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Différentes et égales

Différentes et égalesTemps de lecture : 6 minutes

Alors que la dernière édition du rapport d’ONU Femmes sur l’égalité des sexes[1] dresse un tableau alarmant des droits des femmes et de leurs conditions de vie qui régressent en raison des conflits, du réchauffement climatique, de la persistance du sexisme et des violences de genre, Lilian Halls-French rappelle dans cet article l’urgence de mettre enfin à l’ordre du jour politique le combat pour l’égalité. Celui-ci passe notamment par la promotion et la mise en œuvre d’un projet global d’éducation populaire pour déconstruire les représentations qui s’élaborent dès l’enfance et mettre fin à l’écart béant entre les textes, les discours et la réalité quotidienne des filles et des femmes. L’l’Initiative Féministe Euromed, qu’elle co-préside, défend un féminisme universaliste et agit pour sa nécessaire prise en compte par toutes les composantes du mouvement démocratique.

L’Initiative Féministe EuroMed est un réseau d’associations engagées en Europe, au Maghreb et au Moyen-Orient, pour l’égalité des sexes et les droits des femmes – indissociables de la construction de la démocratie et de la citoyenneté – pour la recherche de solutions politiques à tous les conflits et le droit des peuples à l’autodétermination. Nous sommes féministes avec la conviction que le féminisme est un élément moteur des transformations dont nos sociétés ont profondément besoin.

Un féminisme universaliste et intersectionnel pour combattre toutes les dominations

Nous luttons pour un monde égalitaire et démilitarisé dans lequel le respect absolu des droits fondamentaux des femmes et des hommes est une valeur et une pratique essentielle, un monde où le principe de non-discrimination liée au sexe, à l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’âge, la classe sociale, l’origine ethnique ou le handicap, est une règle sociale et un mode de vie. En d’autres termes, nous luttons pour un monde dans lequel femmes et hommes jouissent de l’égalité des droits dans la vie publique et privée, bénéficient de l’égal accès aux responsabilités et aux ressources et du droit de vivre sans violence, pour un monde dans lequel les structures sociales qui maintiennent des relations de domination des hommes sur les femmes et ont pour nom patriarcat ont disparu. Nous refusons toute atteinte aux droits des femmes au nom de la culture, de la tradition, de la religion. Nous agissons pour faire reconnaître l’universalité de ces droits et la promotion de sociétés démocratiques et laïques. Notre féminisme est universaliste et nous revendiquons l’universalité des droits des femmes, tout en dénonçant l’universalité des discriminations dont elles sont victimes.

Notre féminisme est intersectionnel, car ces discriminations résultent de plusieurs sources d’exclusion et de domination. Ainsi, si notre priorité est la lutte contre le sexisme, nous travaillons constamment à l’union avec les autres composantes du mouvement démocratique : partis progressistes, syndicats, mouvements antiracistes, mouvements lesbien, gay et queer, mouvement écologiste.

À l’heure où considérer les rapports sociaux de sexe comme une question politique reste encore un défi, nous affirmons que les questions d’identité et de différence sont indissociables d‘une politique de justice sociale. L’égalité de genre – égalité qui semble rester dans tous les domaines et sous tous les horizons une perspective très lointaine – fait en priorité pour nous référence à l’égalité entre les femmes et les hommes, quelles que soient leur classe sociale, leur origine géographique ou ethnique, leur orientation sexuelle ou leur religion.

Un débat ancien entre féministes égalitaires et différentialistes

Égalité et différence, les débats qui traversent le mouvement féministe aujourd’hui sur ce thème ont pour source ceux qui depuis longtemps opposent les « féministes égalitaires », qui refusent la prédominance des identités de groupe, aux « féministes différentialistes », partisanes du multiculturalisme qui les valorisent. Les premières considèrent la différence de genre comme un instrument de la domination masculine :  sexisme et misogynie construisent des différences puis les utilisent pour justifier la subordination des femmes dans la vie publique, comme dans la vie privée. Les secondes valorisent cette différence et n’y voient aucun signe d’infériorité. Leur objectif est au contraire de la faire reconnaître, d’en finir avec la prédominance masculine et de revaloriser le statut de femme.

Pour nous, débattre de la différence de genre indépendamment de l’origine ethnique, de l’orientation sexuelle et de l’appartenance sociale ne peut être que stérile et nous considérons comme essentielle la communauté d’action entre le mouvement féministe et les autres composantes de la société civile, avec celles du mouvement démocratique qui continuent le plus souvent hélas d’approcher l’égalité de genre comme un « plus » à atteindre… lorsque les problèmes « importants » auront été réglés.

