L’élan de libéralisation à l’échelle mondiale n’a pas épargné le Brésil. Les années 1990 virent un libéralisme triomphant dans le pays, comme une fin de l’histoire où les peuples se retrouvent perdants. En quelques années, les entreprises d’État, qui furent l’élément clef du développement économique du pays, ont été privatisées entraînant une vague de licenciement, de perte de connaissance technique et de désinvestissement. L’arrivée au pouvoir de gouvernements progressistes au début des années 2000 permit de ralentir le processus sans toutefois inverser la tendance. Cette dernière est même démultipliée par l’accession au pouvoir en 2016 de l’ultralibéral d’extrême droite, Jaïr Bolsonaro. Une politique de privatisation ne laissant derrière elle que chômage, inégalités sociales et mort, et dont la seule barrière possible est la résistance organisée de la classe ouvrière.
Ville de Mariana, 2015 : le barrage de la société minière Vale, privatisée en 1997, s’est rompu, tuant 19 personnes et déversant 62 millions de mètres cubes de boue dans le Rio Doce.
Quatre ans plus tard, en 2019, un autre barrage de Vale cède à Brumadinho : 270 morts, de la boue toxique envahit le fleuve Paraopeba.
Le mode de vie de milliers d’habitants, y compris les peuples indigènes, a été détruit. Les responsables restent impunis et Vale se présente aujourd’hui comme une entreprise minière durable.
São Paulo, novembre 2023, plusieurs quartiers de la ville ont été privés d’électricité pendant 10 jours. En mars 2024, dans les quartiers centraux, la panne s’est répétée pendant cinq jours.
L’entreprise responsable est Enel, entreprise privatisée, qui opère à São Paulo depuis 2018 et est contrôlée par le gouvernement italien, dont la politique durant cette période a été de couper tout ce qui pouvait l’être afin de rapatrier le plus de bénéfices possible.
En conséquence, entre 2019 et 2023, Enel-São Paulo a licencié 8 500 employés, soit 36 % du total. La réduction des effectifs s’appuie sur la politique de réduction des investissements dans la maintenance préventive du réseau, remplacée par la maintenance corrective, c’est-à-dire l’envoi d’équipes uniquement après l’apparition de pannes.
Sans maintenance préventive, le réseau se détériore et devient vulnérable. Les gens souffrent des coupures d’électricité, mais au cours de la période, le bénéfice d’Enel-São Paulo est passé de 777 millions de Real à 1,4 milliard de R$.
Les débuts des privatisations au Brésil
La vague mondiale de privatisations a pris de l’ampleur au Brésil sous les gouvernements de Itamar Franco puis de Fernando Henrique (1992-2003), qui se sont appuyés sur le programme national de privatisation créé en 1990 sous le gouvernement de Fernando Collor (1990-1992).
En peu de temps, la pétrochimie, les télécommunications, l’exploitation minière, l’aéronautique, la sidérurgie, l’électricité et le transport ferroviaire ont été dévastés.
Chaque privatisation s’accompagne de licenciements et de la destruction des connaissances et des capacités technologiques accumulées au fil des années d’investissement de l’État.
Les entreprises d’État rentables, qui fournissaient des bénéfices au Trésor national et avaient servi de levier au développement économique du Brésil, ont été cédées à des prix plusieurs fois inférieurs à la valeur réelle de leurs actifs, sans parler de la perte du contrôle de l’État sur les secteurs stratégiques.
Lula et Dilma (2003 à 2016) ont freiné la tendance mais ne l’ont pas inversée, sauf partiellement et occasionnellement, comme dans le régime de partage du pétrole pré-salifère[1] (2010).
La voracité privatiste est revenue depuis le coup d’État de 2016, les gouvernements de Michel Temer (2016-2018) puis de Jaïr Bolsonaro (2019-2023) s’attaquant aux géants Petrobras, Banco do Brasil, Eletrobras et Caixa Econômica Federal.
Ils n’ont pas atteint leur objectif déclaré de “tout vendre”, mais ont fait beaucoup de dégâts, en particulier avec la vente des actifs de Petrobras et la privatisation d’Eletrobras.
