L’UEC[1] n’est pas un syndicat étudiant. Elle n’en est pas moins une organisation profondément attachée à la défense des droits des étudiants et au renforcement des structures de mobilisation dans le monde universitaire. Le rapport au syndicalisme étudiant n’est donc pas neutre : il est à la fois critique et porteur d’une volonté de reconstruction. Camille Mongin livre ici une analyse politique du moment que traversent les syndicats étudiants, afin de proposer quelques éléments de réflexion sur ce que signifie aujourd’hui défendre les intérêts matériels des étudiants dans l’enseignement supérieur.
Le syndicat étudiant : une structure de défense collective des intérêts individuels
Le premier postulat que nous posons est fondamental : le syndicalisme étudiant a pour fonction première de défendre collectivement les intérêts individuels des étudiants. Il s’agit d’un outil de conquête sociale, au service des étudiantes et étudiants, dont le rôle est d’intervenir dans tous les lieux où leurs conditions d’études, de logement, de santé ou de mobilité sont en jeu. Et cela en premier lieu dans les instances des facultés. Le syndicat existe pour organiser une défense concrète des droits des étudiants.
Cela suppose de partir de la réalité étudiante : précarité massive, sélection, détérioration de la santé mentale, insécurité alimentaire et obstacles à l’orientation… Mais aussi isolement croissant, destruction des collectifs et individualisation des parcours. En ce sens, l’utilité du syndicalisme étudiant n’a jamais été aussi évidente. Pourtant, ce sont précisément ces structures qui traversent une crise profonde.
Étudier n’est pas travailler, mais les étudiants sont des futurs travailleurs
À rebours de certaines représentations, nous affirmons un second postulat clair : les étudiants ne sont pas des travailleurs en formation. Étudier n’est pas travailler. Les droits sociaux des étudiants, tout comme leurs institutions spécifiques (CROUS, bourses, logements universitaires), sont fondés sur cette distinction. À l’inverse, un nombre croissant d’étudiants – près d’un sur deux selon les enquêtes – exercent un emploi salarié à côté de leurs études. Mais ce travail n’est pas la contrepartie d’un effort universitaire, mais une nécessité économique. Cela implique que la condition étudiante se caractérise souvent par une double identité : étudiante et, parfois, travailleuse.
Il est fondamental de tenir cette ligne pour ne pas effacer les besoins spécifiques liés à la formation – à l’image du revenu étudiant – ni les droits à construire dans le monde du travail. C’est ce constat qui caractérise la frontière entre le syndicalisme professionnel et étudiant.
Un effondrement du syndicalisme étudiant depuis la loi travail et la crise du Parti socialiste
Historiquement, l’UEC a toujours entretenu un rapport étroit avec les syndicats étudiants – en particulier l’UNEF (Union nationale des étudiants de France) – notamment dans les luttes contre les réformes néolibérales, pour la démocratisation de l’université, ou en soutien aux revendications du monde du travail. Mais depuis la mobilisation contre la loi Travail (2016), un tournant s’est opéré : les structures syndicales se sont effondrées, et avec elles une capacité à structurer durablement les luttes étudiantes.
Ce déclin s’inscrit dans un contexte plus large : celui de l’affaiblissement du Parti socialiste et de l’espace politique social-démocrate dont l’UNEF était historiquement proche. La fin d’un ancrage dans les mouvements sociaux, la perte d’une colonne vertébrale idéologique ainsi que d’une stratégie claire et efficace ont accéléré la crise d’un modèle déjà fragilisé.
Des syndicats affaiblis, devenus politiques sans se l’avouer
Les syndicats étudiants encore existants sont aujourd’hui profondément affaiblis. Effondrement du nombre d’adhérents, disparition de sections locales, perte de représentativité dans les conseils : les indicateurs sont alarmants. Surtout, les syndicats étudiants ont pour beaucoup cessé d’être des structures de défense des intérêts matériels pour se transformer en structures d’expression politique.
