent davantage – quel que soit leur niveau d’expériences – à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales ; les délégations dans les régions, les départements et les mairies continuent de se distribuer en fonction de stéréotypes de genre – parfois assumés par les élues elles-mêmes : aux femmes la petite enfance ou les personnes âgées, aux hommes le budget ou les transports. Ces parois de verre que les élues peinent à franchir ont des effets sur leur professionnalisation politique. Réputées moins techniques, ces fonctions reviennent « naturellement » aux femmes qui sont censées les assumer sans effort en raison de leur condition même de femme. Elles ont de fait, des carrières politiques plus brèves et nombre d’entre elles quittent plus rapidement que les hommes la compétition politique. Le métier politique reste ainsi un métier d’homme, historiquement et socialement constitué comme tel. Les lois paritaires montrent ainsi à quel point, il est difficile même lorsqu’on change formellement les règles du jeu politique d’en transformer les pratiques et d’en bouleverser la logique.
Pourtant malgré les limites que nous avons signalées, la parité reste au final un succès et pas seulement parce qu’elle a effectivement permis aux femmes d’entrer dans le jeu politique ; les débats qu’elle a suscités, sa mise en œuvre permet sans cesse de rappeler que l’égalité femmes/hommes est une cause majeure qui doit être défendue dans l’espace public. Ainsi, la parité devient un gage de modernité en politique et s’applique y compris à des institutions qui n’ont aucune contrainte légale à respecter. C’est le cas pour les gouvernements qui sont désormais paritaires. La parité en politique a aussi permis d’ouvrir des chantiers importants du côté de l’égalité femmes/hommes puisque désormais, elle s’applique bien au-delà du champ politique, à l’université, dans les entreprises, dans les fédérations sportives et accompagne le mouvement de reconnaissance des droits d’autres minorités « racisées » ou sexuelles.
Pour aller plus loin :
- Laure Bereni, La bataille de la parité. Mobilisations pour la féminisation du pouvoir, Paris, Economica, coll. « Études politiques », 2015, 300 p.
- Michel Offerlé, « Illégitimité et légitimation du personnel ouvrier en France avant 1914 », Histoire, Sciences Sociales, 1984, vol. 39, n° 4, pp. 681-716