Augmenter la souveraineté effective du peuple est un défi démocratique majeur. Ce défi implique de remettre en cause le pouvoir exorbitant donné à un seul et le pouvoir de l’argent, en installant des pratiques centrées sur la participation populaire. Affaiblissement du pouvoir présidentiel au profit d’un parlement plus représentatif, réappropriation citoyenne de la vie politique autour d’une gestion collective des biens communs, ou encore, résistance à l’emprise de la finance dans le champ politique, sont autant de pistes de réflexion proposées par Pierre Dharréville dans cet article.
L’élection présidentielle est celle par laquelle les françaises et les français ont le sentiment d’avoir le plus de prise sur les événements. C’est pourtant celle par laquelle ils abdiquent le plus leur pouvoir de citoyennes et de citoyens. Étrange paradoxe, qui montre que nous n’en avons pas fini avec la figure tutélaire. Les déséquilibres de la Vème République se sont d’ailleurs plutôt aggravés au fil du temps, à commencer par la sujétion des élections législatives à l’élection présidentielle, qui a renforcé la soumission du Parlement au pouvoir présidentiel. Mais le pouvoir présidentiel prend en réalité la forme d’un couvercle. Sur ce couvercle, il y a une main, celle des grands possédants du monde qui maintiennent la pression.
Les grands scandales tel celui des Panama Papers, la remise en cause des décisions démocratiques telles que le refus du Traité constitutionnel européen en 2005, ont montré l’incapacité de nos institutions à faire respecter la volonté populaire.
Comment s’échapper de la matrice monarchique, sortir de l’ornière plébiscitaire, mettre fin au présidentialisme ? Comment augmenter la souveraineté effective du peuple et faire en sorte qu’il gouverne plutôt que d’être gouverné ? Voilà un défi démocratique majeur pour la République dans notre pays.
La détermination collégiale et délibérative de la politique
Tout d’abord, il faut s’attaquer au présidentialisme. Cela passe par la remise en cause de l’élection présidentielle au suffrage universel qui donne un pouvoir exorbitant à un seul individu.
La conception autoritaire du pouvoir présidentiel préexistante à la crise sanitaire s’est amplifiée depuis. L’espace démocratique parlementaire a été réduit laissant très peu de place au débat, à l’échange et moins encore à la construction commune.
Les différentes lois liées à l’état d’urgence sanitaire, réitérées tant et plus, en sont les démonstrations frappantes, alors que tout s’entérine en Conseil de défense.
Refus de débat, mépris assumé et répété vis à vis des françaises et des français, nous venons de vivre cinq années d’exercice d’un pouvoir arrogant, solitaire et autoritaire. Tout cela conduit à cliver une société qui aurait eu besoin d’être unifiée, rassemblée, respectée, mobilisée…
Le président de la République pourrait être un président de Conseil constitutionnel, chargé de veiller au respect des règles communes et de l’esprit des règles communes.
La politique doit se déterminer de manière beaucoup plus collégiale et délibérative, au sein d’un Parlement plus représentatif de la diversité de la population et plus en prise avec les réalités sociales du pays. Mais ce rééquilibrage, accompagné d’une meilleure séparation des pouvoirs, ne saurait suffire.
L’appropriation citoyenne de la politique
Au-delà même d’une réforme des modes de scrutin mettant la proportionnelle à l’honneur afin de mieux rendre compte de l’opinion publique, il faut installer d’autres pratiques politiques, centrées sur la participation populaire la plus forte aux décisions. Monte une exigence salutaire d’action collective et de contrôle de l’action des élus.
C’est ce que je me suis efforcé de construire au cours de ce mandat à travers des rencontres citoyennes pour entendre les colères et les propositions mais aussi pour rendre compte, pour porter les voix des habitantes et des habitants de ma circonscription : pour faire la politique ensemble. Des temps d’échanges, de rencontres, d’action collective utiles et nécessaires.
Même durant toute la période de confinement, je me suis tenu à l’écriture quotidienne d’une chronique dans le but de conserver un lien humain, un lien politique avec la population : partager et construire mon mandat. C’est pourquoi le droit de contester un choix ou de proposer une décision doit être développé afin de ne pas laisser la seule initiative aux élus. C’est sur des projets et sur des orientations que doit porter le débat et que doit s’exercer tout le plus qu’elle le peut la souveraineté populaire.
Il faut réfléchir aux formes que cela doit prendre, mais l’utilisation plus fréquente de l’outil référendaire, débarrassé le plus possible de ses à-côtés plébiscitaires, est une nécessité. Cela étant, cela suppose un véritable débat politique, instruit et raisonné, alors que certaines forces cherchent à faire jouer la peur ou bien n’ont pour obsession que de masquer les véritables enjeux.