Ce tournant est manifeste dans certaines organisations, comme l’Union Étudiante, héritière de plusieurs scissions de l’UNEF et aujourd’hui satellite de La France Insoumise. On y observe un déplacement vers des revendications symboliques, des campagnes centrées sur des causes sociétales générales, déconnectées du quotidien étudiant. Le problème n’est pas d’aborder ces sujets – racisme, féminisme, écologie, LGBTphobies – mais d’en faire l’unique boussole, au détriment de la raison d’être du syndicalisme étudiant, la défense concrète des droits : bourses, logements, restauration universitaire, sélection, diplômes, vie des campus…
Il s’agit d’un glissement dangereux, où les syndicats ne veulent plus être des outils collectifs mais des porte-voix idéologiques. La frontière entre organisation politique et syndicat devient floue, et l’efficacité militante en pâtit. La politisation en soi n’est pas un problème ; c’est l’absence de stratégie d’organisation, de construction d’un rapport de force et de structuration de la base qui l’est.
La Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), une réponse néolibérale à la crise du syndicalisme
Dans ce paysage en crise, la FAGE tire son épingle du jeu. La nature à horreur du vide. Cette organisation, qui se revendique “apolitique”, est en réalité l’incarnation d’un “syndicalisme de gestion”, fondé sur le corporatisme, parfaitement compatible avec la vision néolibérale de l’université. Elle a profité de la dépolitisation ambiante pour structurer, sur tout le territoire, des associations de filières dans chaque UFR (Unité de formation et de recherche), dans une logique de service et de cogestion.
Derrière la façade neutre, la FAGE accompagne la réforme de l’université, sans jamais la contester frontalement. Elle adapte les étudiants à la précarité et à la sélection, là où un syndicalisme combatif devrait remettre en cause ces logiques.
Crise de l’engagement, individualisation des parcours, atomisation des étudiants
Le recul du syndicalisme est aussi un symptôme d’un mal plus profond : l’individualisation croissante des parcours étudiants. Chaque étudiant est sommé de gérer sa “carrière” dès le lycée, via Parcoursup, puis MonMaster, dans une succession de concours, dossiers et logiques concurrentielles. L’autonomisation des universités, imposée par les gouvernements successifs à travers les réformes loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) et Pécresse, a renforcé cet isolement. L’université n’est plus un lieu de savoir collectif, mais un marché de l’offre de formation.
Face à cette atomisation, les structures collectives peinent à exister. Les étudiants ne se connaissent plus, ne se croisent plus, et la construction d’une appartenance de classe devient difficile.
Ce que propose l’UEC : recréer du collectif pour rompre avec le capitalisme
C’est précisément à ce défi que nous voulons répondre. Face à l’individualisme et à l’éclatement, l’UEC propose de recréer du collectif. Cela passe par des actions concrètes dans les lieux de vie et d’étude : animation des cités universitaires, campagnes sur les conditions de logement… mais aussi par la culture, le sport, et l’engagement politique.
Nous organisons des tournois de foot pour la Palestine, des projections-débats contre l’extrême droite, des cafés politiques, des ateliers d’écriture, des ciné-clubs de quartier, et des moments de vie partagée qui permettent de se retrouver, d’échanger, de comprendre et d’agir.
Nos campagnes partent toujours d’un point de réalité matérielle : les loyers, les repas, les transports, les droits à l’université… Mais elles s’inscrivent dans un horizon politique plus large : remettre en cause l’université néolibérale et lutter pour la construction d’une société débarrassée de l’exploitation.
Repolitiser le quotidien : conscience de classe, conscience politique
Nous ne croyons ni au spontanéisme ni à l’activisme. Le combat contre l’extrême droite, la précarité, les réformes libérales ne se gagnera pas avec des slogans ni des postures. Il exige de construire du commun, de structurer des réseaux militants, d’organiser des étudiants là où ils vivent, là où ils étudient, là où ils galèrent. Cela suppose aussi de politiser le quotidien, de relier les luttes concrètes à une analyse globale du capitalisme.
C’est ce que nous faisons, avec modestie, mais avec conviction. Un travail de fourmis, un travail quotidien : seule réponse satisfaisante aux crises que nous traversons. L’UEC n’est pas un syndicat, mais elle porte un projet de société. Et dans cette période de fragmentation, elle agit pour que le “nous” étudiant, cette conscience de classe, redevienne un acteur politique à part entière.