Alors que le gouvernement vient d’annoncer une augmentation des droits d’inscription pour les étudiants extra-européens, cela préfigure-t-il d’une hausse généralisée des frais d’inscription dans les prochaines années ? Cette hausse constitue-t-elle véritablement une opportunité comme la présentent ses défenseurs ? Léonard Moulin déconstruit ici les arguments les plus souvent avancés par ces derniers. Il nous présente la piste du système « par répartition » pour assurer un financement de l’enseignement supérieur plus équitable, plus efficient et permettant de couvrir réellement et de manière pérenne les besoins des universités.
Sans surprise, la hausse des frais d’inscription dans les universités est l’une des pistes de financement évoquées dans le rapport du CAP 2022[1]. En France, bien que la plupart des cursus soient encore quasi-gratuits, ce n’est pas le cas de bon nombre d’écoles qui ont emboité le pas à Sciences Po Paris en 2004. Ainsi, depuis cette date, l’Université Paris Dauphine, les écoles Centrales, les écoles des Mines, les écoles Télécom ou encore l’École des Ponts, parmi d’autres, se sont mises à faire payer leurs étudiants. Même l’école Polytechnique a franchi un cap important en ce sens en mettant en place, en 2016, un Bachelor facturé entre 12 000 (étudiants européens) et 15 000 (étudiants extra-européens) euros.
De son côté, le gouvernement vient de faire un pas décisif dans la mise en place d’un financement individualisé de l’enseignement supérieur en augmentant sensiblement les frais d’inscription pour les étudiants extracommunautaires (2 770 euros en Licence et 3 770 euros en Master et Doctorat).
Alors qu’elles ne peuvent pas (encore) moduler les tarifs des diplômes nationaux pour les étudiants originaires d’un des pays membres de l’Union européenne, certaines universités vont jusqu’à multiplier les diplômes d’université afin de faire payer leurs étudiants. Il en va ainsi pour l’Université Paris 2 Panthéon-Assas qui propose de très nombreuses formations payantes dont le coût peut atteindre 17 000 euros l’année.
Les hausses des frais d’inscription s’inscrivent dans un projet de réforme économique
Il serait utopique de considérer l’ensemble de ces expérimentations comme une série d’initiatives dispersées sans lien entre elles. Les hausses des frais d’inscription dans les établissements d’enseignement supérieur s’inscrivent dans un projet de réforme économique plus profond visant à transformer la nature même de l’enseignement supérieur. De nombreux rapports et prises de position publiques depuis une quinzaine d’années plaident en ce sens[2] .
Les arguments mobilisés par les partisans d’une augmentation des frais d’inscription se divisent en trois catégories : la satisfaction des besoins de financement des universités, l’introduction d’une plus grande équité dans le système de financement de l’enseignement supérieur et une plus grande efficience du système éducatif[3].
Le fait que l’enseignement supérieur français soit sous-financé au regard de ce qui se fait dans d’autres pays de nature comparable n’est plus à démontrer. Partant de là, certains économistes et acteurs publics réclament une augmentation des droits d’inscription afin de combler le sous-financement chronique de l’université française. Néanmoins, les choses ne sont pas aussi simples. Ainsi, les expériences étrangères dans ce domaine tendent à montrer l’existence d’un net désengagement de l’État lorsque des frais d’inscription sont introduits ou relevés. Au Royaume-Uni, par exemple, les dépenses des ménages ont dû augmenter de 54 % entre 2005 et 2008 en raison de la baisse des dépenses de l’État de l’ordre de 18 %. Par ailleurs, les mécanismes d’accompagnement des frais d’inscription, comme les prêts à remboursement conditionnel au revenu, ont un coût qui peut se révéler très important pour les finances publiques. Toujours au Royaume-Uni, Aurélien Casta[4] estime qu’entre un tiers et la moitié du montant total des prêts accordés aux étudiants ne sera jamais remboursé, ce qui constitue autant de pertes financières pour l’État et autant de gains pour le secteur financier.
Le deuxième argument mobilisé est celui du manque d’équité du système de financement de l’enseignement supérieur. Selon les défenseurs de la réforme, l’introduction de frais d’inscription serait en mesure de pallier cette insuffisance. Le mode de financement actuel de l’enseignement supérieur ne serait pas équitable selon trois arguments : car il repose sur un système d’imposition faiblement progressif (voir régressif pour les plus riches) ; car les mécanismes d’aides en direction des étudiants des classes populaires sont insuffisants pour leur permettre des conditions d’accès et de réussite identiques à celles des étudiants des milieux les mieux dotés ; et, car les étudiants issus des milieux favorisés sont surreprésentés dans l’enseignement supérieur, et en particulier dans les filières les plus prestigieuses. En faisant contribuer directement les étudiants au coût de leurs études, les défenseurs de l’introduction de frais d’inscription justifient leur proposition par le caractère prétendument équitable de celle-ci. Ainsi, le financement de l’enseignement supérieur ferait œuvre de justice sociale en faisant reposer le coût de la scolarité sur les étudiants qui bénéficieront de salaires plus élevés dans le futur en raison de leur passage par l’enseignement supérieur plutôt que de le faire reposer sur l’ensemble des contribuables, quel que soit leur niveau d’études, comme c’est le cas en France aujourd’hui.
