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Réformer l’audiovisuel? Chiche!

Réformer l’audiovisuel? Chiche!Temps de lecture : 10 minutes

La proposition de loi «relative à la réforme de l’audiovisuel et à la souveraineté nationale», déposée en 2023, est revenue en débat à l’Assemblée nationale et rejetée. Si le projet soutenu par l’actuelle ministre de la culture n’est pas encore enterré, il convient de l’enterrer définitivement. Pour, enfin, débattre démocratiquement de la vraie réforme dont le service public de l’audiovisuel a besoin pour s’adapter aux évolutions technologiques qui ont bouleversé le paysage. Parmi les axes forts d’une réforme possible, Michel Diard propose que le législateur assure l’indépendance des rédactions, et arrache la création audiovisuelle aux groupes privés.

Un projet de loi mortifère

L’exposé des motifs pour justifier le projet de loi révèle ses véritables objectifs autant par ce qu’il dit que ce qu’il tait.

S’il est exact que la «création de nombreuses plateformes de vidéos par abonnement (SVOD) a augmenté de manière exponentielle l’offre de programmes», elle n’a pas amélioré leur intérêt, compte tenu du nombre de rediffusions, de séries standardisées et formatées pour une exploitation mondiale, élaborées dans des ateliers collaboratifs, de documentaires commercialement compatibles, répondant à l’attente d’un public bien ciblé, ou de talkshows consternants et répétitifs où de prétendus «spécialistes» déversent au mieux des propos de café du commerce, au pire une idéologie très réactionnaire.

Les réseaux sociaux n’ont pas, comme le prétend le projet de loi, «diversifié les sources d’information», qui ont été confisquées par une poignée de milliardaires et d’intérêts financiers ; pour ceux-ci l’information est une marchandise et un produit d’appel pour la publicité. Les grands médias d’influence ont pactisé avec les plateformes américaines, avec lesquelles ils partagent la même idéologie.

Si les jeunes, toujours assoiffés d’information (contrairement à des propos colportés pour justifier l’injustifiable), se reportent certes sur X, TikTok, Instagram et autres plateformes, c’est faute d’une offre adaptée aux nouveaux modes de consommation de l’actualité et faute de moyens suffisants donnés au service public pour répondre à cette nouvelle demande.

Les citoyens sont en attente d’une offre plurielle, riche, permettant à la société de «communiquer avec elle-même et avec le monde, de contribuer à sa maîtrise du présent donc à sa mémoire».

Si les citoyens, jeunes ou pas, en sont des utilisateurs quasiment addictifs, ils ont une confiance limitée dans les réseaux sociaux pour s’informer vraiment. En effet, les réseaux sociaux ont «multiplié les infox», faute d’un appareil législatif permettant de contrôler les contenus des plateformes, d’une part, et d’une formation dispensée par l’éducation nationale pour «éviter de croire ce que l’on voit».

Le projet de loi affirme péremptoirement que la «puissance publique est demeurée jusqu’à présent en retrait» ; qui a contraint la puissance publique à rester en retrait, alors que tous les professionnels, les personnels, les syndicats ne cessent de dénoncer l’insuffisance des dotations financières pour remplir toutes les obligations d’un service public de qualité, sinon la volonté affirmée depuis longtemps de privatiser les derniers services publics ?

Autre argument qui se retourne contre les auteurs du projet de loi lorsqu’ils écrivent que «le développement des plateformes américaines en France a donc été plus aisé que ces dernières n’ont pas eu à respecter l’ensemble des contraintes législatives et réglementaires». Professionnels et personnels ont cependant tiré le signal d’alarme depuis longtemps. N’est-ce pas, une nouvelle fois, l’alignement des politiques de droite, libérales, au prétexte de ne pas freiner l’innovation qui a permis le développement des plateformes sans entrave ?

Dans le même ordre d’idées, les auteurs du projet dénoncent l’absence de «véritable projet stratégique de l’actionnaire», donc de l’Etat. Le constat est cruel ; la volonté d’affaiblir le service public est mis au jour par cette seule phrase.

Les auteurs du projet dénoncent des «mutualisations parcellaires entre les différentes entités», ICI peinerait à proposer une véritable information de proximité et franceinfo manquerait d’homogénéité. Une affirmation non démontrée suffirait à faire la démonstration que le statu quo a montré ses limites.

En outre, les personnels ont largement démontré combien il était illusoire de parler de mutualisations, alors que les finalités de la radio et de la télévision ne sont pas identiques. Certes, nous ne sommes plus au temps où Hubert Beuve-Méry pouvait affirmer que «la radio annonce l’événement, la télévision le montre, la presse l’explique» ; mais la radio et la télévision sont des moyens de communication distincts et complémentaires.

