Si les métropoles sont trop souvent abordées uniquement sous l’angle économique, elles relèvent pourtant d’autres objectifs. Elles apparaissent comme le lieu où s’expriment et s’exacerbent les mutations spatiales et les tensions sociales. Les défis environnementaux, l’urbanisation rapide, l’étalement urbain, l’accroissement des inégalités ou encore la question des migrants constituent autant d’enjeux pour lesquelles les politiques publiques nécessaires doivent être projetées à la bonne échelle et relever d’un processus participatif. Pierre Mansat nous invite à construire des projets communs, seule manière de bâtir un destin commun métropolitain. Car si l’Europe est rentrée dans l’ère des métropoles, celles-ci ne disposent pas encore d’un espace politique à la hauteur des défis qu’elles doivent relever.
Ce texte est très largement inspiré d’une production commune Ville de Paris/ INTA élaboré à l’occasion d’un colloque de mai 2016.
La compréhension par le monde politique de ce qu’est la métropolisation est très récente dans notre pays. Si je prends uniquement la métropole parisienne il a fallu attendre les années 2006/2007 pour que l’expression émerge dans le langage politique, et encore si le fait métropolitain est reconnu, ses conséquences pour les politiques publiques restent encore à construire. D’autant que la connaissance historique n’est pas au rendez-vous : si l’accélération de la globalisation accélère la métropolisation, ce phénomène n’est pas récent.
Que signifie «faire métropole»?
Quelques éléments généraux de réflexion.
L’acception de « métropole » tient trop souvent de la seule approche économique, car elle est le lieu de convergence des flux mondialisés et un lieu de création de valeur. En effet, la métropole est une ville intégrée dans une compétition mondiale, elle doit « tenir son rang » dans la nouvelle économie globalisée de la connaissance. Aussi les métropoles privilégient-elles la stratégie de développement et les enjeux de compétitivité et de performance.
La métropole relève cependant d’autres objectifs et est porteuse de sens multiples, mouvants, qu’il s’agisse de son périmètre, de son inscription dans un réseau ou de la gouvernance. Elle peut être un espace de performance et de redistribution de la croissance, un mécanisme destiné à fédérer le polycentrisme, un lieu de solidarité territoriale, d’innovation politique et sociale…
Il apparaît important d’examiner ce que signifie « faire métropole » pour chacun d’entre nous. Le plus souvent, la métropole apparaît comme le lieu où s’expriment, se révèlent et s’exacerbent les mutations spatiales et les tensions sociales. En ce sens la liberté – y compris de protester – pourrait définir l’espace métropolitain et le rendre vivant. Il faut donc sortir de la seule considération spatiale pour aborder une multiplicité d’aspects : l’attractivité, la connexion en réseau, l’état d’esprit, l’espace public, le bien commun, le projet et, bien sûr, la gouvernance.
Ainsi, dans la nouvelle économie urbaine, chacun peut créer son propre emploi et, dans ce contexte, le réseau devient un enjeu majeur. La métropole joue un rôle d’interconnexion et de plateforme, elle constitue un milieu, un territoire de synergies et de confiance qui permet de réduire les incertitudes par les interactions et la concentration du capital de relations. La question de la taille de la ville est donc moins cruciale que celle de son insertion dans un réseau. On constate ainsi qu’entre 1995 et 2009 ce ne sont pas les villes les plus importantes qui se sont le plus développées. La croissance ne concerne donc pas que les villes « extra larges » même si, à partir de la crise financière de 2008, et jusqu’en 2011, les plus grandes villes se sont avérées les plus résilientes. Il faut par conséquent prendre en considération la métropole tout entière dans son aire régionale. Prendre en compte une unique région métropolitaine sans parier aussi sur les villes de 2ème et 3ème rang serait une erreur.
Des défis à relever
De nouveaux défis apparaissent : ceux de la sphère environnementale, de l’urbanisation rapide et de l’étalement urbain, mais aussi et surtout celui de l’accroissement des inégalités. Les inégalités sociales deviennent inégalités spatiales à l’intérieur même des métropoles. Ce même phénomène se retrouve au niveau mondial entre pays riches et pays pauvres comme au sein d’une Europe clivée, qui fonctionne à différentes vitesses. Les disparités mondiales sont appelées à se polariser et s’accompagnent de la hausse des inégalités au sein de chaque pays et à l’intérieur des métropoles.
