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Un présidentialisme de plus en plus autoritaire

Un présidentialisme de plus en plus autoritaireTemps de lecture : 4 minutes

Le premier numéro de Silomag, mis en ligne en 2017, dénonçait les graves conséquences de la présidentialisation du pouvoir sur le système politique et sur la démocratie. Cinq ans plus tard, les effets néfastes de ce phénomène n’ont fait que s’accentuer et s’aggraver. En cette année d’échéances électorales déterminantes, bénéficier de réflexions nouvelles et actualisées sur la présidentialisation de la vie politique nous est apparu comme une évidence. Nous concrétisons ainsi l’un des objectifs importants, présent dès l’origine de Silomag: développer un espace de débats permettant d’approfondir des thématiques abordées précédemment.

Concentration et personnalisation des pouvoirs

Il y a cinq ans, nous affirmions qu’il était urgent de rompre avec un système politique fondé sur la concentration et la personnalisation des pouvoirs qui caractérisent la Ve République, favorisent les rapports d’allégeance et ouvrent la porte à l’autoritarisme. Ce constat prend aujourd’hui une force accrue.

L’idée selon laquelle le débat démocratique est d’abord une perte de temps et un facteur de ralentissement de l’action publique a été théorisée et mise en pratique à grande échelle. L’approche technocratique, souvent déconnectée du réel, au service d’un président jupitérien et d’un exécutif tout puissant domine tous les processus de décision. Le parlement est de plus en plus marginalisé. Déjà réduit à n’être que l’instrument de l’exécutif – pour l’essentiel du président – pour voter les lois nécessaires à la mise en œuvre de sa politique, il est aujourd’hui mis à l’écart sur des sujets essentiels. Des instruments de pouvoir discrétionnaire jouent un rôle incompatible avec les principes démocratiques. C’est le cas du Conseil de défense qui gère la crise sanitaire depuis deux ans et permet au président de la République de décider seul de tout ce qui est important et conditionne la vie quotidienne de la population. Et cela dans une période où le pays aurait eu besoin de déterminer les choix politiques de manière beaucoup plus collégiale et délibérative. La multiplication des lois sécuritaires dérogatoires au droit commun et le recours répété à l’état d’urgence – au prétexte des menaces terroristes, en 2015, puis de la pandémie, depuis 2020 – fournissent des moyens exorbitants à l’autoritarisme montant d’un pouvoir dont la visée est d’accoutumer les citoyennes et les citoyens à la restriction progressive des libertés fondamentales. Les attestations et autres passes inventés dans la dernière période ont illustré jusqu’à la caricature cette tendance à l’assujettissement et à l’infantilisation du corps social.

Cette évolution autoritaire poursuit un objectif central : renouveler et actualiser l’emprise néolibérale sur le devenir de la société. La « start up nation », finalité proclamée du quinquennat qui s’achève et l’attractivité pour les capitaux internationaux en recherche de rentabilité, tels sont les ressorts sous-jacents des politiques antidémocratiques mises en œuvre.

Au-delà du pouvoir en place, c’est tout le système politique qui est gangréné par ces conceptions. La campagne des élections présidentielles le démontre amplement. L’immense majorité des candidats et les médias les plus puissants s’évertuent à ne pas débattre de la nature réelle des choix collectifs à opérer. Ils ne cherchent pas à favoriser les échanges d’arguments de fonds sur les grands défis écologiques, sociaux, technologiques, économiques, sociétaux ou encore géopolitiques, mais entretiennent, jusqu’à la nausée, un débat caricatural sur les questions sécuritaires et identitaires.

Le besoin de délibération collective

L’élection présidentielle est aussi un moment qui nourrit l’illusion qu’une seule personne entourée d’un cénacle pourrait détenir les clés de notre avenir. À l’ère de la société complexe n’est-il pas archaïque de camper sur une telle conception ? L’humanité est aujourd’hui confrontée à des défis d’une telle ampleur et d’une telle complexité que seuls l’intelligence et la délibération collectives, l’agir commun et la mobilisation du potentiel de chacun.e et de tou.te.s peuvent ouvrir la voie à des solutions pertinentes tout en leur conférant la légitimité et la dynamique nécessaires. La société doit ainsi entrer dans une nouvelle ère de la démocratie dans ses dimensions représentatives, participatives et d’interventions directes aussi bien dans la Cité que dans les entreprises et les services publics.

Une telle ambition implique notamment de déconstruire la croyance en un « sauveur suprême » qui imprègne la vie publique et qui est exacerbée en période d’élection présidentielle. La recherche d’une personnalité « charismatique » prend le pas sur le débat de contenu et sur la nature des projets envisagés. Elle relègue les élections législatives au rang de simple prolongement de l’élection présidentielle alors qu’elles devraient être le moment clé de la période, car leur fonction est de déterminer quelle va être la majorité et donc qui va gouverner.

La présidentialisation du pouvoir étant à nos yeux plus que jamais une impasse, nous souhaitons, dans ce dossier de Silomag revisité, approfondir la compréhension des raisons expliquant l’évolution présidentialiste des institutions de la Ve République et ses conséquences. En lien avec le Silomag #10 La démocratie comme mode de vie qui présente un vaste panel d’outils, de procédures ou encore de mécanismes permettant de concrétiser l’exigence de démocratie participative et d’intervention directe dans la Cité et l’entreprise, ce numéro vise également à prolonger le débat concernant les pistes de réflexion possibles pour une construction politique et institutionnelle permettant d’entrer de plain-pied dans une nouvelle ère de la démocratie.

Pour citer cet article

Louise Gaxie et Alain Obadia, «Un présidentialisme de plus en plus autoritaire», Silomag, n° 14, janv. 2022. URL: https://silogora.org/un-presidentialisme-de-plus-en-plus-autoritaire/

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