S’il est signe d’une amélioration globale des conditions de vie, le vieillissement de la population pose aussi un défi à notre société si l’objectif est de permettre à l’ensemble des personnes en perte d’autonomie de pouvoir vivre dans de bonnes conditions. Contestant l’affirmation selon laquelle « nous n’aurions pas les moyens », Michel Limousin soutient la création d’un véritable service public pour les personnes âgées dont il précise les contours. Il indique également les différents leviers que nous pouvons mobiliser pour trouver les financements à la hauteur des besoins et des enjeux.
À l’inverse, le recul de la durée de vie traduit un désastre social : ce fut le cas au début des années 1990 lors de la chute de l’Union soviétique et l’irruption du néolibéralisme ou plus récemment aux États-Unis lors de la crise financière de 2008[1] ou aujourd’hui encore en Grande-Bretagne du fait des coupes budgétaires.
Autre élément démographique : la fécondité maitrisée accompagne le développement social et réduit d’autant le nombre d’enfants en bas âge. Il s’ensuit donc mathématiquement un effet de vieillissement global de la population.
Enfin, n’oublions pas que les inégalités sociales de toutes sortes – en particulier de santé – se creusent aussi bien à l’échelle du pays que de la planète entière. C’est directement lié aux politiques économiques libérales à l’œuvre aujourd’hui. Les personnes âgées en sont victimes comme les autres.
Se pose alors la question de la conception de la vie en société
Quelles sont les valeurs qui dominent celle-ci ? Le développement humain ? Le profit pour quelques-uns ? Il s’ensuit la question suivante : les « vieux » sont-ils utiles ? Quelle place va-t-on leur donner ? Que devient la protection sociale ? Quels sont ses enjeux ?
Il faut bien voir que deux âges différents apparaissent alors.
Le troisième âge d’abord. Celui où la personne reste active, mais est libérée des contraintes du travail salarié. C’est le moment où le savoir s’échange, où une liberté d’émancipation et de création peut se réaliser. La vie n’est pas finie. On pense par exemple à ce que la retraite permet de faire[2]. L’utilité sociale des « vieux » se montre en cet instant. L’engagement dans la vie associative ou citoyenne en est un exemple.
Puis vient le quatrième âge où la personne perd une partie de son autonomie et où une aide sociale s’impose.
Les néolibéraux sont mobilisés contre les ressources allouées à ces personnes qui sont hors du champs de la production marchande et de l’exploitation. Le discours est toujours le même : « on n’aurait pas les moyens ». Les politiques qui s’en suivent convergent vers la réduction des retraites et la diminution des moyens de la protection sociale, particulièrement de l’Assurance Maladie : la paupérisation des retraités est ainsi organisée. Pourtant, rien n’est démontré de cette affirmation ni de cette nécessité. Les gains de productivité à eux seuls couvrent les nouveaux besoins liés à l’augmentation de cette partie de la population. Les gains de productivité ont été constants depuis l’Après-Guerre sauf lors de la crise financière de 2008. Il suffira d’être à 1,5 % pour que les retraites soient assurées jusqu’en 2060 toutes choses égales par ailleurs.
Le tableau ci-dessus en fait la démonstration. Nul besoin de réformes qui diminuent les retraites comme le propose Macron sauf à vouloir reprendre une partie de la richesse créée …
Quant à l’Assurance Maladie, en France, elle est proche de l’équilibre et couvre les besoins. Des améliorations seraient possibles si quelques mesures simples étaient prises. Nous en donnons ici quelques-unes[3] :
- D’abord lutter réellement contre le chômage qui tire la masse salariale et donc les cotisations sociales qui y sont indexées à la baisse.
- Lutter contre le poids des exonérations massives de « charges » patronales.
- Réduire les dettes de l’État et les dettes patronales à la Sécurité sociale.
- Instaurer une nouvelle logique économique en sortant de la financiarisation de la gestion des entreprises qui mine l’emploi et la croissance réelle.
- Arrêter la fiscalisation de la protection sociale.
- Construire une réforme de l’assiette des cotisations patronales qui s’appuie sur une modulation des cotisations en fonction de critères de progrès (formation des salariés, développement de l’embauche, investissement industriel, etc.).
- Enfin une proposition immédiate : une nouvelle cotisation sur les revenus financiers des entreprises et des institutions financières.
Enfin, il est évident que les besoins sociaux vont progresser dans les années à venir pour l’aide au quatrième âge : maisons de retraites (EHPAD), maintien à domicile, politique de bien-être.
Un véritable service public des personnes âgées doit être créé et mis en place
La création d’une véritable coordination des politiques publiques de l’autonomisation des personnes devra être mise en place avec un contrôle démocratique : État, collectivités territoriales, organisations syndicales, associations des usagers. L’enjeu consistera à travailler, à partir de l’existant, à l’amélioration pécuniaire et qualitative du niveau de la prise en charge.
Je propose la création, au niveau départemental, d’un pôle public de « l’autonomie », s’appuyant sur le développement des services publics existants avec tous les aspects d’aides (repas, toilettes, mobilisations, etc.), de soutiens pour l’équipement et l’aménagement des logements ou encore pour les transports. Le pôle public doit permettre une synergie entre les services publics ainsi développés en les coordonnant avec les nouveaux services publics du handicap et celui des personnes âgées à créer pour favoriser la promotion des activités sociales et culturelles. Cette coordination départementale doit permettre une simplification des démarches pour les personnes et les aidants et une meilleure efficacité du service rendu.
