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« Les femmes demandent l’égalité des salaires » à la Libération, dans Femmes françaises (1944)

« Les femmes demandent l’égalité des salaires » à la Libération, dans Femmes françaises (1944)Temps de lecture : 4 minutes

Employée aux PTT, Marie Couette (1898-1974) adhère à la CGTU dès 1924, ainsi qu’au PC, et milite pour l’égalité des salaires féminins et masculins. Résistante communiste, arrêtée en 1943, elle participe à l’Assemblée consultative provisoire (1944-1945) comme déléguée de la CGT et contribue à la création en juin 1945, à l’initiative du PCF, de l’Union des femmes française. Elle est désignée à l’autonome, secrétaire de la commission féminine confédérale, puis élue en avril 1946 au Bureau confédéral de la CGT. Dans cet article publié en 1944, issu du deuxième numéro de la nouvelle série de Femmes françaises, journal qui paraissait clandestinement pendant la guerre, Marie Couette plaide pour l’égalité salariale entre hommes et femmes en se fondant sur leur égale mobilisation dans les luttes pour la libération du pays.

Durant toute la période de guerre, l’exploitation des femmes n’a fait que s’accroître. Elles ont, de plus, supporté au maximum la misère apportée par l’occupation. C’est la femme qui, devant équilibrer le budget familial, a pendant ces quatre années dû faire-face aux difficultés de la vie et du ravitaillement, en cherchant le moyen de composer les repas de la famille.

Les salaires trop bas ne permettaient pas d’acheter au marché noir, seul moyen cependant de faire des repas normaux, les cartes de rationnement permettant seulement de ne pas mourir de faim.

Les salaires des femmes restant inférieurs, dans cette période de guerre comme ils l’avaient toujours été avant, les femmes obligées de travailler pour assurer leur existence ou pour servir de salaire d’appoint du ménage sont plus exploitées encore que les hommes.

Paris est libéré par l’effort de tous les Parisiens ; hommes, femmes, enfants ont participé à l’insurrection, ont construit des barricades, ont fait le coup de feu, tous unis pour délivrer la capitale de l’envahisseur.

Celui-ci a reculé devant la force organisée de tout le peuple de Paris qui, presque sans armes, a reconquis sa liberté.

Les femmes y ont pris une part active ; elles se sont placées publiquement sur le même plan social que les hommes. Nul ne pourra plus, désormais, arguer de leur infériorité.

Maintenant que la France doit être remise sur pied, que les désastres de l’occupation doivent être rapidement réparés pour que la vie reprenne normalement, partout, dans toutes les parties libérées de notre territoire, en attendant que le pays entier le soit, tous les travailleurs devront apporter leurs efforts, leur travail, pour que vive la France.

Les femmes, comme les hommes, ont leur place dans la production ; elles se sont montrées les égales des hommes dans la lutte, elles doivent être les égales des hommes sur le lieu de travail et les différences de salaires doivent disparaître.

Les syndicats avec la C.G.T., reconstitués dans l’illégalité, sortent de l’ombre et se reconstruisent légalement sur les bases de 1939. Leur première tâche fut l’augmentation des salaires ouvriers ; l’émotion fut grande lorsque, le 10 septembre, les ouvriers purent lire dans la presse que les salaires ouvriers seraient augmentés dans des proportions déterminées et celui des femmes encore à l’étude.

Une délégation de la C.G.T. et de l’Union des Syndicats de la Région parisienne, demandant des explications sur ce dernier point, a pu se rendre compte que le ministère du Travail avait pensé pouvoir inférioriser cette augmentation pour les femmes. La protestation de la délégation empêcha cette injustice et c’est ainsi que l’augmentation pour les femmes est égale à celle des hommes, c’est-à-dire, à partir du 1er septembre, de 5 francs de l’heure ou 1.000 francs par mois.

C’est un point acquis dans la lutte revendicative pour les femmes, mais ces dernières sont encore loin d’avoir obtenu satisfaction. La lutte pour l’égalité des salaires des hommes et des femmes effectuant un travail identique reste entière. Dans de nombreuses corporations, les salaires des femmes restent inférieurs à ceux des hommes.

Nous trouvons, dans les cuirs et peaux, parfois une différence de 20 p.100 pour la maroquinerie et, dans la chaussure, 1 ou 2 francs de l’heure. A la coupe, le salaire est toujours inférieur ; d’ailleurs, dans les conventions collectives, le salaire de base a toujours été inférieur pour les femmes.

Dans la métallurgie, les écarts sont parfois formidables, allant jusqu’au double. On nous signale, pour un travail identique, des salaires de 14 fr. 50 pour les hommes et de 7 francs de l’heure pour les femmes ; ailleurs, de 17 francs pour les hommes et 12 francs pour les femmes. Dans une usine de Nogent-sur-Marne, les salaires des femmes sont au maximum de 11 francs, alors que ceux des hommes sont de 15 et 16 francs.

Dans de nombreuses corporations, telles alimentation, blanchisserie et autres, on fait effectuer certains travaux par les femmes pour avoir la possibilité de les payer moins cher parce que femmes ; cela sans parler du travail à domicile, qui constitue la plus grande exploitation de la main-d’œuvre féminine.

Dans les banques, les assurances sociales et autres administrations privées, une différence de deux cents francs par mois existe, en général, entre employés hommes et femmes.

Dans les P.T.T., la lutte menée par le personnel féminin pour l’égalité de salaires a, par des manœuvres adroites, abouti à des promesses et ces promesses à un compromis qui ne donne satisfaction qu’à 800 femmes sur 20.000.

Partout, dans toutes les corporations, les administrations privées ou d’Etat, la lutte sera engagée par les syndicats, avec l’appui des femmes voulant faire triompher leur droit pour obtenir l’égalité de salaires. Comme sur d’autres bases, elles arracheront leur égalité totale de citoyennes et de Françaises.

Mais partout, le seul moyen de triompher, c’est de marquer sa force, sa volonté de vaincre, par l’union organisée de tous et de toutes. Par cette même union à réaliser par la classe ouvrière à côté de tous les Français pour chasser l’envahisseur et libérer le territoire des hordes hitlériennes, les femmes travailleuses sauront imposer la reconnaissance de leur droit et obtenir une égalité réelle des salaires et des droits comme Françaises, comme travailleuses et comme mères.

 

 

 

En savoir plus sur Marie Couette et l’Union des Femmes françaises :

Accéder à Femmes françaises du 21 septembre 1944 (en libre accès sur Gallica)

 

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