Le projet se propose de remplacer les Contrats d’objectifs et de moyens (COM) par des «Conventions stratégiques pluriannuelles» ; il n’échappera à personne que la nouvelle appellation permet de faire disparaître la question des moyens.

Cette question du financement de l’audiovisuel public est centrale. On ne s’étonnera pas que le projet déplore que le financement mixte (crédits publics et publicité) «crée une dépendance à l’audience». On voit poindre à nouveau la revendication des chaînes privées exigeant auprès de Nicolas Sarkozy, l’abandon de la publicité sur les chaînes publiques.

Sans publicité et sans augmentation des crédits affectés, les moyens de la nouvelle entreprise unique seront insuffisants, alors, au détour d’une phrase habilement ressortie du rapport sénatorial de 2022, on réaffirme l’urgence du projet d’entreprise unique pour «maximiser les mutualisations pour supprimer les doublons».

La reconduction de Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions par l’ARCOM ne doit pas être distinguée du projet de loi Lafon-Dati. La présidente reconduite n’avait-elle pas déclaré au cours de son audition par l’Autorité : «La transparence est indispensable avant toute transformation, nous nous sommes préparés ces dernières années, à une holding ou une fusion (…) J’ouvrirai au plus vite les discussions avec les organisations syndicales pour définir un nouveau cadre social (…) Il n’est pas possible d’avoir une entreprise publique en déficit. Il faut préserver les programmes et retravailler notre façon de fonctionner. Il y a des freins, il faut redimensionner nos moyens en fonction de l’activité, réduire certains moyens de production grâce à l’automatisation et l’intelligence artificielle (…) Il faut rompre avec ce qui nous freine et aller vers de la polycompétence, l’accord de 2013 nous freine».

Un service public de l’audiovisuel modernisé, puissant, autonome, décentralisé et démocratique

Face au projet mortifère de casse du service public, il y a urgence à proposer un projet de service public de l’audiovisuel rénové et de définir ce qu’il peut apporter de spécifique et de particulier, hors des pressions d’un système commercial basé sur les rentrées publicitaires, par rapport au privé et notamment aux plateformes américaines.

Il faut, prioritairement, réaffirmer dans la constitution de la République le droit inaliénable des citoyens à la communication en tant que droit fondamental, au même titre que le droit à la sûreté, à la liberté, au travail, à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la non-discrimination, au logement, etc.

Il sera ainsi réaffirmé que le service public de l’audiovisuel, bien de tous les Français, contribue à une information libre et pluraliste, à la connaissance, à l’imagination et à la distraction de tous, dans un souci d’émancipation de tous les citoyens.

La reconnaissance de ce droit est préalable et nécessaire à la constitutionalisation du service public de l’audiovisuel et de son financement.

Ce financement, pour être socialement juste, sera assuré par une redevance payée par tous les citoyens, proportionnellement à leurs revenus. Il devra être fixé à un niveau qui en assure l’indépendance et le respect de toutes ses missions, pour le libérer à terme des contraintes de la publicité.

Parallèlement, la réaffirmation de la place du service public doit s’accompagner d’une rénovation de la loi de 1986 pour limiter strictement les concentrations dans les industries de la culture et de la communication (1 seul média d’information générale et 1 seule chaîne de télévision). Il s’agit d’éviter qu’une poignée d’intérêts financiers ne puisse imposer un régime de marchandisation des programmes et, ainsi, une uniformisation de ceux-ci utilisés comme produit d’appel de la publicité.

L’indépendance des rédactions sera assurée par le législateur. Une information de qualité passe par cette indépendance des rédactions, notamment vis-à-vis des hiérarchies qui, trop souvent, dictent la ligne éditoriale au mépris de la réalité du terrain et du travail d’investigation des journalistes sur le terrain.

D’une façon identique, les documentaires ou les fictions devront se libérer du poids des producteurs négociant l’angle éditorial avec les directions des chaînes au mépris du travail de création des réalisateurs.

Le service public sera en mesure de produire lui-même ses programmes, sans s’interdire le recours aux sociétés de production privées de plus en plus concentrées, elles aussi. Il sera donc doté de moyens de productions nationales et régionales.

Des accords d’entreprises garantiront un statut de haut niveau aux différentes professions pour leur permettre l’expression de toute leur créativité dans les meilleures conditions sociales.

Parce que la radio et la télévision, d’une part, les nouvelles technologies et notamment les réseaux dits sociaux, d’autre part, sont essentiels à la démocratie, leurs contenus doivent être originaux, ouverts, libres et pluralistes. Elles doivent être le reflet de la vie et permettre d’accéder à la connaissance, tout en faisant appel à l’imagination, au plaisir et à la distraction.

