Financement insuffisant, pénurie de personnel, précarisation des emplois, salaires de misère, temps de travail morcelé, non-reconnaissance des qualifications, accidents de travail et maladies professionnelles en augmentation, sentiment d’être « des robots de soins », usagers moins bien traités…, la situation des personnels et des établissements en charge de nos ainés est désastreuse. Malika Belarbi nous propose un état des lieux et présente les diverses revendications des personnels en lutte pour améliorer leurs conditions de travail et permettre, ainsi, une prise en charge digne des personnes âgées.
Les professionnels ne peuvent plus garder le silence !
À l’appel de différentes organisations syndicales, l’année 2018 a été marquée par une recrudescence de nombreuses luttes des personnels des EHPAD privés et publics dénonçant les conditions déplorables de la prise en charge de nos aînés. Les modalités d’accueil et de vie des personnes âgées se sont dégradées à un tel point que ne rien dire… revenait à se rendre complice d’une maltraitance institutionnelle.
Suite aux différents témoignages des soignants, des résidents, des aidants, et des Directions, force est de constater que la prise en charge du grand âge en France est désastreuse.
La loi pour l’Adaptation de la Société au Vieillissement (ASV) de 2015, n’a pas répondu à l’urgence du problème de l’accompagnement des personnes âgées en perte d’autonomie, faute de financement.
Les différentes mobilisations des salariés ont été cependant l’occasion pour les citoyens de découvrir le traitement « révoltant » réservé aux résidents et les conditions de travail des personnels qui l’étaient tout autant.
Les rapports parlementaires[1], du Conseil économique social et environnemental (CESE)[2], le Haut conseil de l’Âge[3] sont arrivés aux mêmes constats. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), dans son avis de février 2018, souligne « une situation parfois indigne qui génère en miroir un sentiment d’indignité des personnes et accroit l’angoisse de vieillir dans notre société » et il alerte : « la vulnérabilité due au grand âge et à la perte d’autonomie doit faire l’objet d’une vigilance accrue des pouvoirs publics »[4].
Une situation qui se dégrade depuis trop longtemps
La situation se dégrade depuis trop longtemps dans les EHPAD, les effectifs sont carencés dans tous les corps de métiers : soignants, services techniques, administratifs. Pour faire face au financement insuffisant de ce secteur, les principales décisions prises par les directions sont de restreindre les effectifs, de procéder au regroupement d’EHPAD et de mutualiser le personnel. Les départs en retraites ne sont pas remplacés, les horaires de travail sont retravaillés de manière à économiser du temps et des salaires. Il est courant que les soignants-es travaillant sur une amplitude horaire de 12 h comprenant deux heures de pauses étalées sur la journée n’aient pas la possibilité de rentrer chez eux, notamment si leur établissement est très éloigné du domicile. Alors ils ou elles restent sur leur lieu de travail. Comme la plupart du temps, rien n’est prévu pour que le personnel puisse réellement se reposer, les agents écourtent leur pause et se remettent au travail, en prise directe avec la réalité de l’EHPAD et les besoins des résidents. Au final, les salariés œuvrent 12 heures, mais ne sont rémunérés que sur la base de 10 !
À cela se rajoute une gestion journalière des effectifs « à flux tendu » obligeant les personnels en repos ou en vacances à répondre favorablement aux injonctions des Directions dès lors qu’il s’agit de revenir en service immédiatement pour pallier les absences impromptues de leurs collègues. Ce mode de gestion relève en réalité de l’astreinte, mais il n’est pas reconnu comme tel, les employeurs faisant fi de la règlementation en vigueur dans ce cas de figure. La précarisation des emplois pousse les salariés à se soumettre à un tel traitement ! D’ailleurs cette précarisation est en constante augmentation sous la forme de contrats à la journée pour les vacataires ou d’un recours massif aux CDD aussi bien dans le public que dans le secteur privé.
Les glissements de tâches sans respect des règles statutaires, réglementaires et sécuritaires sont devenus le quotidien de beaucoup d’EHPAD. Des personnels appelés « agents de soins » non formés et sous-payés réalisent des actes réservés à des personnels diplômés. Les personnels des EHPAD, à 95 % à prédominance féminine, sont en conséquence sous-rémunérés. La reconnaissance des qualifications des aides-soignantes, des Aides médico-psychologiques (AMP), des infirmières liée à la réalisation de certains actes techniques est niée, chacun étant amené à faire tout et n’importe quoi !
Une insuffisance de personnel faisant peser un surcroît de travail insoutenable
L’insuffisance de personnel fait peser un surcroît de travail insoutenable. On constate dans les EHPAD publics des mises à la retraite pour invalidité à partir de 45 ans avec de toutes petites pensions. Dans le secteur privé, des licenciements pour inaptitude médicale sont en forte augmentation.
Le dernier bilan de la Caisse nationale de l’Assurance Maladie (CNAM) en 2018 signale que les professionnels travaillant dans le domaine de la prise en charge des personnes âgées sont en première ligne pour les accidents de travail et les maladies professionnelles ; leurs chiffres dépassent ceux du secteur du Bâtiment et des Travaux publics réputé pour être particulièrement dangereux[5].
L’augmentation du nombre de prises en charge de personnes de plus en plus âgées, en grande dépendance physique et psychologique et souffrant de polypathologies nécessiterait des effectifs et une attention supplémentaires. Ce n’est pas le cas !
