Alors qu’il existe une demande populaire croissante de démocratie directe, le référendum suscite la méfiance des milieux politiques. Cette méfiance explique que le droit référendaire français pose des conditions drastiques et confère une place minorée aux citoyen.nes. Marion Paoletti revient sur ces résistances françaises qui contrastent avec l’extension et la diversification des pratiques référendaires partout dans le monde. Elle montre l’importance politique et sociétale d’ouvrir largement le droit d’expérimenter les référendums d’initiative populaire.
Parmi la grande diversité des référendums et les multiples variables à prendre en compte pour définir leur sens, l’initiative est sans doute la principale (Morel, 2019) ; la ligne de démarcation décisive distinguant les référendums d’en haut (Top-down) des référendums d’en bas (Bottom up).
Une approbation massive de l’initiative populaire dans la population
En France, le référendum est une procédure démocratique qui suscite la méfiance, dans le monde académique comme dans celui des élu.es, plus encore lorsque c’est le peuple qui en a l’initiative. Par contraste, la demande de démocratie directe, telle qu’elle est par exemple mesurée par la vague 10 du baromètre annuel de la confiance du CEVIPOF, est consistante. Les procédés référendaires occupent une place de premier plan dans cette demande d’une démocratie plus directe : 72 % des sondés pensent par exemple que « les citoyens devraient pouvoir imposer un référendum sur une question à partir d’une pétition ayant rassemblé un nombre requis de signatures »[1] ; autrement dit, approuvent l’initiative populaire.
Les positions autour des référendums ascendants cristallisent les méfiances réciproques d’une captation du pouvoir par les élites d’un côté, d’une irruption du peuple (suspect d’être divisé, traversé de bas instincts, incapable d’accoucher d’une décision raisonnable) de l’autre. L’initiative populaire inscrit de fait les référendums comme technologie de démocratie directe à travers laquelle des citoyen.nes peuvent faire émerger un enjeu et imposer une décision à travers un vote majoritaire alors que les référendums descendants à l’initiative de la majorité politique consolident plutôt les titulaires des positions de pouvoir, en particulier dans la tradition plébiscitaire française.
De nombreuses critiques des référendums, des qualités souvent ignorées
Les critiques de milieux politiques reviennent souvent à une stricte défense de la représentation politique à travers laquelle la médiation des élu.es est au fondement de la démocratie. Le renouvellement des théories démocratiques depuis les années 1980 n’entame pas la méfiance à l’égard du référendum : les théories participationnistes et délibératives préfèrent valoriser des procédures susceptibles de favoriser le consensus et améliorer la qualité de la décision (par exemple à travers des mini-publics délibératifs telles les conférences de consensus) plutôt que des référendums principalement contraires à la délibération avec leur structure binaire du choix, les effets supposés de fermeture aux points de vue d’autrui, leur caractère exceptionnel. Si les critiques à l’égard du référendum sont nombreuses, leurs qualités, souvent ignorées existent[2].
Les référendums peuvent jouer dans une démocratie délibérative conçue de manière vaste deux fonctions principales. Le vote majoritaire, à l’issue d’une campagne référendaire dotée de moyens, confère la légitimité démocratique à une décision (même si ce n’est pas véritablement le cas des derniers référendums français : Notre Dame des Landes et le vote sur le TCE en 2005). D’initiative citoyenne, le référendum permet de faire émerger des enjeux et joue comme un outil de mobilisation pour des groupes minoritaires qui cherchent à l’être moins.
Une mise en œuvre pratique quasi impossible en droit français
Pour autant, aussi imparfaits que soient les initiatives et les référendums (comme les procédures de démocratie représentative), leur possibilité de mise en œuvre pratique est rendue impossible par le droit français, de sorte que nous n’avons guère en France le loisir de les d’étudier. Au niveau national, les conditions drastiques de « l’initiative partagée » sont mieux connues depuis sa première expérimentation dans le cadre de la privatisation de l’aéroport de Paris[3]. Il s’agit de fait d’initiative parlementaire (un cinquième des membres du Parlement) devant être soutenu par 10 % des électeurs inscrits (soit 4,7 millions) – à titre de comparaison en Italie, il faut 1 % du corps électoral.
Au plan local, il a fallu pas moins de six lois (ordinaires : 1992, 1995, 2004, organique : 2003, constitutionnelle : 2003) pour fixer le cadre de procédures jamais utilisées ou presque. D’un côté, l’on trouve des référendums descendants et décisionnels à l’initiative des collectivités territoriales (communes, départements, régions), avec un quorum de participation pour la prise en compte des résultats élevé (50 % des électeurs). D’un autre, des consultations à l’initiative des collectivités territoriales ou à l’initiative des électeurs qui en demandent l’organisation aux élu.es. Les seuils de signatures sont élevés : 20 % des électeurs dans les communes, 10 % dans les départements et régions. Le droit de soutenir une initiative est limité à une signature par an. De surcroît, dans le droit référendaire local français, une initiative réussie n’aboutit pas en droit forcément à un vote qui, s’il a lieu, n’aboutit pas forcément à une décision conforme. Pour les EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), seule la consultation a été retenue, à l’initiative de l’ensemble des maires ou de 20 % des électeurs intercommunaux : on ne voit pas, sauf mobilisation locale improbable, les possibilités pour les citoyen.nes d’initier une consultation au niveau où s’exercent pourtant les compétences les plus décisives du bloc communal-intercommunal.
