L’Afrique, au plan démographique, est caractérisée par une forte croissance et sa jeunesse. Cela résulte de la baisse de la mortalité et de l’augmentation de l’espérance de vie à la naissance. Ces phénomènes ont pour conséquence la croissance du nombre de personnes de plus de 60 ans. Félix Atchadé revient sur les besoins spécifiques de cette frange de la population auxquels seront confrontés les systèmes de santé et de protection sociale dans les années et décennies à venir.
L’Afrique subsaharienne est présentée à juste titre comme un continent jeune et aussi comme le futur pôle de la croissance démographique mondiale. Sa population totale qui s’élevait à 1,17 milliard d’habitants en 2015, devrait pratiquement doubler en 35 ans et atteindre près de 2,4 milliards en 2050. La région abritera alors un humain sur quatre (contre moins d’un sur six aujourd’hui). Elle a une structure jeune des âges, avec environ deux cinquièmes d’habitants âgés de 0 à 14 ans, et près d’un cinquième d’habitants (19 %) âgés de 15 à 24 ans. Selon le scénario médian des Nations unies, ces deux groupes représenteront plus de la moitié de la population en 2050. Ces tendances démographiques et les évolutions à venir rendent incontournable la recherche d’investissements adaptés permettant d’accroître les opportunités offertes aux jeunes.
Mais il est un autre fait démographique qui mérite une attention particulière. À la faveur de la baisse de la mortalité infanto-juvénile et de l’augmentation de l’espérance de vie à la naissance, un autre défi attend l’Afrique subsaharienne : le vieillissement de sa population ou pour employer une expression plus appropriée l’augmentation du nombre des personnes âgées. La part relative des aînés, entendus ici comme l’ensemble des personnes de 60 ans et plus, devrait passer de 5,5 % en 2015 à 8,9 % en 2050 et rester ainsi globalement faible en comparaison des autres régions du monde. Derrière ces chiffres relatifs se profile une forte croissance : le nombre de personnes de 60 ans et plus devrait plus que tripler en 35 ans, passant de 63,8 millions d’individus en 2015 à 211,8 en 2050 (soit une augmentation de plus de 230 %). Quant aux grands aînés, âgés de 80 ans et plus, leur nombre devrait presque quadrupler, passant de 5,3 millions d’individus en 2015 à 20,4 millions en 2050 (soit une augmentation de 285 %).Cela ne manquera pas de poser des problèmes en termes de santé publique et sollicitera les mécanismes de solidarité sociaux comme étatiques. Les familles africaines, ainsi que les États, devront gérer les besoins de leurs aînés en même temps que ceux de leurs enfants et de leurs jeunes.
Vieillesse et vieillissement démographique en Afrique
Le vieillissement démographique fait référence à l’accroissement relatif de la part des 60 ans et plus dans la structure par âge d’une population donnée. L’Afrique comme les autres parties du monde va être confrontée à ce phénomène dans les décennies à venir. C’est un processus qui découle de la baisse de la fécondité et de la baisse de la mortalité. Parfois, un troisième facteur peut intervenir : la relative absence, en raison de décès précoces ou d’émigration, d’adultes d’âge actif. Mais la baisse de la fécondité constitue le principal moteur du processus de vieillissement démographique. Le taux de fécondité moyen total des régions de l’Afrique a baissé de moitié ces 30 dernières années, et cette tendance devrait se poursuivre à l’avenir. La vitesse et l’ampleur de cette baisse varient considérablement d’un pays à l’autre. Si certains pays tels que Maurice, les Seychelles et l’Afrique du Sud affichent des taux bas, d’autres, tels que le Niger, le Mali, la Somalie, le Tchad, l’Angola, la République démocratique du Congo, le Burundi, l’Ouganda, la Gambie et le Nigeria continuent d’enregistrer des taux relativement élevés. La fécondité des femmes africaines est passée, selon les pays, de 6 à 8 enfants dans les années 1960 à 2,6 à 8 aujourd’hui. Dans la grande majorité des pays et des sociétés, le désir d’enfants est toujours puissant et l’image de la famille nombreuse valorisée, même si dans l’ensemble la demande d’enfant recule. Elle génère une moindre proportion d’enfants et contribue à réduire la base de la pyramide des âges. En parallèle avec ce processus, dans de nombreux pays, la diminution de la mortalité et l’augmentation de la longévité humaine élargissent le sommet de la pyramide.
Selon les projections, la croissance de la proportion des seniors dans la population africaine va connaître des variations selon les régions et les pays. Au niveau des grandes régions, la population d’Afrique septentrionale devrait alors compter 17,3 % de plus de 60 ans, suivie par l’Afrique australe (14,9%). Pour les trois autres régions, ces parts relatives devraient être inférieures à 8,5 % : 8,2 % pour l’Afrique orientale et seulement 6,9 et 6,4 %, respectivement pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. En prenant en compte les différences nationales, d’importants contrastes apparaissent une fois de plus : le Niger devrait compter en 2050 seulement 4 % de personnes de plus de 60 ans, alors que la Tunisie devrait en compter – en termes relatifs – sept fois et demie plus, soit 30,1 % ; l’âge médian de chacun de ces pays devrait alors s’élever respectivement à 17,5 et 43,4 ans. Entre ces deux situations extrêmes, se situeront, par exemple, le Burkina Faso et le Sénégal (6,8 et 7,6 %), le Gabon (10,3 %), le Botswana (12,6 %), l’Afrique du Sud (15,6 %) et le Maroc (21 %). S’il est vrai que la grande majorité des pays africains continuera d’être encore au-dessous de la barre des 12 % de personnes âgées en 2050, la question du vieillissement de la population africaine se pose, car le nombre de personnes âgées et très âgées devrait fortement augmenter dans les 35 prochaines années. Le Burkina Faso devrait connaître un quadruplement de sa population âgée de 60 ans et plus (passant de 0,7 million à près de 2,8 millions) et plus encore pour sa population âgée de 80 ans et plus. Le Sénégal verrait sa population de plus de 60 ans multipliée par 3,7 (passant de 0,68 à 2,5 millions) et celle de plus de 80 ans multipliée par 3,2. La population de plus de 60 ans du Maroc serait multipliée par 3,2 (passant de 2,8 à 9 millions de personnes) et celle de plus de 80 ans multipliée par 4,3 (passant de 0,3 million à près de 1,3 million).