Une vision purement marchande de l’éducation
Néanmoins, cet argumentaire repose sur une vision purement marchande de l’éducation qui ne considère pas les retombées individuelles et sociales échappant au secteur marchand. À titre d’exemple, de nombreux travaux ont mis en évidence les effets positifs d’une population plus éduquée sur la criminalité, sur la santé ou encore sur le dynamisme démocratique. Par ailleurs, pour que l’introduction ou la hausse des droits d’inscription fasse œuvre de justice sociale, il faudrait que les contributions des étudiants au coût de leur scolarité soient réellement progressives et que les mécanismes d’aides aux étudiants les moins favorisés soient suffisamment importants pour permettre une égalité des chances effective entre étudiants (quel que soit leur milieu social d’origine), ce qui ne semble jamais avoir été le cas à l’étranger lorsque des frais d’inscription ont été introduits ou rehaussés. Par ailleurs, il convient de déconstruire le présupposé selon lequel les classes les moins favorisées financeraient l’éducation des classes les plus favorisées. Le Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) a ainsi montré que le système actuel de financement de l’enseignement supérieur conduisait bien à une redistribution entre les ménages[5]. Enfin, rien n’indique qu’un système de financement de l’enseignement par frais d’inscription serait plus redistributif qu’un système financé par l’impôt sur le revenu. Des simulations récentes portant sur le cas français démontrent même le contraire[6].
Le troisième argument avancé est celui de l’efficience économique. Les droits d’inscription sont supposés sélectionner les étudiants – ceux-ci ne s’inscrivant alors dans une formation payante que s’ils estiment qu’ils pourront réussir – ; les inciter à l’effort – ceux-ci payant leur formation, ils seraient contraints de donner le meilleur d’eux-mêmes – ; et les orienter vers les filières et métiers économiquement utiles – les étudiants devant rentabiliser leurs études. Ces prétendus effets, déduits de travaux théoriques, ne passent néanmoins pas le stade de la validation empirique. À titre d’exemple, une étude récente portant spécifiquement sur le cas de l’Université Paris Dauphine ne permet pas de valider l’existence d’incitations à l’effort[7]. De plus, de nombreux travaux étrangers ont montré qu’à niveau scolaire équivalent, les frais d’inscription introduisaient une distorsion dans les choix de filières et de métiers, au détriment des étudiants les moins favorisés.
Solidarité intergénérationnelle et équité contributive
Une fois évoquées les limites à un financement privé de l’enseignement supérieur, il convient de dessiner ce que pourrait être un système de financement de l’enseignement supérieur plus équitable, plus efficient et permettant de couvrir réellement les besoins de financement des universités[8].
Par analogie avec notre système de retraite et par opposition avec un système par « capitalisation » dans lequel l’étudiant assume le coût de sa scolarité en s’endettant, il est possible de mettre en place un système « par répartition ». Dans un tel système, les étudiants ne payeraient pas de frais d’inscription et les moyens financiers accordés aux premiers cycles seraient augmentés afin d’enrayer l’échec à l’université. Ici, l’éducation est un contrat social qui repose sur la solidarité intergénérationnelle et l’équité contributive. Un tel système permettrait aux étudiants de réaliser leurs études en contrepartie d’une participation au financement du système une fois qu’ils seront actifs, en fonction de leurs facultés contributives. Comme l’enseignement supérieur est source d’externalités non marchandes, son financement doit reposer sur la société dans son ensemble.
Dans les simulations que nous avons réalisées à partir du coût de la vie étudiante, nous avons fixé le montant de l’allocation universelle d’autonomie à 1000 euros par mois pour les étudiants n’habitant plus chez leurs parents et à 600 euros pour les autres. Pour financer cette allocation, nous proposons de le faire via une augmentation des taux des cotisations patronales de la branche « famille » de la sécurité sociale pour un montant de 21,6 milliards d’euros. Nous proposons également d’aligner les moyens accordés aux étudiants de Licence sur ceux des élèves des classes préparatoires aux grandes écoles. Le coût de cette mesure s’élèverait à 5 milliards d’euros par an et serait financé par un accroissement plus progressif des différentes tranches marginales d’imposition (la première tranche d’imposition resterait à 0 %, la deuxième passerait de 14 % à 15 %, la troisième de 30 % à 32,1 %, la quatrième de 41 % à 43,9 % et la dernière de 45 % à 48,2 %).
Les avantages d’une éducation par « répartition »
Une éducation par « répartition » permettrait d’assurer à tous les étudiants, via l’allocation universelle d’autonomie, une réelle autonomie par rapport à leur milieu social d’origine, leur permettant de se consacrer pleinement à leurs études sans avoir une activité professionnelle en parallèle. Ce système permettrait de financer davantage les filières jusque là sous-financées et dans lesquelles les étudiants des milieux les moins favorisés s’inscrivent davantage. De plus, la mise en place d’une plus grande progressivité dans le barème d’imposition permettrait d’accroitre le degré d’équité du système de financement de l’enseignement supérieur. Par ailleurs, un tel système permettrait d’assurer un financement réellement pérenne de l’enseignement supérieur, sans risque d’effet d’éviction entre les dépenses privées et les dépenses publiques. Enfin, une éducation par « répartition » permettrait d’assurer un financement de l’enseignement supérieur indépendant des aléas conjoncturels que peut subir un système financiarisé.
Or, s’il y a bien un risque qui est à prendre en considération à court terme c’est celui du volume de la dette étudiante. Aux États-Unis, celle-ci se situe aux alentours de 1500 milliards de dollars ce qui représente un montant équivalent au volume de subprimes en 2007 (qui représentaient 12 % des prêts hypothécaires). Le taux de défaut sur ces prêts fait peser un risque important sur les étudiants endettés en premier lieu et sur les finances publiques en second lieu. L’éclatement de la bulle spéculative n’est peut-être pas si loin…
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