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Biodiversité: quelques solutions pour la protéger

Biodiversité: quelques solutions pour la protégerTemps de lecture : 9 minutes

Face à la crise de la biodiversité, la question se pose avec acuité de savoir s’il est possible d’inverser le processus. Alain Pagano revient sur les causes des disparitions d’espèces pour dresser quelques perspectives de solutions, dont l’écologie de la restauration qui permet potentiellement de réparer bien des erreurs, bien des actions négatives de nos activités humaines sur les écosystèmes. Au-delà des solutions s’ajoute la question de changements systémiques pour modifier notre rapport à la nature.

Tous les experts scientifiques le disent, nous vivons probablement la sixième crise d’extinction de la biodiversité. De nombreuses espèces sont au bord de la disparition. Avec ces bouleversements potentiels, imprévisibles, et la disparition de pans entiers du patrimoine vivant. Aux rapports alarmants de l’IPBES (groupement de scientifiques spécialistes de la biodiversité, analogue du GIEC pour le climat) s’ajoutent les rapports du WWF sur le déclin prononcé des populations d’insectes, d’oiseaux… annonciateur de nouvelles extinctions d’espèces si rien n’est fait pour changer la trajectoire.

Si l’on regarde cela avec un regard de chercheur en évolution, on se dit qu’à cette crise devrait succéder la naissance de nouvelles formes de vie, comme cela a été le cas dans les cinq crises précédentes. À titre d’exemple, les dinosaures en proie à l’extinction ont laissé place nette à une formidable diversité de mammifères. Alors, jouons une minute le rôle d’avocat du diable : pourquoi donc protéger la nature, la faune, la flore, les écosystèmes ?

Cette question s’est posée, se pose à certains, devant des combats incompris, à juste titre ou non d’ailleurs. Cette question se pose plus fortement quand on oppose protection de la nature à développement humain. Qui n’a pas trouvé exagéré l’arrêt d’une construction d’autoroute pour sauver les scarabées pique prune ? Pourtant, les choses ne sont pas nécessairement opposables.

Qui n’a pas moqué le combat « romantique » de B. B. pour sauver les bébés phoques parce que c’est trop mignon ? La question étant pourquoi les bébés ? Pourquoi les phoques seulement ? Pourquoi pas des espèces moins « sexy » type les araignées, moustiques, limaces, vers, serpents… ? Le côté « fleur bleue » est moqué par ce qu’il manque de cohérence, se base sur du sentimentalisme, préfère parfois les animaux à l’humain, comme s’il fallait choisir ! S’il est fondé de critiquer l’activité humaine destructrice et prédatrice sur son milieu, opposer l’humain à la nature est contreproductif pour apporter des solutions majoritairement acceptées par nos sociétés. Il faut un développement humain en harmonie avec la nature.

Mais bon, si on enlève l’incohérence, le sentimentalisme, l’opposition humains/autres espèces et qu’on lui préfère cohérence, rigueur scientifique, logique globale, je repose la question : pourquoi donc protéger la nature, la biodiversité, les écosystèmes ?

À cette question, il existe plusieurs types de réponses complémentaires et non opposables :
– de type rationnel : c’est pour la survie du vivant y compris nous-même. Argument qui se discute peu, en réalité au regard de l’ampleur de certains bouleversements écologiques, je pense notamment au dérèglement climatique… dont les conséquences sont encore difficiles à prédire ! Quand une espèce disparait de la « chaine alimentaire » (aujourd’hui on préfère le terme réseau car il correspond mieux à la complexité du vivant), des cascades d’extinction d’espèces sont possibles. Y compris la nôtre, personne ne peut ni le prédire, ni l’écarter. Mais ne jouons pas aux apprentis sorciers !
– de type philosophique : si le processus d’extinction d’espèce est naturel, l’humain favorise, renforce l’ampleur de ces extinctions à cause de son influence sur l’environnement. Il doit donc « réparer les dégâts » en protégeant espèces et écosystèmes.
– de type culturel : c’est pour sauvegarder le patrimoine naturel au même titre qu’on peut s’intéresser au patrimoine historique, culturel… On apprécie des paysages naturels, des rencontres fortuites avec des espèces sauvages lors de nos ballades dans la nature. C’est un argument un peu plus romantique. Mais il se respecte. Comme se respecte le fait de s’extasier devant de vieux monuments ou une exposition d’art contemporain.
– de type intéressé : la nature est profitable à l’homme. Elle nous rend des services. On parle de services écosystémiques. Il existe plusieurs catégories de services écosystémiques :
1. d’approvisionnement : nourriture, combustibles, matériaux ou médicaments…
2. de régulation : climat, pollinisation…,
3. socioculturels : bénéfices récréatifs, culturels, esthétiques…
4. de soutien : action nécessaire à tous les autres services assurant le bon fonctionnement de la biosphère (grands cycles biogéochimiques de l’eau, du carbone…).

