En Colombie, la pandémie aggrave une situation socioéconomique et politique déjà tendue en menaçant 20 millions de personnes de pauvreté et de faim. Le secteur de la santé soumis au marché souffre de nombreux manques et génère des inégalités accentuées par les mesures économiques et sociales du gouvernement Duque. Alors que la gauche et les mouvements sociaux se mobilisent pour des alternatives, l’autoritarisme du pouvoir et la violence politique redoublent d’intensité et mettent en péril les accords de paix signés en 2016. Tour d’horizon avec Rodrigo A. Alvarez G.
Les conséquences de la pandémie amplifiées par un secteur de la santé soumis au capital financier.
La pandémie générée par la Covid-19 se développe avec virulence, approchant dangereusement le pic de contagion sans les décisions sanitaires et économiques nécessaires pour y faire face et prévenir l’appauvrissement et la faim chez près de 20 millions de Colombiens.
La pandémie a révélé la précarité des systèmes de santé privatisés liés au capital financier. Dans notre cas, les dettes EPS (régies privées chargées de la santé) envers les hôpitaux et les cliniques représentent près de 9 milliards de pesos. Les salaires du personnel de santé sont bas, les populations rurales et les citadins pauvres souffrent du manque d’infrastructures et par conséquent de protection. La technologie et les ressources humaines de la santé, lorsqu’elles existent, se concentrent sur les personnes les plus riches des villes. Ce modèle hautement discriminatoire viole le droit à la santé des Colombiens, il est donc nécessaire de le retirer définitivement de l’orbite du marché et de pouvoir ainsi corriger les lacunes constatées. Malheureusement, le gouvernement réagit tard, mettant en danger la vie des personnels de santé et des citoyens.
Des mesures économiques et sociales accentuant la dépendance à l’égard de l’extérieur
Sur le plan économique, les limites de la production ont persisté, comme le déficit du solde des transactions courantes, la faible création de richesse, le chômage croissant et le service de la dette volumineux ont rendu notre dépendance extérieure si évidente que nous devons importer les masques, les médicaments et les équipements médicaux. Avec une protection tarifaire saine et une réelle promotion de la recherche et du développement, nous pourrions produire partiellement dans notre pays, les prototypes de respirateurs produits par les universités colombiennes qui coûtent 30% moins cher que sur le marché international. Ils sont toujours dans la file d’attente fastidieuse et bureaucratique d’INVIMA (régie des brevets). En plus de ce qui précède, nous sommes devenus des importateurs nets d’engrais et de semences pour produire des aliments. Malgré cela, les agriculteurs colombiens fournissent 70% de la nourriture à la nation ; malheureusement en raison des contraintes logistiques et de la baisse de la demande, beaucoup d’entre eux perdent leurs récoltes. Au lieu d’un soutien, ils reçoivent du gouvernement Duque un décret qui supprime les droits de douane pour l’importation de céréales et d’autres aliments.
La moitié de la population active sans revenu
Parallèlement à la dépendance et aux limitations de production, le chômage augmente, avec 5 millions de chômeurs en mai (20%), et plus de 5 millions de nouveaux dits “inactifs”, cela veut dire la moitié de la population active sans revenu. Avec le groupe parlementaire qui rassemble les partis et les forces du Forum de Sao Paulo, et d’autres élus, nous avons promu la proposition de revenu d’urgence de base (EBR) d’un salaire minimum (250 USD) pour environ 8 millions de familles colombiennes. Malheureusement, la coalition gouvernementale a empêché le débat et le gouvernement a finalement décidé d’allouer, à travers son programme ciblé, 46 USD par famille pour une population de 3,5 millions de personnes.