Je propose aussi une structuration nationale des pôles publics départementaux dans une forme à définir (agence, établissement public, service ministériel) afin de garantir une maîtrise, une cohérence et une égalité sur le territoire national. Il faut assurer à cette échelle une indépendance totale et des critères indiscutables pour les procédures de détermination du niveau de perte d’autonomie. En partenariat avec le monde associatif, il est également nécessaire d’engager une vaste politique de formation, de professionnalisation et de création d’emplois qualifiés de services d’aide à la personne. Pourquoi ne pas intégrer dans le cadre de la fonction publique territoriale, ces associations dans un cadre juridique nouveau à inventer sans exonérer l’État de ses responsabilités financières et de maintien d’une solidarité interdépartementale ? Pourquoi pas un ministère de l’autonomie pour ces nouveaux défis ?
Un accompagnement des aidants (souvent des aidantes) est légitime. La volonté de privilégier le maintien à domicile accompagné et assisté, comme alternative volontaire, doit s’inscrire en complémentarité avec la nécessité d’assurer une bonne couverture territoriale d’établissements publics pour personnes en perte d’autonomie. Cette couverture implique un développement sans précédent de ce type d’établissements. Il s’agit également de garantir l’accès aux services spécialisés médicaux. Le maillage du territoire par le service public hospitalier est aussi un gage d’égalité en termes de réponse aux besoins. Il faut augmenter le taux d’encadrement des structures publiques en personnels qualifiés pour arriver à un ratio d’au moins un personnel par personne accueillie. Enfin il faut sortir les EHPAD des griffes des sociétés à but lucratif.
Le point central, un financement solidaire et dynamique: ni «5e risque» ni 5e branche de prestations
Surfant sur les attentes des associations appelant à une meilleure prise en charge des personnes en perte d’autonomie, la droite avance le concept de « 5e risque » pour la Sécurité sociale, « le risque dépendance ». Cela ne correspond pourtant en rien à son architecture actuelle, qui couvre déjà neuf « risques sociaux », répartis dans les quatre branches prestataires. En réalité, ce concept de « 5e risque » organise une confusion travaillée par la droite et le patronat, qui voudraient laisser croire que la perte d’autonomie est assurable globalement et à part entière, au même titre que n’importe quel risque classique par le secteur assurantiel privé. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui puisque les financements et prestations de la dépendance liés à l’âge viennent essentiellement de la Sécurité sociale et des départements. C’est pourquoi je rejette ce concept de « 5e risque » dont l’unique raison est, en isolant les recettes, de le faire financer par des complémentaires, en particulier les assurances privées.
Refusons aussi un nouveau découpage de la Sécurité sociale qui conduirait à une rupture supplémentaire de son unité. Une 5e branche affaiblirait la protection sociale solidaire. Il est clair que le pouvoir n’attend que cela pour ouvrir ce financement au monde financier et assurantiel. Ce serait l’éclatement de la Sécurité sociale. En outre, cette nouvelle branche aurait un objet actuellement couvert en partie par l’assurance maladie ce qui entraînerait un siphonnage partiel de cette dernière. Elle contribuerait ainsi à l’affaiblir et à ouvrir plus grand encore la porte aux complémentaires. Au contraire, nous affirmons l’universalité de l’assurance maladie, nous voulons la renforcer et y intégrer la réponse aux besoins de liés à la perte d’autonomie. Considérons que l’assurance maladie doit prendre en charge à 100 % la partie soins dans une conception élargie.
De toute évidence, ces choix induisent de poser la question du financement de cette politique de l’autonomisation à partir d’un prélèvement sur les richesses créées par le pays. Ce financement n’a de sens que s’il est réellement pérenne et non tributaire des ressources de l’État ou des familles. Posons le principe d’un financement solidaire dans la Sécurité sociale et d’un financement public. Concernant les personnes en situation de handicap, proposons une taxe prélevée à la source pour les employeurs qui ne respectent pas la loi. Pour ces entreprises, cette taxe prendrait la forme d’une majoration de cotisations sociales. La loi sur l’emploi des personnes handicapées est mal appliquée et insuffisante. Il faut aussi affecter à la perte d’autonomie une partie, à déterminer, de la contribution supplémentaire que nous voulons créer sur les revenus financiers des entreprises, des banques et assurances ainsi que sur les ménages les plus riches. Proposons, par ailleurs, d’assurer un financement public de la prise en charge de la perte d’autonomie par l’État, au moyen d’une dotation de compensation pour les départements, indexée sur leur dépense annuelle réelle en la matière.
Nous le voyons bien, la politique en faveur des personnes âgées est nécessairement une politique nationale, publique et humaniste. Elle favorisera l’emploi et l’investissement. Elle sera donc d’intérêt général et sa philosophie de progrès rendra à l’humain toute sa place. Les enjeux dépassent le simple cadre d’une réponse à des besoins catégoriels.
Pour aller plus loin :
- Jean-Luc Gibelin, Michel Limousin, Frédéric Rauch, Evelyne Vander Heym, et. al., La sécurité sociale solidaire. Éléments et propositions, Pantin, Fondation Gabriel Péri, 2015, 61 p.
- Michel Limousin & Catherine Mills, La protection sociale en danger. État des lieux et stratégie pour une alternative, Pantin, éd. Le Temps des Cerises, collection Espere, 2ème édition actualisée, 2010, 192 p.