Un exemple : les (insectes) pollinisateurs « rendent service » en permettant la reproduction des végétaux, élément de base des écosystèmes et ressource alimentaire pour de nombreuses espèces, dont la nôtre. Par ailleurs certaines espèces végétales peuvent avoir des vertus dépolluantes, d’épuration des eaux douces, de régulation du climat et de production d’oxygène nécessaire à la vie. Enfin, de nombreuses molécules de notre pharmacopée sont issues du vivant (plantes médicinales, mais aussi molécules d’origine animale).

Crise d’extinction de la biodiversité

Dans l’histoire de la vie, il y a déjà eu cinq grandes crises d’extinction de la biodiversité, la plus connue étant celle de la disparition des dinosaures. Au cours de ces crises, jusqu’à 95% des espèces ont disparu ! La plupart de ces crises ne peuvent avoir une cause humaine puisque l’humain n’était pas encore apparu sous sa forme Homo sapiens. Je n’en dirai pas tant de la sixième grande crise d’extinction de la biodiversité que nous sommes en train de vivre.
Elle se manifeste déjà par un taux estimé d’extinction très supérieur à celui du moment de la disparition des dinosaures. Il y a des menaces d’extinctions préoccupantes pour de nombreuses espèces (oiseaux, amphibiens, abeilles, coraux…) et 40% des espèces de mammifères présentent des marques de déclin de leurs populations. Nous sommes déjà dans l’urgence d’actions, de solutions.
Les causes de la disparition des espèces sont multiples, et certaines sont naturelles, mais beaucoup sont liées à l’activité humaine. Selon l’IPBES, la biodiversité subit des atteintes sans précédent, sous l’effet des cinq facteurs de pression directs – changements d’usage des terres, exploitation des ressources, changements climatiques, pollutions, espèces exotiques envahissantes – eux-mêmes sous l’influence des facteurs indirects comme la démographie humaine, les cultures, les modes de production et de consommation, les institutions et les gouvernances, avec des conséquences graves pour la survie de nos sociétés.
Parmi ces causes, il y a :
– la destruction des habitats naturels, leur fragmentation. Par exemple, quand on coupe un massif forestier en deux pour y faire passer une autoroute, empêchant les migrations des animaux d’un côté à l’autre, on fragmente l’habitat ! Cela aboutit à un appauvrissement des échanges migratoires, reproducteurs et donc à une consanguinité accrue, une érosion qui précipite le déclin des populations. C’est considéré comme la cause majeure d’extinction des espèces.
– les espèces envahissantes : quand une espèce est introduite hors de sa zone de distribution habituelle, et qu’elle se met à pulluler, elle peut causer tort aux autres espèces de la région, prendre leur place et les pousser à l’extinction. Les exemples sont légion et une cause non négligeable d’extinction d’espèces. « L’algue tueuse de méditerranée » étant un des exemples qui a été fortement médiatisé.
– la pollution : les pesticides par exemple sont fortement soupçonnés d’être impliqués dans le déclin des populations d’abeilles. Mais on pourrait prendre d’autres exemples
– comme l’apparition de nouvelles maladies. Par exemple, un champignon pathogène « Batrachochytridium » fait des ravages dans les populations de grenouilles et crapauds tropicaux les décimant quasiment à 100%. Cette maladie récente pourrait être liée à des déplacements d’animaux à cause de l’homme et/ou au réchauffement climatique.
– les changements liés au réchauffement climatique sont de plus en plus invoqués dans la disparition de la biodiversité : mort de baobabs millénaires, blanchiment des coraux… La liste risque malheureusement de s’allonger.
Je ne prétends pas être exhaustif dans les causes d’extinction, mais je veux montrer que l’humain, clairement, est en grande partie responsable de cette crise.

Comment protéger la biodiversité ?

