Les métropoles forment une scène à la fois sans public et sans contrepoids sociaux au sein de laquelle les élites politiques et économiques peuvent développer, en vase clos, des politiques publiques. Stéphane Cadiou revient ici sur le difficile déploiement des luttes sociales et des contestations à l’échelle métropolitaine. Il insiste sur la nécessité d’une appropriation citoyenne des enjeux métropolitains.
Les métropoles bénéficient aujourd’hui d’une forte attention qui est d’abord celle d’élites politiques et économiques. Elles peinent à s’ancrer dans la société et à devenir un véritable enjeu de mobilisation sociale. Il y a pourtant urgence au regard des responsabilités qui incombent désormais à ces instances de pouvoir.
Une échelle de gouvernement fermée
Nouvelle catégorie d’établissement public intercommunal, les métropoles en reproduisent le mode traditionnel de légitimité, à savoir une désignation indirecte de ses membres qui sont issus des communes. Les métropoles n’échappent pas en cela aux logiques élitistes d’entre-soi des élus siégeant dans ces instances communautaires. Ceux-ci n’y trouvent pas nécessairement d’inconvénients dans la mesure où cela leur permet, plus aisément, de jouer des relations inter-gouvernementales (en l’occurrence entre communes) et de négocier des arrangements dans la conception des politiques publiques. D’ailleurs, au moment de la création du statut des métropoles en 2014, gouvernement et parlement ont préféré mettre de côté la question du mode de désignation en annonçant une solution avant les prochaines élections fixées en 2020. Depuis, aucune avancée ne s’est profilée !
Bien connu dans la littérature scientifique, cet entre-soi métropolitain est renforcé par la diffusion d’un sens commun en matière de priorités politiques : partout ou presque, les élus défendent l’idée de métropoles devant être « compétitives » et « attractives » ce qui exigerait un certain nombre de projets d’équipement (parc des expositions, quartier d’affaires, gare multimodale, etc.) et de mise en valeur des espaces publics (piétonnisation, trame verte…). Autant de priorités qui contribuent aujourd’hui à standardiser et embourgeoiser les espaces centraux des grandes villes, et parallèlement à en rendre l’accès de plus en plus difficile pour une large partie de la population dans l’incapacité de se loger décemment. Les élites politiques se rallient ainsi à un même discours ramenant les politiques publiques métropolitaines à des nécessités et non à des enjeux de débats et de luttes. D’ailleurs, au moment des élections municipales, les listes en présence se montrent bien silencieuses à aborder les enjeux métropolitains, et a fortiori à avancer des engagements politiques en la matière. C’est dire si le jeu politique métropolitain laisse peu de prise à une appropriation citoyenne.
Les élites politiques trouvent néanmoins un soutien précieux auprès des élites économiques qui se sont montrées particulièrement emballées par la création du statut de « métropole ». Que ce soit au niveau national ou local, les représentants des milieux d’affaires ont défendu la réforme. Agitant le chiffon de la compétition territoriale, ils plaident pour un changement d’échelle dans la conception des politiques publiques. Dans bon nombre de territoires, les représentants des organisations patronales se sont trouvés en première ligne pour défendre cette réorganisation du pouvoir. Cela garantirait-il une plus grande efficacité des politiques publiques ? Ou une meilleure redistribution des richesses ? Sans doute ces représentants économiques en sont-ils persuadés même si rien dans les expériences françaises ou étrangères ne permet de l’étayer objectivement. Une autre perspective mérite également d’être évoquée : les métropoles forment une scène à la fois sans public et sans contrepoids sociaux.
Une échelle de mobilisation délaissée
Le phénomène le plus troublant – qui renforce l’entre-soi des élus – est la quasi-absence de la société civile à l’échelle métropolitaine. Il existe bien des « conseils de développement » censés représenter la société civile dans les institutions métropolitaines, mais qui fonctionnent davantage en auxiliaires du pouvoir qu’en contre-pouvoirs. Il faut dire que leur composition et leur liberté sont tributaires des élus. Parallèlement, certains groupes bénéficient d’un droit de regard sur les affaires métropolitaines. C’est le cas des chambres de commerce et d’industrie (CCI) qui, au titre de leur statut de « personne publique associée », peuvent se prononcer sur les documents d’urbanisme et se trouvent impliquées dans bon nombre de politiques publiques. Elles peuvent y porter et défendre les intérêts patronaux alors même que leur représentativité parait bien fragile compte tenu du taux d’abstention aux élections consulaires.
En revanche, on peine à trouver des équivalents du côté des forces syndicales ou associatives. Rares sont les organisations sociales qui se sont développées à l’échelle métropolitaine et qui l’ont intégrée dans leurs réflexions. Attachés aux logiques fédérales, les syndicats ont largement délaissé la dimension territoriale. Ils s’articulent certes autour d’échelons départementaux et régionaux, mais qui peinent bien souvent à acquérir une réelle autonomie. L’échelon métropolitain est, à l’évidence, étranger à l’organisation syndicale qui, au mieux, s’ancre dans les municipalités pour y défendre les fonctionnaires. Surtout, les syndicats n’ont guère construit de véritable expertise territoriale. Quand ils ne sont pas tout simplement écartés des instances locales de dialogue autour de l’action publique, ils sont rarement en mesure de tenir un discours structuré et étayé. Ils peinent à faire entendre les intérêts des salariés sur des enjeux comme les déplacements, l’habitat ou l’urbanisation. Parallèlement, les associations et autres groupements de citoyens n’offrent guère de substituts métropolitains. Ils s’ancrent avant tout dans les communes. Ils tendent parfois à réinventer des formes d’engagement populaire (autour, par exemple, du community organizing ou de laboratoires citoyens), mais en s’en tenant à une échelle locale (un quartier ou une commune). Leur mobilisation peut parfois se déployer à une échelle métropolitaine, mais principalement autour d’un enjeu circonstancié (contre l’implantation d’un centre de tri, contre un projet de bétonnage, contre l’artificialisation de terres agricoles…).
Ces combats ne sont pas sans importance. Ils permettent, parfois, de politiser des questions d’apparence technique qui ne doivent pas occulter les enjeux décisifs (sanitaires ou fonciers) pour les salariés. Mais de telles luttes ne forment pas à proprement parler un mouvement à même de peser durablement sur les rapports de pouvoir. Les contestations sociales de la métropolisation peinent ainsi à voir le jour et à se structurer. Elles ne profilent pas un acteur social collectif à même de construire et porter les intérêts sociaux de classes populaires à l’échelle des métropoles. Elles ne dessinent pas une alternative politique. Pourtant l’agenda dominant conçu à base de compétition et d’attractivité mérite d’être discuté et critiqué.
Pour les organisations sociales, le défi est de conjuguer leurs registres revendicatifs traditionnels avec l’échelle métropolitaine, les enjeux sectoriels et territoriaux, l’ancrage de proximité et la lutte supra-communale. Il leur revient de penser de nouveaux modes de mobilisation tenant ensemble ces dimensions. C’est là une condition pour ne pas laisser les métropoles aux seules élites politiques et économiques qui peuvent trouver là une belle opportunité pour mener des transactions à l’abri de tout contre-pouvoir.