Face au capitalisme destructeur et à la crise démocratique, Fabien Roussel plaide pour une coopération entre syndicats et partis politiques, sans subordination ni cloisonnement, qui invente des passerelles durables, respectueuses de l’indépendance de chacun. L’enjeu est de construire un rassemblement fondé sur une conscience de classe déjouant les tentatives de division permettant de régénérer la démocratie sociale à partir des citoyens, des territoires et du monde du travail. Ceci dans l’objectif de contraindre les entreprises à prioriser l’intérêt des travailleurs et de la nation.
Comment articuler les rôles des syndicats et des partis ?
Pendant longtemps on était, soit avec un lien fort entre syndicat et parti politique, comme ce fut le cas entre le PCF et la CGT, le syndicat apportant son soutien au politique, comme nous l’avons connu lors de la mobilisation en faveur du programme commun de la gauche en 1972, soit dans une totale indépendance où le syndicat était l’organisateur du mouvement social et revendicatif, mais laissant entièrement aux partis politiques, le soin de traduire dans la loi, les revendications. On en voit les limites aujourd’hui avec un libéralisme et un capitalisme destructeur, une société morcelée et atomisée, nécessitant pour y faire face, le rassemblement de toutes les forces, syndicales, politiques, associatives, ainsi que les citoyens, aspirant à une société du bien vivre. Tout est fait pour diviser nos concitoyens et faire reculer la conscience de classe. Tout l’enjeu, pour des forces politiques comme le PCF comme pour les syndicats, est de retrouver cette conscience de classe, d’unir nos concitoyens pour résister à la classe dominante et prendre le pouvoir. J’en parle longuement dans mon dernier livre Le parti pris du travail (Le Cherche midi, 2025). La question qui se pose, c’est comment coopérer entre partenaires syndicaux et politiques, sur un pied d’égalité, sur les mêmes champs d’intervention, porteurs les uns et les autres des propositions économiques et sociales alternatives, aussi bien au plan local, national et européen, sans que les syndicats se confondent avec les partis politiques appelés à gouverner, tout en gardant une fonction revendicative syndicale ? Jusqu’à maintenant, il n’a pas été répondu à cette problématique. Ce qui est certain, c’est que les rapports entre partis politiques et syndicats, ne doivent être ni dans la subordination, l’inféodation, ni dans l’absence de relations. L’avenir est dans le lien, dans le respect de chacun, entre politique, syndicat et mouvement social et associatif. Cela reste à construire.
Les forces syndicales et politiques doivent-elles s’additionner et/ou se compléter, et si oui, comment ?
Parler d’addition, c’est rester dans un cloisonnement où chacun chemine l’un à côté de l’autre, chacun restant dans son couloir. Certes ils se complètent, dans l’organisation de la société, mais je préfère parler plutôt de passerelle nécessaire entre syndicats et partis politiques, voire de coopération, dans le respect et l’indépendance de chacun. Plus que jamais notre pays et la société en général ont besoin du lien entre tous les acteurs de la société. Nous sommes désormais dans une société de plus en plus complexe et fragmentée dans son organisation, où la France, en 50 ans a connu des bouleversements considérables devenant une nation multiple et divisée. La France d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec la France des années 1970 et le monde d’hier avec le monde d’aujourd’hui. Les enjeux et défis sont tels face à la crise systémique du capitalisme, pour l’avenir de notre pays et de la planète, que nous ne pouvons plus penser et pratiquer le syndicalisme et l’action politique, comme nous le faisions hier. En effet, on en perçoit les limites, avec la crise profonde de la démocratie délégataire, tant du point de vue politique que syndical, avec les abstentions massives aux différentes élections, un taux de syndicalisation en baisse et des partis politiques affaiblis. Nous sommes les uns et les autres au pied du mur. Chacun doit se remettre en question dans son fonctionnement, en se tournant résolument vers les citoyen∙nes, pour en faire désormais, non des citoyens passifs, attendant la solution à leurs problèmes, venue d’en haut, mais des acteurs de la vie des entreprises, des revendications, de la société en général et des politiques publiques, tout en créant et coconstruisant un rassemblement des forces politiques, syndicales, mais aussi associatives, favorisant l’engagement citoyen, pour une dynamique de changement. Il faut être conscient que le meilleur programme décrété d’en haut, tant par les syndicats que par les politiques, n’aura ni crédibilité, ni soutien, s’il n’y a pas de mobilisation populaire, ni appropriation par chaque citoyen, des enjeux politiques, sociaux et économiques. Ce qui suppose une participation active des citoyen∙nes, travailleuses et travailleurs, actifs ou non, à l’élaboration des programmes.