L’ensemble du droit référendaire local français confère une place étonnement minorée aux citoyen.nes, sans commune mesure avec de nombreux autres pays. Le référendum local français doit s’entendre principalement comme un référendum municipal plébiscitaire, quasi inemployé. La pratique est très minoritaire, surtout ramenée au nombre de collectivités locales. Les dernières statistiques font état de 233 consultations communales pour la période 1995-2009[4]. La faiblesse de l’initiative populaire en France est structurelle : sur les 213 votes communaux non-électifs qu’analyse Christophe Premat entre 1995 et 2004, seuls dix d’entre eux provenaient d’une initiative populaire[5]. Parmi ces dix cas, un référendum a été annulé et six rejetés par le Conseil municipal.
Une marginalisation française contrastant avec de nombreux autres pays
Cette marginalisation française contraste avec l’extension de la pratique au niveau local et national partout dans le monde depuis les années 1990 et l’extension des initiatives en droit, qui peuvent être de quatre types, résumés par l’acronyme CARL (constitutionnel, abrogatif, révocatoire, législatif). Les formes ascendantes sont les plus rares, surtout au niveau des États. Au niveau infranational, elles sont davantage prévues et organisées. Elles connaissent d’importants développements hors de leurs berceaux traditionnels (vingt-quatre États américains, les cantons et communes suisses, les régions italiennes, les länder et communes allemands)[6]. La pratique des référendums est par ailleurs en constante augmentation depuis le début des années 1960, avec un pic dans les années 1990, où le nombre total a été multiplié par quatre[7], décennie durant laquelle se diffusait par ailleurs l’idéal délibératif.
La puissance du cumul vertical des mandats et la force de ses effets sur le système politique français ont longtemps fourni une grille de lecture facile pour comprendre les résistances françaises à toute ouverture vers des composantes directes de la démocratie au niveau local. Ce verrou a sauté à l’automne 2017 avec la mise en œuvre de la loi votée en 2014 interdisant le cumul entre un mandat de parlementaire et dans un exécutif de collectivité locale. Et qu’il indiffère ou fasse peur, le référendum d’initiative citoyenne local continue à être inexploré en dépit de ces conditions institutionnelles nouvelles (et de la demande sociale), alors même que l’échelon local est sans doute le plus approprié pour que des citoyen.nes adultes débattent et décident de politiques publiques (y compris à l’échelon intercommunal). Les théories démocratiques, même les plus sceptiques, accordent au niveau local, compte tenu des conditions morphologiques, mais aussi cognitives (intérêt et compétence des habitants), un statut particulier au local pour le développement de la démocratie directe.
De l’importance d’ouvrir les possibilités de directisation
À être trop défiant.es à l’égard des citoyen.nes et des idéaux démocratiques qui traversent la société, les représentant.es politiques prennent le risque de s’adapter trop tardivement ou trop tard aux changements qui caractérisent la société dans son rapport à la politique. La résistance à limiter le cumul des mandats, en dépit d’une demande sociale constituée, a empêché les partis traditionnels, d’expérimenter réellement les effets d’une loi in fine votée en 2014 (et appliquée 3 ans après), compte tenu de l’ampleur du renouvellement du personnel politique survenu en 2017. Les résistances à toute directisation de la démocratie font courir le risque d’un « ensauvagement » des institutions. De fait, des tentatives en cours de RIC (référendum d’initiative citoyenne) local, portées par des collectifs citoyens contre des projets locaux ou pour en proposer (à Villeurbanne, à Saint Affrique, en Seine-Saint-Denis) seront sans doute annulées par des tribunaux comme cela a été le cas pour l’expérience de la municipalité grenobloise qui s’est dotée de ses propres règles d’initiative durant le mandat écoulé entre 2014 et 2020[8]. Au risque de renforcer la défiance des citoyen.nes à l’égard des institutions de la démocratie représentative.
Pourtant, des possibilités d’articuler délibération, participation et décision existent. Récemment, à l’étranger, des votations ont retenu l’attention de chercheurs du fait de leur tentative inhabituelle d’articuler procédé délibératif et prise de décision majoritaire (par exemple en Irlande, en Écosse, ou dans l’Oregon), laissant penser que l’on peut aller vers des démocraties de masse plus délibératives dans lesquelles la prise de décision résulte d’un vote majoritaire. Et le plus sage moyen d’assoir la légitimité des institutions représentatives aujourd’hui est sans doute de les ouvrir à des possibilités de directisation.
L’offre politique de participation sera encore une fois sans doute au centre de la campagne pour les élections municipales. On le sait, dans ses formes actuelles, elle peine à convaincre. Et alors que tout le monde s’accorde à voir dans le local l’échelon par tropisme de la démocratie, le mot de Tocqueville est en passe de devenir un nouveau sens commun partagé : « C’est […] dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir »[9]. Sans doute, les habitants locaux souhaiteraient et devraient pouvoir expérimenter les référendums locaux à leur initiative. En dépit de la sédimentation de lois sur le référendum local depuis 20 ans, le chantier de son autorisation et de son institutionnalisation reste pourtant ouvert.
Pour aller plus loin :
- Laurence Morel, La question du référendum, Presses de Sciences Po, Coll. Nouveaux Débats, 2019.
- Laurence Morel et Marion Paoletti (coord.), « Dossier – Le référendum : au nom de la démocratie ? », Participations, vol. 20, n° 1, 2018, 220 p.