La métropolisation est indissociablement liée à des opportunités exceptionnelles par les capacités d’échanges, mais les conditions de vie métropolitaines sont très souvent dégradées : crise environnementale, crise du logement, crise des mobilités, crise de la laïcité et de la citoyenneté.
La métropolisation agit comme une révélation des mutations et des tensions sociales, par l’existence de barrières physiques et de ségrégation sur les territoires. De fait, les activités créatrices de valeur dans l’économie mondialisée se développent plus dans les cœurs de métropole que dans les grandes périphéries. Ces dernières se retrouvent en difficulté avec les emplois de services peu qualifiés, les travailleurs à bas salaires, le chômage voire la délinquance. Pour entretenir le sentiment d’appartenance des habitants à un projet métropolitain, il faut créer de l’emploi et redonner de la dignité.
L’étalement urbain est plus réduit quand existe une autorité métropolitaine. Pour préserver les espaces naturels et lutter contre l’artificialisation des sols, il conviendrait d’intégrer les politiques à la bonne échelle sans dissocier l’échelle des logements de celle des transports. Le prix dissuasif du logement bien desservi constitue le premier facteur d’étalement urbain et relègue les populations défavorisées en périphérie. Il faudrait penser une forme métropolitaine sans limites, où l’on ne se situerait ni dedans ni en dehors.
Les insuffisances de la simple juxtaposition des politiques locales
Ces réflexions conduisent à suggérer qu’il faut projeter à la bonne échelle les politiques publiques ; le morcellement politique est mortifère et la simple juxtaposition des politiques locales n’est pas vraiment efficace.
Le développement inclusif devient prioritaire : des initiatives ont fait leurs preuves comme Urban initiatives dans les années 1990 dans le Mezziogiorno et l’Italie du Sud et se sont révélées efficaces pour lutter contre le crime et la mafia. C’est le sens du programme Europe 2020 en faveur d’une économie « intelligente, durable et inclusive ». Le Forum urbain mondial de l’ONU de Medellín (2014) défend également le développement de la mobilité sociale et de la créativité par l’aménagement d’espaces publics où travailler ensemble.
La question des migrants et des réfugiés est cruciale pour les métropoles européennes et l’enjeu est aujourd’hui de dépasser la dialectique vitalité/fragilité. À Amsterdam comme à Berlin, la grande majorité des habitants n’est pas native de la ville et Londres, ville-monde, revendique sa capacité à attirer les talents venus d’Europe, d’Asie et du monde entier.
La gentrification, autrement dit l’embourgeoisement des quartiers populaires, est le corollaire de l’attractivité. La pression sur le foncier bouscule le rôle de cohésion sociale des centres historiques. Pour contrer le phénomène de ségrégation, les modalités de l’action publique sur le foncier sont éminemment variables d’un pays à l’autre : la propriété est majoritaire en France ou en Espagne, alors que 70 à 80 % de la population est locataire en Allemagne.
Le temps est l’ingrédient indispensable pour résoudre les conflits de la transition : conflit entre une vision de la ville composée de flux et l’image traditionnelle et figée d’une ville gestionnaire de stocks, conflit entre l’ouverture au monde et le repli, entre attractivité et solidarité, entre citoyenneté et non-résidence. La transition est souvent douloureuse, car elle implique l’incertitude, suppose un moment de confusion et un besoin de leadership qui décèle les moteurs du changement, accélère la transition et donne de l’espoir. Un parallèle peut être établi avec la construction des nations et de l’Europe, long processus d’apprentissage collectif. Ainsi, l’Atelier international du Grand Paris est-il conçu pour avoir une durée de vie limitée, il accompagne la mise en place progressive de la Métropole du Grand Paris pensée à partir de 2007 et dont l’installation institutionnelle s’échelonne entre deux élections municipales de 2014 à 2020. À Stockholm également, la planification métropolitaine a pris du temps, adoptée à l’issue d’un processus qui a duré une dizaine d’années.