Dès le commencement de son troisième mandat (2023), Lula a retiré plusieurs entreprises publiques de la liste des privatisations, mais a maintenu la politique de concessions, en particulier dans les ports, les autoroutes et les aéroports, ainsi que les partenariats public-privé.
L’origine des privatisations
Lénine nous apprend dès 1916, qu’au stade impérialiste, le capitalisme, étendu à l’ensemble de la planète, a de plus en plus de mal à tirer un profit de la production et de la vente des marchandises.
L’exportation de capitaux, plutôt que de marchandises, devient le moteur d’une rentabilité parasitaire, obtenue principalement par la destruction des forces productives, à commencer par la principale d’entre elles, la force de travail humaine.
La fin de la parité dollar-or (Nixon, 1971) a renforcé la domination du capital spéculatif américain et a ouvert la boîte de Pandore des ajustements fiscaux pour rembourser la dette publique.
La privatisation, la déréglementation et le démantèlement des services publics sont devenus une politique globale, devenant l’un des principaux moyens de reproduction du capital afin de garantir la survie même du système en décomposition.
Depuis, la situation s’est aggravée. En crise de domination, l’impérialisme américain, le plus puissant, recourt de plus en plus aux guerres, précipitant le monde dans la désintégration et le chaos.
Ainsi, la tendance à la privatisation se poursuit[2], malgré la résistance des travailleurs, qui parviennent néanmoins à lui opposer des obstacles et parfois à la mettre en échec.
Au Brésil, une réforme administrative de Paulo Guedes, nommé par le président d’extrême droite Jair Bolsonaro à la tête d’un “super-ministère” de l’économie, responsable du budget, de la planification et de la politique industrielle, a été bloquée.
Le projet de cet ultra-libéral, formé à l’école de Chicago, visait à supprimer la stabilité des fonctionnaires, à privatiser l’éducation et la santé publiques, voire à supprimer la gratuité du Service de santé unifié (SUS), qui fournit des soins universels à tous les citoyens, y compris les étrangers résidents.
Petrobras s’est maintenue comme entreprise publique, bien qu’elle ait été touchée par la vente de nombreuses filiales importantes.
Mais la loi sur l’autonomie de la Banque centrale n’a pas été bloquée. Bolsonaro a nommé un président, dont le mandat court jusqu’en décembre 2024, qui fait maintenant campagne pour changer la constitution et mettre la Banque centrale elle-même sur la voie de la privatisation.
Le capital financier s’intéresse à la gestion des réserves internationales, à la supervision bancaire, au contrôle des politiques monétaires, de crédit et de change.
Même le système de paiement électronique instantané, connu au Brésil sous le nom de PIX, qui est gratuit et populaire, pourrait être facturé.
Une autre loi approuvée par Bolsonaro facilite la privatisation des entreprises publiques de distribution d’eau et d’assainissement, qui sont responsables de l’assainissement de base.
Élu en 2022 avec le soutien de Bolsonaro, le gouverneur de l’État de São Paulo, Tarcísio de Freitas[3], ministre des Infrastructures de 2019 à 2022, a profité de l’occasion pour faire avancer le projet de privatisation de l’entreprise historique d’assainissement de base de l’État de Sao Paulo (SABESP), la plus grande du secteur en Amérique latine.
La SABESP dessert 375 municipalités, dont 14 réalisent des bénéfices. Les 361 autres bénéficient d’un tarif subventionné que seule une entreprise publique peut garantir.
La privatisation a déjà été approuvée par la majorité de droite de l’assemblée législative de l’État, malgré une forte campagne contre elle. Elle doit encore être autorisée par les municipalités. C’est sur ce terrain, en particulier dans la ville de São Paulo, que se poursuit la lutte pour la défense de la SABESP publique.
Les privatisations laissent des traces de mort, de chômage, de criminalité environnementale et d’augmentation drastique des inégalités sociales.
Ils sont les symptômes de la barbarie dans laquelle l’humanité est poussée par la survie du capitalisme.
La seule barrière est la résistance de la classe ouvrière.