C’est en partie pour cela qu’aujourd’hui, en dépit des résolutions internationales et de la législation adoptée dans certains pays, les mesures concrètes relatives à l’égalité des genres et au respect de leurs droits sont rares et les avancées si chèrement acquises sont le plus souvent menacées. Les conflits armés, la montée des intégrismes religieux confrontent les femmes à d’innombrables obstacles et les exposent à toutes les formes de violence. Liberté, intégrité physique et psychologique, égalité d’accès pour toutes les citoyennes et tous les citoyens aux ressources, à l’éducation à la santé et à la prise de décision, quels que soient leur genre, leur origine ethnique, leur orientation sexuelle, leur handicap ou leur croyance ne sont dans aucun pays à l’ordre du jour. Pour qu’elles deviennent réalité, nous nous attachons à briser la marginalisation des analyses féministes, à proposer des thèmes d’action fédérateurs et des espaces communs de réflexion et d’action aux autres composantes du mouvement démocratique.

Préserver la radicalité du féminisme à l’heure où les droits des femmes sont attaqués

Nous travaillons parallèlement à la mise en œuvre d’un projet global d’éducation populaire féministe qui nous semble un atout nécessaire pour l’accès de toutes et tous au pouvoir de la parole et au pouvoir de l’action. Il faut s’attacher en effet à dénoncer et à déconstruire les normes qui sont transmises dès l’enfance par l’éducation, à l’école, comme dans les familles et porter très haut l’exigence de réels moyens politiques pour agir sur le processus continuel de construction des identités sexuées. Le mouvement des femmes doit donc préserver la radicalité du féminisme et s’attacher à la mise en œuvre de processus politiques de transformation, car il n’y aura pas d’alternative démocratique à nos sociétés, sans que la question de la subordination des femmes devienne une question politique de premier plan.

Il faut en finir avec la schizophrénie d’un monde dont les plus hautes instances internationales qualifient l’égalité des sexes comme une condition et une exigence du développement, mais dans lequel le système patriarcal maintient les femmes en situation de soumission et d’infériorité. L’écart entre les textes censés nous protéger, conventions, directives, lois relatives à la lutte contre les discriminations, les violences et l’oppression et la réalité de la vie des femmes devient abyssal et nous conduit à l’heure où l’on parle beaucoup d’initiatives citoyennes, de valeurs citoyennes, d’entreprises citoyennes… à dénoncer, à la lumière de nos analyses féministes, un concept de citoyenneté creux et vidé de son sens.

Violences, meurtres, crimes dits d’honneur, viols, mutilations sexuelles, mariages forcés, violences domestiques… Malgré des chiffres alarmants et désormais connus, seuls les conflits armés, le racisme et l’exclusion sociale sont pris en compte par les politiques de sécurité comme des menaces pour la sécurité humaine. Quant aux partis politiques, ils confient encore souvent les « questions des femmes » à des commissions spéciales, en approchant de fait la moitié de l’humanité comme une catégorie : « femmes, personnes handicapées, jeunes… » et leur consacrent des sessions spéciales, alors que le patriarcat structure tous les systèmes d’exploitation.

Dans un contexte international marqué  par une régression globale des droits des femmes en lien avec les contextes de crises économiques,  politiques et  climatiques, la  montée des courants conservateurs, le déclin de la protection sociale, la militarisation  et  les conflits,  nous réaffirmons qu’affronter la violence, et l’insécurité[2], rester citoyennes de seconde zone ou mineures à vie n’est pas notre destinée naturelle, c’est pourquoi nous continuerons à nous mobiliser pour  renforcer l’union du mouvement féministe dans sa diversité, avec toutes les  composantes du  mouvement démocratique  afin d’ élargir  notre influence et de renforcer nos capacités d’action.

[1] Communiqué de presse d’ONU Femmes, « Le monde laisse tomber les femmes et les filles, selon un nouveau rapport de l’ONU », 07/09/23. Rapport disponible en anglais : https://www.unwomen.org/sites/default/files/2023-09/progress-on-the-sustainable-development-goals-the-gender-snapshot-2023-en.pdf

Il met l’accent sur la situation particulièrement dégradée des femmes âgées qui sont plus affectées par la pauvreté, la précarité et les violences, et -ce qui est une première dans ce rapport annuel – sur les liens entre réchauffement climatique et augmentation de la pauvreté des femmes et des filles.

[2] « Le nombre de femmes et de filles vivant dans un contexte de conflit a augmenté de manière significative, avec des conséquences catastrophiques. En 2022, le nombre de femmes et de filles vivant dans un tel contexte a atteint 614 millions, soit 50 % de plus qu’en 2017 », Communiqué de presse de l’ONU Femmes, « Le monde laisse tomber les femmes et les filles, selon un nouveau rapport de l’ONU », 07/09/23.

Pour citer cet article

Lilian Halls-French, «Différentes et égales», Silomag, n°17, septembre 2023. URL: https://silogora.org/differentes-et-egales/

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