Les défis sociosanitaires du vieillissement démographique
Les défis posés par la croissance du nombre de personnes âgées sont multiples. Au plan épidémiologique les pays africains seront confrontés à l’augmentation de pathologies qui résultent d’un vieillissement de la population. Comme dans les pays « riches », les cancers, les maladies cardiovasculaires, le diabète et ses nombreuses complications handicapantes poseront des défis aux systèmes de santé. Il faudra des ressources humaines en professionnels de santé, des équipements, de la recherche pour la production de médicaments. Sur le plan sanitaire, les besoins des aînés présentent des spécificités, dans la mesure où les personnes âgées sont confrontées à la coexistence de pathologies aiguës et de pathologies chroniques, leur particularité étant d’être fréquemment polypathologiques, tout en étant exposées à une forte vulnérabilité nutritionnelle. Cette dernière est le plus souvent peu prise en compte dans les programmes portant sur la santé et la nutrition qui sont principalement orientés vers la lutte contre la malnutrition des enfants et des femmes enceintes. Les besoins des aînés en matière de santé apparaissent également à travers les difficultés croissantes, voire l’incapacité, à réaliser pleinement et de façon autonome des activités de la vie quotidienne. La perte d’autonomie augmente fortement avec l’avancée en âge, notamment chez les plus de 80 ans.
L’Afrique est présentée à juste titre comme une terre de solidarité familiale et communautaire. Mais les changements démographiques à venir mettront à rude épreuve les solidarités familiales dans la prise en charge des besoins des personnes âgées. Des travaux de recherche montrent depuis quelques années les limites des solidarités familiales face aux besoins de personnes âgées dans des contextes particuliers de vulnérabilité, comme l’épidémie de sida ou l’urbanisation rapide. Il faudra penser et mettre en place des politiques sociales efficaces pour seconder les familles et les communautés. Ces politiques devront être bien pensées, financées pour éviter certains échecs, à l’image du Plan Sésame, mis en place en 2006, au Sénégal, pour lequel la difficulté du financement s’est posée. Malgré son objectif social, ce plan de réduction de la vulnérabilité sociale des personnes âgées de plus de 60 ans s’est limité à l’accès gratuit aux services de santé. Si de 2006 à 2008, le niveau de fréquentation des hôpitaux par les seniors a augmenté, il a commencé à baisser à partir de 2009. Face aux remboursements insuffisants des dépenses des prestations du Plan Sésame, les hôpitaux nationaux ont restreint certaines prestations voire arrêté la prise en charge gratuite des personnes âgées[1].
Des dispositifs visant à améliorer les systèmes de protection sociale
Ce qui va se jouer sur le plan des stratégies de développement en Afrique dans les décennies à venir, est de s’orienter vers la recherche de réponses appropriées aux besoins induits par le vieillissement de la population, tout en ayant à répondre à ceux des générations montantes qui ne sont pas des moindres. Cela ne sera pas aisé compte tenu des changements sociaux en termes d’urbanisation, de migration ou d’individualisme de plus en plus poussé. Il est important de reconnaître qu’il y a une prise en compte de cette problématique. De nombreux pays d’Afrique se sont engagés dans l’élaboration de politiques et de dispositifs visant à améliorer leurs systèmes de protection sociale, entre autres dans les volets destinés à la protection des aînés. La preuve : l’adoption de divers accords régionaux et panafricains depuis le début du siècle. Parmi ces accords, figure la Déclaration de Pretoria sur les droits économiques, sociaux et culturels en Afrique de 2004 qui proclame en son point 10 : « Les droits sociaux, économiques et culturels explicitement prévus par la Charte africaine, lus en parallèle avec les autres droits contenus dans la Charte, tels que le droit à la vie et le respect de la dignité inhérente à la personne humaine, impliquent la reconnaissance des autres droits économiques et sociaux, y compris le droit à l’abri, le droit à l’alimentation de base et le droit à la sécurité sociale ». En 2008, a été adopté le Cadre de politique sociale pour l’Afrique de l’Union africaine (UA), dans lequel il est mentionné : « Les États membres de l’UA ont noté que la protection sociale a des impacts positifs multiples sur les économies nationales et est essentielle pour créer le capital humain, rompre le cycle de pauvreté intergénération et réduire les inégalités croissantes qui handicapent le développement économique et social de l’Afrique ». En 2010 a été adoptée la Déclaration tripartite de Yaoundé sur la mise en oeuvre du socle de protection sociale. L’Afrique parée pour répondre au vieillissement démographique ? L’histoire nous le dira !
Pour aller plus loin:
- « Vieillesses et vieillissement en Afrique », Mondes en développement, n° 171, 2015/3.
- Philippe Antoine et Valérie Golaz, « Vieillir au Sud : une grande variété de situations », Autrepart, n° 53, 2010/1.
—