Que ce soit dans le monde professionnel ou dans la vie privée, les femmes ont été les premières à subir les conséquences de la pandémie ; conséquences elles-mêmes amplifiées par les choix politiques effectués ces dernières décennies. Lilian Halls-French dresse un panorama de la situation à l’échelle mondiale et insiste sur l’importance de recourir à des analyses genrées de la crise pour pouvoir apporter des réponses adaptées aux besoins et créer les conditions de sécurité nécessaires.
La pandémie jette une lumière lucide sur la gestion criminelle de notre planète et de ses ressources ainsi que sur les politiques inhumaines dont elle ne fait qu’amplifier les tragiques conséquences et les souffrances engendrées : des millions de morts, des millions de personnes réfugiées et déplacées, des millions de sans-abri, des millions de personnes confrontées à la famine, au manque d’eau, un nombre infini de prisonniers politiques, d’esclaves, de victimes de la colonisation, de naufragés qui tentaient de fuir la misère ou la terreur…
Le principe fondateur de la Déclaration Universelle des Droits Humains «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits» est-il appelé à rester à jamais une lointaine et nébuleuse fiction ?
L’oppression des femmes: le visage silencieux de la pandémie
La COVID a produit une sorte de radiographie de la globalisation : dans les pays en voie de développement, un sous-équipement sanitaire et médical massif, dans les pays riches, des systèmes publics de santé qui connaissent depuis plusieurs années, comme tous les autres services publics, privatisation, précarisation des emplois, soumissions aux règles de rentabilité, manque de médicaments désormais largement importés de pays où la main-d’œuvre est moins coûteuse.
Les femmes sont en effet encore une fois au premier rang pour subir et faire face aux conséquences de tels choix. Dans la plupart des pays, l’oppression des femmes est le visage silencieux de la pandémie. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, environ 70% de la main-d’œuvre massivement exposée au virus dans le secteur sanitaire et social, les services de nettoyage et les services d’assistance personnelle est féminine. Par ailleurs, si le stress, le chômage et les difficultés financières sont les déclencheurs permanents de la violence domestique, on sait désormais que la distanciation sociale et l’isolement l’amplifient démesurément. Plus la tension monte, plus cette violence, y compris la violence sexuelle, s’accroit: en France une augmentation de 30% de cas déclarés au cours des deux premières semaines de confinement, 36% au Maroc, 33% Jordanie, 180% au Liban, 60% en Espagne, 70% en Italie depuis le début du confinement ; en Tunisie, les violences faites aux femmes ont été, dans ce laps de temps, multipliées par cinq. Isabel Ortiz, commissaire aux droits des femmes auprès du Médiateur national péruvien en charge des droits humains, a fait savoir que 606 filles et 309 femmes ont été portées disparues entre le 16 mars – début du confinement – et la fin juin…
Les risques de freinage voire de blocage des progrès réalisés
Dans ce contexte, la fermeture de plusieurs services d’appel et de secours, ou leur mobilisation prioritaire pour la Covid, tout comme la limitation de l’accès aux services de protection en raison du manque de moyens publics, créent des difficultés supplémentaires pour sécuriser certains cas où la vie même des femmes est en jeu ; d’autant qu’avec la fermeture des voies d’accès à la sécurité et au soutien, il est plus difficile de fuir un partenaire violent. Quant aux femmes réfugiées victimes de violence et de persécution, elles ne peuvent quitter leur pays d’asile en raison de la fermeture des frontières et des restrictions de voyage. Et puis, dans ce moment où toutes les ressources médicales et humaines sont concentrées sur l’épidémie, les problèmes de santé qui ne sont pas considérés comme prioritaires sont négligés, voire ignorés. Cela n’est pas sans conséquence sur la santé physique et mentale des femmes et sur les droits reproductifs, notamment en termes de restrictions pour le recours à l’IVG.
La violence contre les femmes et les filles est désormais définie, en conformité avec les standards du droit international, comme violation des droits humains fondamentaux. Loin d’en finir avec l’inégalité des sexes, des progrès importants ont néanmoins été réalisés, comme l’adoption de lois et le développement de plans d’action et de stratégies, pour prévenir et enrayer cette violence. On peut citer la mise en œuvre d’un plan pour l’application de la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité de l’ONU au Liban qui requiert la révision de la législation et des politiques pour garantir l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, l’adoption d’une loi globale contre les violences faites aux femmes en Tunisie ou encore, en France, la loi de 2016, dite loi nordique, visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes qui sortent de la prostitution…
Or, la crise du COVID-19 porte en elle la menace de freiner voire de bloquer ces progrès. Cette menace requiert pour l’application des directives COVID-19 de l’OMS, l’intervention urgente des gouvernements et des organisations internationales en soutien des associations féministes, afin que la pandémie n’annule pas les résultats d’années de luttes des femmes pour leurs droits .C’est le sens du Dialogue Ministères Société Civile que l’Initiative Féministe Euro-Méditerrannénne organise, dans le cadre d’une campagne de trois ans «Zero tolérance pour les violences faites aux femmes», avec ses membres et partenaires dans sept pays de la région Sud[1].
Des analyses majoritairement non genrées de la crise
Pourtant, la quasi-totalité des dirigeants politiques s’en tiennent à des analyses non-genrées de la crise, et bien évidemment, la sous-représentation des femmes dans les lieux de décision ne favorise pas la mise en lumière de leur situation et de leurs besoins.
Il nous faut donc exiger que la réponse des gouvernements à la Covid soit certes conforme aux normes internationales en matière de droits humains, et aux principes d’égalité et de non-discrimination à l’égard des personnes âgées, handicapées ou malades, sans-abri, réfugiées, ou migrantes, apatrides, ou vivant dans des zones de conflit…, tout en tenant le plus grand compte du fait que la part féminine de chacun de ces groupes subit un impact plus lourd de la crise en raison des inégalités structurelles préexistantes.
Les membres de notre réseau, l’Initiative Féministe EuroMed, responsables d’organisations et militantes, sont en première ligne dans leurs pays pour conseiller, soutenir et protéger les victimes, tout en restant engagées pour un monde où les besoins fondamentaux – alimentation, santé, logement, éducation – et les droits fondamentaux à l’indépendance et à la liberté, sont garantis pour toutes et tous.
Nous avons adressé au Secrétaire général des Nations Unies, le 13 août 2020, une requête en ce sens, pour qu’il tienne tous les États responsables de ce que son appel pour un cessez-le-feu mondial prenne réalité, et pour que soient créées les conditions de sécurité nécessaires pour affronter et juguler la pandémie.
«Les membres de l’Initiative féministe EuroMed s’engagent sans relâche pour un monde où les besoins fondamentaux en matière d’alimentation, de santé, de logement et d’éducation sont garantis pour tous. À l’heure actuelle, nos membres sont en première ligne en tant que conseillères sur les lignes d’assistance, leaders communautaires et activistes qui sensibilisent à la protection.
EFI demande au Secrétaire général des Nations unies de tenir tous les États responsables devant le droit international relatif aux droits humains, ajoutant ainsi à son appel pour un cessez-le-feu global, un appel à la création de conditions favorables à la lutte contre le Coronavirus. En ces temps où des mesures de sécurité exceptionnelles sont prises dans le monde entier, nous sommes déterminées à ne pas laisser nos libertés si chèrement acquises nous être retirées» (13 août 2020)[2].
Et il va sans dire que nous resterons résolues à préserver nos libertés, quelle que soit l’évolution de la situation.