Cette nécessaire démocratie suppose que journalistes, créateurs et techniciens, mais aussi représentants du public participent aux décisions de fonctionnement de ce service public, en étant notamment majoritairement représentés dans les organes de direction, les conseils d’administration nationaux et régionaux, veillant au respect de ses missions.

Le soutien à la création sera réaffirmé comme la priorité de toute politique nationale de la communication audiovisuelle. Du développement de la création dépend à la fois la réappropriation permanente de la mémoire collective et le renouvellement de l’identité culturelle française. L’audiovisuel, aujourd’hui, structure fortement l’imaginaire d’une société, il est constitutif de la culture.

La création audiovisuelle est, aujourd’hui, entre les mains de quelques groupes privés (fictions et documentaires). C’est pourquoi, le service public sera doté d’un outil de production, garantissant que l’obligation pour les chaînes de diffuser un nombre significatif d’œuvres originales d’expression française, notamment aux heures de grande écoute.

Un fonds de soutien à la création audiovisuelle sera alimenté par une taxe sur les recettes publicitaires des plateformes numériques et des chaînes privées, ainsi qu’une taxe assise sur le montant des achats des droits de diffusion des programmes extérieurs à l’Union européenne. Ce fonds serait géré par des représentants des usagers et des professionnels (producteurs, diffuseurs, auteurs et artistes-interprètes).

L’Institut national de l’audiovisuel (INA) ne peut être replié sur la gestion des archives : sa production de recherche est un apport nécessaire pour l’innovation et la création audiovisuelle. L’INA se verra confier un rôle pilote de formation professionnelle aux métiers et aux techniques de l’image et du son à l’ère des technologies numériques. Il impulsera l’éducation aux médias et aux technologies numériques en relation avec le ministère de l’Education nationale.

Pour garantir le pluralisme de l’information, le service public sera dans l’obligation de renforcer le réseau de correspondants à l’étranger et de multiplier les accords de coopération avec les services publics des autres pays, notamment européens, pour s’extraire de la dépendance aux agences anglo-saxonnes.

Une étude sera lancée pour envisager une structure de coopération de type GIE (groupement d’intérêt économique) avec l’AFP pour la fourniture d’images vidéo en vue de créer une grande plateforme publique capable de concurrencer les plateformes américaines.

Le recrutement des journalistes devra être exemplaire et sans discrimination politique ; la formation tout au long de la carrière devra être véritablement permanente et de haut niveau. Le journalisme d’investigations, d’enquêtes et de débats devra être renforcé.

Le droit d’accès à l’antenne doit être garanti aux diverses familles de pensée, sociales, culturelles, politiques, religieuses, syndicales et aux associations d’usagers reconnues d’intérêt public. Ce droit d’accès doit être applicable à l’ensemble des chaînes, publiques et privées.

Indépendance et coopération

Si la reconnaissance du droit à la communication et une nouvelle loi garantissent l’indépendance du service public de l’audiovisuel, elles ne bannissent pas les coopérations, ni avec d’autres services publics étrangers, ni avec des producteurs privés ; en revanche, les accords avec les plateformes américaines comme celui qui a été signé entre France Télévisions et Amazon Prime vidéo sont incompatibles avec l’indépendance.

Les plateformes américaines ne garantissent en rien la visibilité accrue de l’offre du service public, mais, au contraire, l’accord renforcera la position dominante des plateformes américaines, contrôlant les données personnelles, le marché publicitaire et diffusant une idéologie aux antipodes des missions de service public.

L’accord fait peser des menaces sur l’exposition des contenus du service public en termes de pluralisme et du respect des missions (informer, éduquer, distraire).

On fera remarquer que l’accord en question vient contredire l’argument avancé par Rachida Dati pour justifier de la fusion des sociétés du service public de l’audiovisuel, à savoir créer une offre de programmes gratuits face aux concurrents américains.

Le projet de loi Lafon ne dit-il pas : «Le développement des plateformes américaines en France a donc été d’autant plus aisé que ces dernières n’ont pas eu à respecter l’ensemble des contraintes législatives et réglementaires qui s’appliquent à leurs concurrents proposant des services principalement linéaires, qu’il s’agisse des obligations d’investissement dans la production, de la réglementation qui limite les droits des chaînes sur les programmes qu’elles financent pourtant très largement et des dispositions concernant les concentrations…»

En conclusion, s’il est urgent de réformer le service public de l’audiovisuel et si le moment est venu de s’opposer aux plateformes américaines, ce n’est ni Rachida Dati, ni le sénateur Laurent Lafon qui proposent les bonnes solutions.

Pour citer cet article

Diard Michel, “Réformer l’audiovisuel ? Chiche !”, Silomag, n°20, novembre 2025. URL : https://silogora.org/reformer-laudiovisuel-chiche/

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