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Une nouvelle vague de contestation écologiste: De la désobéissance civile à l’ère de l’urgence climatique et sociale, vers un mouvement écologiste radical transpartisan?

Une nouvelle vague de contestation écologiste: De la désobéissance civile à l’ère de l’urgence climatique et sociale, vers un mouvement écologiste radical transpartisan?Temps de lecture : 7 minutes

Les récentes actions symboliques écologistes dans les musées pour dénoncer l’inaction des gouvernements à l’égard du réchauffement climatique relèvent-elles d’une nouvelle génération militante adepte de la désobéissance civile pour faire entendre leur voix ? C’est l’hypothèse avancée par Sylvie Ollitrault qui conjecture l’essor d’un « mouvement transpartisan radical ».

Dès l’été marqué par une canicule inédite, la France a connu des actes de contestations écologistes tous azimuts et étonnant les médias. Les cibles pouvaient être des piscines, des golfs ou encore la perturbation d’épreuves sportives, puis les musées. Cette démultiplication des actes, ces cibles nouvelles ont intrigué l’opinion publique, et suscité des discussions dans les arènes médiatiques.

En octobre 2022, les actes d’intrusion dans les musées avec une grammaire de contestation identique dans plusieurs États de l’Europe de l’ouest ont accru l’intérêt des analystes, des médias et du mouvement écologiste lui-même. D’autant que ces actes se sont produits dans un contexte de crise internationale (géopolitique, sociale, voire politique) et de réunions de la COP 27.

Quelles sont les motivations de cette génération qui serait éco anxieuse ou qualifiée de radicale voire d’éco terroriste ?  Pourquoi cette jeunesse se mobilise-t-elle dans ce nouveau contexte traversé par une crise sociale, internationale et économique inédite depuis la fin des 30 glorieuses ? Est-ce que ces revendications renouvellent la demande sociale en matière d’environnement ?

L’action directe non violente d’une génération en colère

Il s’agit de caractériser dans un premier temps, cette génération qui rejoint Dernière Rénovation en France ou les mouvements du réseau dans les différents États européens. La plupart sont des primo militants même si un petit groupe est passé par un réseau comme Extinction Rebellion ou Alternatiba qui ont promu des actions de désobéissance civile radicales. Dans ce cadre, ces militants entrant en action dont certains insistent sur leur statut de « citoyens », partagent des caractéristiques en termes d’exposition à un discours sur l’urgence climatique, à une socialisation aux degrés plus ou moins forts au développement durable et au sentiment que la planète est en danger.

C’est une génération qui a pu participer de près ou de loin aux grèves pour le climat de Greta Grunberg au sein de leur lycée à la fin des années 2010. Elle a traversé deux ans de contraintes fortes via les confinements, les restrictions aux libertés publiques dont celles pour les plus jeunes restreignant leurs lieux de sociabilité : soirées-regroupements et partage d’expériences communes. Rappelons la stigmatisation souvent de leurs pratiques et parfois les rappels à l’ordre qui pesaient sur cette génération qui aurait été plus protégée que leurs ainées des effets du COVID 19. De manière globale, en Europe, il a été bien documenté que les jeunes ont été civiques et ont respecté la plupart des interdits y compris ceux qui atteignaient frontalement leur mode de vie.

La fin de la pandémie et la sortie de l’état d’urgence sanitaire n’ont pas été sans épreuve puisque dès l’hiver 2022, l’Europe entrait dans une guerre sur son sol et que l’été a été marqué par une canicule prouvant l’accélération du réchauffement climatique. Dans ce contexte singulier pour une génération qui sent que son avenir ne sera plus articulé au récit de progrès, véritable moteur d’action du XXème siècle, de nombreux jeunes européens s’interrogent sur la dynamique des sociétés voire sur leur propre place d’individu.

La génération future, c’est nous !

Ce slogan « la génération future c’est nous ! » interpelle la justification des politiques publiques soutenant ou promouvant les mesures écologistes. Ainsi, le Sommet de la Terre à Rio en 1992, a justifié le développement durable au nom de la préservation des générations futures. Les diagnostics scientifiques du GIEC produisent des scénarii prouvant que des mesures doivent être prises pour protéger notre habitacle commun la Terre.

Or, cette génération estime qu’elle sera celle qui subira les effets du réchauffement climatique, des transformations économiques et sociales majeures. Ce sentiment de perte, voire de perte de chance traverse l’opinion au point que des parents ou grands-parents manifestent leur solidarité avec les jeunes (Grands parents pour le Climat) ou commencent à rallier certaines actions directes non violentes au nom de l’urgence climatique.

Dans le cadre de cet article, il serait trop ambitieux de décrire la désobéissance civile qui est une justification de répertoire illégal et radical au sens d’un engagement exigeant pour celui ou celle qui le pratique. Soulignons que les militants savent qu’ils devront répondre de leurs actes devant un tribunal parfois, d’assumer une garde à vue. Certains devront payer des peines d’amendes voire de l’emprisonnement (avec sursis ou non).  Ces activistes pratiquent également l’occupation en se collant les mains sur le sol ou des surfaces ; or, ce modus operandi hormis d’être dangereux pour leur intégrité physique demande aux forces de l’ordre ou de sécurité, une intervention qui orchestre une tension montrant la détermination militante face à des représentants de l’État.