Compte tenu du caractère profondément infantilisant de nos institutions actuelles, tout cela suppose de faire grandir le niveau de conscience individuelle et collective des réalités du monde, de la planète, de l’humanité, du pays… C’est dans l’éducation populaire, dans la participation elle-même, et dans l’exercice de son plein pouvoir de citoyenne ou de citoyen – qui ne saurait se résumer au vote – que cela peut se construire. Plus de pouvoirs pour chacune et chacun, cela exige de libérer du temps pour la démocratie, la réflexion, la confrontation avec d’autres visions, l’engagement citoyen…
C’est pourquoi la casse de la démocratie locale est une mauvaise nouvelle, accompagnée de cette idée selon laquelle trop de citoyennes et de citoyens seraient élus pour représenter la population, et trop d’instances de délibération se disputeraient le pouvoir. Le citoyen, la citoyenne, naît de la Cité. La démocratie commence au plus près. Mais cela peut entraver les décisions prises en haut lieu, qui aimeraient se passer des avis gênants. Cette logique relève d’une démarche où l’efficacité réside dans le pouvoir discrétionnaire d’une part et d’autre part où l’utilité d’une institution se juge en termes de puissance face à ses voisins-concurrents.
L’un des vecteurs les plus forts d’une réappropriation citoyenne de la politique est la construction, la promotion et l’invention d’un vaste champ du bien commun.
Pour une protection juridique des biens communs
La planète, l’eau, l’air, tel monument, telle institution, tel secret de fabrication, tel réseau de chemin de fer, ce square en bas de la cité… Nous avons tant de biens communs.
Ce sont des biens essentiels, qui structurent la vie sociale et façonnent la civilisation humaine.
Or, l’accaparement d’un bien commun par quelqu’un ou quelques-uns prive tous les autres des droits véritables qui pourraient s’y rattacher et de la délibération que sa gestion pourrait susciter.
Nous avons donc besoin d’outils et de leviers pour amorcer un mouvement contradictoire, un mouvement de réappropriation sociale et démocratique. Par un tel mouvement, la République pourrait retrouver du sens et une force propulsive. Par un tel mouvement, l’Humanité pourrait s’engager dans une nouvelle étape de civilisation humaine. Un peu partout, il faut que puisse se poser cette question : ne parlons-nous pas là d’un bien commun ?
Dans le concret de la vie, il faut que s’enclenche une démarche d’inventaire des biens communs, pour les reconnaître, les évaluer, les protéger. Par eux nous sommes liés et nous pouvons être reliés.
C’est le sens de la proposition de loi que j’ai déposé à l’assemblée Nationale[1].
Il s’agit d’un mécanisme de saisine citoyenne du Comité économique social et environnemental permettant d’attribuer le statut de bien commun. Alors se constituerait un Conseil du bien commun en question afin d’en dresser l’état des lieux et de formuler des préconisations au regard de son statut. Ces préconisations seraient rendues publiques, et adressées aux autorités concernées afin d’être examinées et débattues.
Poser cette simple question : ne s’agit-il pas d’un bien commun ? Se rendre compte de la valeur d’un bien pour l’intérêt général et des responsabilités qu’il engage. Et ouvrir un débat politique sur les usages qui en sont faits, sur son mode de gestion et pourquoi pas son mode de propriété. Autour de la chose commune, débattre ensemble et penser l’avenir.
Le sentiment que les institutions républicaines sont des monolithes qui nous sont étrangers et trop souvent inutiles cause de nombreux dégâts. Il faut donc réinjecter partout de véritables ferments de participation populaire dans les institutions, avec des possibilités de contrôle, d’initiative, de proposition.
La remise en cause du pouvoir de l’argent
Cette réflexion doit amener à remettre en cause le pouvoir des propriétaires — les grands propriétaires du monde, s’entend. Parce que leur argent leur a permis d’acquérir des titres, les grands actionnaires se croient autorisés à décider de notre avenir, et pas seulement celui de nos emplois, mais aussi celui de notre planète, de notre alimentation, de nos modes de production, de l’aménagement du territoire… Les conflits d’intérêts et la corruption qui émaillent le fil de l’actualité sont le témoignage de la place occupée par l’argent dans la société et a fortiori dans le champ politique. Il faut les rendre impossibles et disons-le, la place faite à la réponse privée au sein même de ce qui devrait être des politiques publiques en est l’une des causes.
Le développement de services publics efficaces et innovants est aussi une réponse à cette question. Ce pouvoir de l’argent doit être remis en cause jusque dans les entreprises avec de nouveaux droits pour les salariés, les citoyennes et citoyens et leurs représentantes et représentants. L’un des défis majeurs de notre temps demeure la remise en cause du pouvoir de la finance qui fonde aujourd’hui le système capitaliste. Il serait fou de croire que l’on pourrait se contenter de faire vivoter des institutions démocratiques dépouillées de leur prise sur les événements.
Pour faire cela, il faut produire un nouvel acte fondateur, un acte de réappropriation de la République, il faut une nouvelle Constitution au bout d’un grand débat populaire. Il faut une République qui décide d’accrocher pour de bon sa charrette à ses valeurs tant affirmées et si peu mises en œuvre : liberté, égalité, fraternité.