Le récit métropolitain et la promesse d’un destin commun
Si l’on regarde les vidéos de promotion territoriale des grandes villes smart du monde, leur uniformité est frappante et confondante. Quant au city branding, qu’il s’agisse des signatures « OnlyLyon » ou « I’Amsterdam », il apparaît surtout comme un outil de communication externe. Les nouvelles technologies de communication peuvent néanmoins être utilisées dans une logique participative pour faire émerger une représentation partagée de la métropole. Elles permettent de mettre en valeur et de cultiver les différences et les singularités locales, car l’identité s’appuie sur une grande diversité d’expériences et d’appartenances.
En considérant la difficulté de combiner les promesses et les incertitudes, mais aussi la fragilité de la condition urbaine pour les habitants, les entreprises et les administrations, c’est le processus participatif qui donne du sens. Dans cette optique, le récit métropolitain n’est pas une image, mais une promesse, celle d’un destin commun. C’est pourquoi le caractère fixiste de la citoyenneté, assigné à résidence, ne correspond pas à la réalité plus mobile des métropoles et pose un défi à la question même de la citoyenneté locale. Le sociologue Jean Viard a pu ainsi parler de la démocratie du sommeil. Quelles sont les politiques publiques pertinentes quand, dans une ville il y a plus de présents le jour que de résidents la nuit ?
L’espace public est le premier bien commun de la ville. Proposer des usages en faveur d’une mobilité apaisée, du développement durable, de l’économie circulaire serait un premier mode d’appropriation de la métropole en tant que bien commun. L’histoire et le patrimoine sont également un axe de construction du récit.
Qui doit s’emparer du récit métropolitain, auprès de qui et pour qui ?
En France, on parle d’éducation populaire et de société civile alors que la terminologie européenne privilégie les notions de confiance et de parties prenantes : une vision hiérarchisée qui gagnerait à devenir horizontale et qui pose la question du positionnement du politique.
Enfin, les conditions d’élaboration d’un récit métropolitain ne peuvent s’envisager sans une politique inclusive et de cohésion sociale tant il semble difficile de demander à quelqu’un éloigné des aménités de la ville de collaborer à son récit. Ce récit/ces récits, nécessairement polyphoniques sont indispensables pour que le citoyen-résident, protagoniste de la ville puissent se projeter dans leur participation à l’élaboration des politiques publiques, des projets.
Favoriser les alliances. La métropole peut établir des processus collaboratifs qui promeuvent l’empowerment, autrement dit la capacitation de tous et de chacun. La bonne pratique est d’établir des relations d’alliance et de confiance avec l’ensemble des parties prenantes.
Faire évoluer la relation entre public et privé et promouvoir l’empowerment, la capacitation. Les relations d’alliance doivent également s’établir entre secteurs public et privé dans une logique de collaboration permettant aussi à la société civile de faire entendre sa voix. Dans ces règles collectives et transverses qui incluent entreprises et citoyens, il convient également d’intégrer les universités, les organismes de recherche et les promoteurs immobiliers. Il s’agit, au final, de transformer la rivalité en coopération.
Bâtir de nouvelles gouvernances. La métropolisation est avant tout un champ politique qu’il convient de ne pas réifier comme l’a été la ville. En définitive, ce sont les projets communs qui permettent de bâtir un destin commun.
Si les situations et donc les modes de gouvernance sont pluriels, toutes les métropoles font face aux mêmes problématiques : pression résidentielle, flux et mobilité, mondialisation des échanges, concentration des richesses… Le défi est de savoir comment vivre ensemble en métropole et les réponses convergent en faveur d’un régime urbain qui redonne une capacité d’action au politique et qui fasse place à l’implication contributive des uns et des autres. Dans les faits, il semble bien que l’Europe soit entrée dans l’ère des métropoles, mais l’espace politique dont elles disposent ne se situe pas encore à la hauteur des enjeux qu’elles doivent assumer.