Bien que cette grammaire reflète les tactiques de la désobéissance civile déjà éprouvées par le mouvement de Gandhi ou celui de Martin Luther King, il n’en demeure pas moins que les actions directes non violentes récentes mettent en scène la colère de cette génération face à l’urgence climatique. Or, des contraintes pèsent sur l’action : il faut émouvoir, alerter une opinion publique sur l’inaction climatique des États, tout en sachant que la population est aussi préoccupée par la crise économique et sociale. L’alerte passe par une scandalisation forte rappelant d’autres mouvements sociaux féministes, homosexuels. Dans un contexte de forte pression sur les individus qui n’arrivent plus à voir d’espoir pour leur avenir, la scandalisation est autant une stratégie qu’un continuum identitaire. La colère, la tristesse, peuvent être en l’occurrence l’expression d’une éco anxiété, devenue dynamique de la mobilisation. Dans un sens, on n’est passé d’un récit de progrès infini à celui de la protection, de la survie du Vivant.

Un mouvement radicalement écologiste ?

Cette irruption d’actions collectives directes qui réclament des mesures radicales et transformatrices globales en ciblant les entreprises, les états, le modèle de société, n’est pas sans effet sur les organisations environnementales et écologistes et l’ensemble du champ politique. Peut-être parce que ces mouvements diagnostiquent que la planète est face à une urgence vitale, de survie. Pourquoi vitale ? Car, cette urgence ne se situe plus au niveau du cadre de vie ou de la sensibilité de quelques individus ou groupes particulièrement investis dans la défense de l’environnement, elle dépasse les frontières des secteurs de la contestation. Sans être formellement pensée, il est d’usage de présenter les mouvements sociaux en se référant à des groupes d’intérêts (femmes, homosexuels ou encore environnement), alors que les partis politiques capteraient ou représenteraient ces intérêts à la manière d’un parti communiste pour la classe ouvrière ou encore les partis écologistes pour l’environnement. Or, peu à peu, ces partis ont connu des difficultés à jouer ce rôle de représentation en voyant leur offre politique être captée par des concurrents (ouvriérisme affiché des partis de droite ou conservateur, greenwashing de l’ensemble des groupes politiques). En outre, la nouvelle génération militante porte des voix qui ne se reconnaissent ni dans les partis, ni dans des ONG anciennes, ni dans les représentations dites au rabais de leurs intérêts pour l’environnement. Comme si les clivages identifiés par Stein Rokkan, spécialiste des partis politiques, ne fonctionnaient plus et démontraient que le XXIème siècle se construit sur de nouvelles dynamiques de conflictualité et d’intérêts.

Ainsi, l’action directe non violente légitimée par la mise en scène d’une identité de citoyen actif court-circuite de nombreux canaux de négociations ou de représentations estimés peu efficaces et en deçà de leur soif de transformation sociale. Si le mouvement actuel en faveur de l’égalité homme/femme bouscule tout le système politique (y compris les partis s’estimant les plus vertueux dans le domaine), ce mouvement d’écologisme se veut également sociétal. Ni parti politique, ni ONG, ces réseaux d’acteurs, à l’engagement radical, n’incarneraient-ils pas la naissance d’un mouvement transpartisan radical ? En d’autres termes, ce mouvement questionnerait-il la société, ses fondements, en réclamant des réformes en donnant une autre tonalité à l’idée occidentale du progrès, plus inclusive à l’égard du Vivant ? Au travers de ces manifestations, retenons la colère, l’expression de l’urgence et la circulation d’idées qui n’auront pas volonté de s’insérer dans le système politique, mais de réclamer une transformation dynamique et formelle de sa nature. Si le projet est ambitieux et se fait entendre, cette génération doit encore inventer une manière d’emporter l’assentiment des masses et de transformer l’essai de l’alerte en un mouvement de fond qui ne peut simplement être une réponse à une crise. Soulignons que Gandhi, Martin Luther King avaient pensé dès la naissance de leur mouvement de libération à l’importance de leur écho dans l’opinion publique : l’État représentait la violence et les militants, le juste droit et l’incarnation de la démocratie. Car, il est à parier que dans cette dynamique de recomposition des forces politiques et sociales, les groupes d’intérêts rivaux, hostiles réagiront à la hauteur des attaques et repositionneront leurs stratégies voire décrédibiliseront ces engagements. Comment ces mouvements de citoyens maintiendront-ils leur effet de transformation globale ?

Pour citer cet article

Sylvie Ollitrault, «Une nouvelle vague de contestation écologiste: De la désobéissance civile à l’ère de l’urgence climatique et sociale, vers un mouvement écologiste radical transpartisan?», Silomag, n°12, déc. 2020. URL: https://silogora.org/une-nouvelle-vague-de-contestation-ecologiste/

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