Il y a l’aspect « traitement de la maladie » si je puis faire une analogie médicale. On va « soigner » en protégeant espèces et écosystèmes. Mais on ne le fait pas au doigt mouillé, au risque de faire des erreurs, des bêtises. On suit une méthodologie scientifique, la biologie de la conservation. Et il y a plusieurs directions :
– La réparation d’écosystèmes. L’écologie de la restauration est une science théorique et appliquée qui consiste à penser, concevoir, mettre en œuvre des solutions pour « rénover », réparer ou même recréer des écosystèmes qui ont été abimés, dégradés, voire supprimés. Elle est mise en œuvre régulièrement et fonctionne. Elle permet donc de réhabiliter des milieux naturels, condition pour le rétablissement démographique des espèces. C’est une des solutions de reconquête de la biodiversité. Par exemple, on parle beaucoup de la disparition des terres agricoles lors d’aménagements. Et puis, des espaces aménagés sont abandonnés, les « dents creuses » dans les villes, les friches industrielles… Pourquoi ne pas renaturer, remettre en état ces espaces pour en faire des terres agricoles, des espaces verts, des milieux naturels… ou des surfaces agricoles. Je ne prétends pas que ce soit facile et immédiat, ni que cela compense en totalité la disparition de surfaces agricoles et naturelles, mais la direction doit être prise.
– La création de nouvelles réserves naturelles. Aujourd’hui, les zones protégées représentent 17% des surfaces terrestres et 10 % des surfaces maritimes. Les experts souhaitent faire progresser ces chiffres à au moins 30 % (terres et mers réunies) d’ici dix ans, dont au moins 10 % sous stricte protection.
– Les tunnels à faune en dessous des autoroutes ou écoducs (au-dessus des autoroutes) pour « défragmenter » les habitats, remettre en état les routes migratrices des animaux.
– Les banques de semences végétales pour permettre des semis si les populations de telle ou telle espèce sont menacées.
– L’élevage en zoo et, dans certains cas, la réintroduction en milieu naturel.
– Enfin, l’éducation, la sensibilisation à la protection de la biodiversité.
Des retours d’expérience, par exemple, les congrès scientifiques internationaux de biologie de la conservation, montrent que c’est possible de protéger des espèces menacées de ces diverses manières et il convient de donner force à ces actions. Il n’y a pas de fatalité à leur déclin. Il faut se donner les moyens de changer notre impact sur l’environnement en changeant de type de société.
Et il faut également agir, en donnant les moyens aux chercheurs, aux praticiens de la conservation de la biodiversité, pour mener leurs études et les valoriser auprès des décideurs comme du grand public. La protection de la biodiversité devrait être une grande cause nationale, pour la vie et pour notre bien-être sur cette planète.

Dans le même temps que l’on « soigne », on va essayer de s’attaquer à la racine des problèmes, les causes systémiques. De ce point de vue, il convient d’interroger nos rapports avec la nature. Le capitalisme, caractérisé par l’appât du gain, la course au profit égoïste pousse à la surexploitation des ressources naturelles ; des écosystèmes ne devraient pas être privatisés, mais constituer un bien commun de l’humanité. L’ambition irraisonnée des libéraux qui rêvent d’accorder une valeur marchande à la nature, à la biodiversité, aux services écosystémiques doit être combattue car ces services sont d’intérêt général.
Cette déclamation de principe prend des formes très concrètes :
1. Il faut en finir avec l’utilisation irraisonnée des espaces naturels. On pense à l’étalement urbain, aux plateformes logistiques dans les villes périphériques des métropoles, aux projets de centres commerciaux…
2. Il faut permettre aux populations de travailler la terre pour vivre dignement, pour prévenir et combattre la déforestation comme les incendies provoqués pour favoriser l’agriculture industrielle.
3. Il faut taxer l’exploitation des ressources naturelles, pour réduire les prélèvements de ces ressources et privilégier l’économie circulaire (matières recyclées).
4. Il faut obtenir une application ferme des réglementations sur la protection des espèces en réprimant les trafics d’animaux sauvages, source de profits juteux pour des mafias internationales.
Ces idées peuvent sembler utopistes. Mais elles sont potentiellement applicables pour peu que l’intervention des peuples fasse pression sur les États. Sur la question climatique, il était peu probable que les avancées soient à la hauteur des enjeux… mais la pression citoyenne oblige les gouvernants à prendre des mesures. Il est indispensable d’agir de même pour la biodiversité.

 

Pour aller plus loin :

Pour citer cet article

Alain Pagano, «Biodiversité: quelques solutions pour la protéger», Silomag, n°12, décembre 2020. URL: https://silogora.org/biodiversite-quelques-solutions-pour-la-proteger/

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