De manière honteuse et peu transparente, le gouvernement a annoncé des dépenses d’environ 117 milliards de pesos en raison de la pandémie, plus de 10% du PIB, pour favoriser les banques, ce qui a été dénoncé par les centres de recherche et le groupe parlementaire de gauche. D’après les forces de l’opposition, il existe des sources de financement pour améliorer la situation des Colombiens les plus pauvres touchés par la pandémie, en éliminant les exonérations fiscales pour les gros capitaux, en renégociant la dette extérieure et en rapatriant une partie des réserves internationales du pays. Un prêt de la Banque centrale à l’État peut aussi s’envisager, mais le gouvernement s’y est opposé. Au contraire, il annonce une nouvelle réforme fiscale pour l’année à venir, qui, en raison de l’orientation du ministère des Finances, devrait être plus contraignante pour les couches populaires.
Recrudescence de la violence politique, autotiratisme du pouvoir et mise en péril des accords de paix
L’une des facettes préoccupantes de l’urgence sanitaire est l’autoritarisme, la recrudescence de la violence politique et de la guerre. La déclaration de l’urgence sanitaire a conduit à la semi-paralysie du système judiciaire et du Congrès, laissant littéralement tout pouvoir public aux mains de l’exécutif et sans contrôle politique. C’est l’autoritarisme qui est reproduit par des décrets dans les provinces et les mairies qui restreignent les libertés de mobilisation sociale, fortement réprimée sur tout le territoire national. En plus de cela et en raison de l’urgence, la distribution d’aides aux populations précaires est l’objet de corruption dans l’achat de kits alimentaires, la sous-traitance d’UCIS (respirateurs artificiels) à des cliniques privées, entre autres, qui ont déjà été dénoncées par le Contrôleur général de la nation.
Malgré les restrictions de mobilité, la violence politique ne cesse pas, la quarantaine a commencé avec le massacre de 27 prisonniers dans la prison Modelo à Bogota, qui ont exigé des conditions sanitaires préventives de la Covid-19. Pendant la pandémie, environ 35 dirigeants sociaux et 200 signataires de l’Accord de paix ont été assassinés[1]. Le gouvernement oeuvre au démantèlement de l’accord de paix en simulant les chiffres et laissant les programmes de réintégration et de substitution des cultures illicites sans ressources.
Dernier point, mais non le moindre, c’est l’attitude du gouvernement Duque vis-à-vis du gouvernement américain, qui renoue la stratégie manquée de la guerre à la drogue, qui remet en cause la substitution volontaire de la culture de la feuille de coca, génère plus de violence contre la paysannerie et prépare la dépossession de terres à potentiel minier ou agro-industriel, sous prétexte sécuritaire. À l’extérieur, John Bolton, ancien conseiller à la sécurité du président Trump, a déjà confirmé que le territoire colombien a été offert par Duque pour des manœuvres de provocation américaines contre le peuple du Venezuela, avec des exercices militaires le long de la frontière et le parrainage d’opérations militaires secrètes, par d’anciens soldats vénézuéliens, dirigés par la marionnette Guiadó et des conseillers militaires américains. Nous considérons que la communauté internationale doit agir pour dénoncer et éviter une intervention militaire au Venezuela.
Une réactivation de la mobilisation sociale
Malgré la situation difficile, il faut noter que le groupe parlementaire de gauche est parvenu à s’unir face aux principaux débats politiques du pays, que la mobilisation sociale se réactive lentement, et que plusieurs initiatives sont en cours, comme les sit-in organisés par la Commission nationale de Grève (CNP), les actions des travailleurs du pétrole contre l’initiative gouvernementale de privatisation des entreprises du groupe Ecopetrol, la Marche pour la vie des leaders sociaux qui a débuté le 25 juin et les protestations du mouvement féministe qui dénonce la vague de féminicides et notamment le viol d’une fille indienne de 12 ans par 9 membres de l’armée nationale.
Il faut arrêter la fuite en avant du gouvernement Duque, qui représente la violence politique, l’autoritarisme, le corporatisme, l’abandon de la souveraineté et menace la paix régionale. La crise nationale, sanitaire, économique, politique, humanitaire et morale demande une issue démocratique et impose la plus large convergence de courants politiques et sociaux avec un programme de changements et de modalités d’ actions communes en vue de sa réalisation.