De fait, le personnel dispose de peu de temps pour faire la toilette, l’habillage, le lever, l’aide au repas… Beaucoup ont le sentiment d’être « des robots de soins ». Les conséquences sur la santé sont nombreuses : trouble musculosquelettique (la plupart des soignantes portent des ceintures lombaires et/ou des bas de contention), maladies cardiovasculaires, et troubles liés au stress au travail entrainant parfois des états dépressifs particulièrement graves.
En 2016, la CGT avait tiré la sirène d’alarme au regard des résultats de l’enquête sur l’augmentation des risques psychosociaux des professionnels des EHPAD[6]. Beaucoup d’aides-soignantes à bout du souffle souhaitaient se reconvertir vers un autre métier, car le travail ne correspondait pas à leur choix d’un accompagnement de qualité des personnes âgées.
Des promesses non tenues et des moyens financiers insuffisants
En 2018, face à la mobilisation importante des personnels soutenus par les usagers, le Président Macron a annoncé une loi pour fin 2019 : « Grand âge et autonomie ». Le financement à la hauteur des besoins des EHPAD a été exclu de la concertation dirigée par Dominique Liébault lors de préparation de la loi. C’est de nouveau une promesse qui s’envole, une fausse annonce, une démagogie scandaleuse venant d’un gouvernement orienté par une politique ultra-libérale européenne qui prône l’austérité des Services publics… et la mise au pain sec et à l’eau de nos ainés.
La Ministre de la Santé et de la Cohésion sociale a prévu dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2019, une enveloppe très insuffisante pour ce secteur, loin de répondre aux revendications des professionnels et à une prise en charge digne pour les résidents en EHPAD ou à domicile. Malgré ces fanfaronnades, il n’y a pas d’augmentation conséquente de l’ONDAM (Objectif national des dépenses d’assurance maladie) du secteur médico-social : sa progression est fixée à 2,2 % pour le financement des établissements et services médicaux (20,8 milliards), contre 2,6 % en 2018.
Dans le secteur privé les grands groupes financiers ont investi ce qu’ils nomment scandaleusement la « Silver Economy », et préfèrent rémunérer leurs actionnaires plutôt que leurs salarié.e.s. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils investissent : faire de l’argent. Le sort des personnes âgées ne leur importe pas.
Le gouvernement actuel souhaite prioriser l’aide et l’accompagnement à domicile des personnes âgées, un secteur sinistré, mais sans donner les moyens financiers nécessaires. Ce sont 226 000 salariés à 95 % des femmes qui seront laissées dans une très grande précarité.
Le salaire moyen dans ce secteur est de 1106 euros par mois. Mais pour des salariées en déplacement continu, de domicile en domicile, sans revalorisation des indemnités kilométriques depuis 2008, sans rémunération du temps de déplacement, la baisse du pouvoir d’achat sera terrible et la situation deviendra rapidement invivable. Il est d’ores et déjà possible d’écrire que ce secteur d’activité n’attirera que les personnes les plus désespérées socialement ou financièrement. Le piège se refermera sur elles : 8 % des temps de travail relèvent en effet de temps partiels subis et imposés, temps morcelés sur des amplitudes pouvant atteindre 13 heures dans la journée. 41 % des salariés ne bénéficieront pas de formation adaptée. De moins en moins d’heures de soin sont financées par les Conseils régionaux, mais la charge de travail, elle, ne change pas. Elle augmente !
Alors, ce qui n’est plus assuré par les agents, l’est par les familles : nous leur demandons d’acheter des plats préparés, nous leur annonçons que la fréquence des toilettes change pour passer à une fois par semaine, alors que, dans le même temps, les résidents sont changés moins souvent.
La nécessité de créer un grand service public de la santé et de l’action sociale
Les salariés sont sous pression et les usagers moins bien traités. C’est ce qui arrive quand cette activité tombe aux mains du secteur lucratif. Les ainés recevront en fonction de leurs moyens et non plus en fonction de leurs besoins. C’est la fin de notre modèle social solidaire, de cette grande idée qu’est la sécurité sociale. Nous continuons cependant à penser que la prise en charge du grand âge doit dépendre de la protection sociale.
Les personnels revendiquent un soignant-e pour un résident, l’augmentation des formations du secteur médico-social, la revalorisation immédiate des salaires en lien avec la reconnaissance des diplômes et qualifications, l’amélioration des carrières et des conditions de travail, et l’amélioration de la prise en charge des résidents dans les EHPAD qui ne sont pas que des établissements d’accueil et de soins, mais un véritable lieu de vie.Le retrait des dispositions de la loi du 28 décembre 2015 relatives à la réforme de la tarification des EHPAD est une urgence afin d’arrêter la diminution du financement des EHPAD publics.
La CGT fait des propositions sérieuses pour un financement pérenne et solidaire de la prise en charge de la perte d’autonomie dans le cadre de la branche maladie de la sécurité sociale et réclame la création d’un grand service public de la Santé et de l’Action sociale. C’est une urgence sociale, les plus de 75 ans sont aujourd’hui 5,6 millions en France, et en 2060 les plus de 60 ans devraient être 15 à 24 millions de personnes. Les personnels ont décidé de continuer la mobilisation, il est important que tous les citoyennes et citoyens s’engagent avec elles et eux pour défendre une sécurité sociale solidaire et universelle.
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