Quels axes vous semblent-ils prioritaires à développer pour un rapport syndicalisme/politique efficace ?
Les syndicats ont certes un rôle de défense des droits et des conditions de travail des salariés, mais ils ont également un rôle fondamental à jouer dans l’entreprise, le service public et l’administration tant dans les revendications, pour obtenir de nouveaux droits sociaux, que dans l’analyse et le suivi de la gestion de ceux-ci pour une efficacité économique et sociale, intégrant les salariés. En ce sens le politique, c’est une conviction profonde du PCF, se doit d’agir pour favoriser l’intervention et la participation des syndicats et des salariés à la gestion des entreprises publiques et privées, y compris dans les collectivités. Du parlement, par des propositions de lois, jusqu’au plan local, les militants et élus communistes se doivent d’agir en ce sens. Ainsi, dans les collectivités où ils sont élus, majoritaires ou minoritaires, il est important que les communistes agissent pour que soient associés les syndicats et les salariés à la réflexion et à la mise en œuvre des politiques de la collectivité. C’est un gage d’efficacité. C’est aussi comme cela que se développera le terreau fertile de la confiance entre syndicats et un parti politique comme le nôtre.
Mais le salarié ou la salariée qui arrive à son travail est aussi un citoyen∙ne, habitant d’une ville ou d’une commune, avec ses difficultés et ses aspirations. Il ou elle ne laisse pas son habit de citoyenne au vestiaire, elle le porte tout au long de sa journée de travail. En ce sens, le syndicat ne peut pas ne pas s’intéresser à l’environnement de vie des salariées, leurs conditions de transport, de vie de famille, de logement, de scolarité des enfants, de la situation du conjoint∙e, s’il existe, etc. Des dimensions multiples de la vie quotidienne qui doivent mettre en synergie et en lien, les syndicats et les partis politiques avec leurs militants et leurs élus.
Comment appréhendez-vous les rapports entre syndicats, patronat et pouvoirs publics ?
Permettez-moi de rajouter les citoyens qui sont la base vivante de toute société, qui ne vit que grâce à eux et qui font lien entre syndicats, patronat et pouvoirs publics.
Concernant ceux-ci, quelle que soit l’opinion que l’on porte sur les uns et sur les autres, ceux-ci sont des éléments indispensables à la vie de notre pays, du local au national. Ensuite, il faut faire nôtre, la formule de l’écrivain Boileau pour qui, « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément ». Or trop souvent dans nos paroles et nos écrits, on est dans une parole globalisante, manquant de précisions. Si on perçoit bien les syndicats, il n’en est pas de même pour le patronat. Parle-t-on des patrons des multinationales, des PME, des artisans, des entreprises privées, publiques ? Pour les pouvoirs publics, parle-t-on de l’État central, de son gouvernement, de ses administrations centrales, décentralisées, des organismes publics et parapublics ou des collectivités territoriales ? La précision est de taille, car on ne va pas aborder tout à fait de la même manière, les rapports entre syndicats, patronat et pouvoir public. J’y suis moi-même confronté en tant que secrétaire national du PCF et maire d’une ville. Dans ma ville sont présents, l’État avec ses différents services dont ceux de l’Éducation nationale, les collectivités territoriales : la Région avec les lycées, le Département avec le collège, la communauté d’agglomération et le parc naturel régional, l’office de tourisme et les thermes, la mairie et ses différents et nombreux services. Il y a les entreprises petites et grandes, publiques et privées, les artisans, les commerces, les agences bancaires, le monde associatif, les syndicats, le secteur mutualiste, sans oublier les citoyens. Nous avons là une pléiade d’acteurs qui a un degré ou à un autre, font vivre notre territoire. Dans chacun de mes déplacements, dans toute la France, je les rencontre : représentants syndicaux, élus locaux, chef d’entreprise de PME, chacun me faisant part de ses projets, de ses difficultés. Et cet ancrage territorial, les pieds bien dans la terre en proximité avec les citoyens, m’est d’une aide considérable pour aborder les questions nationales comme secrétaire national du PCF.
Je constate à quel point les politiques nationales sont à cent lieues de la vie concrète des gens. Il y a plus de proximité avec les élites, avec les patrons des multinationales, des très grandes entreprises et des banques. Trop souvent au sein de l’État central et des gouvernements, se mélangent parfois les intérêts privés avec ce qui ressort du domaine public. Le « pantouflage » est monnaie courante en passant du service au public, au service au privé. Des acteurs des pouvoirs publics, avec le plus souvent l’aval des gouvernements, défendent les intérêts de patrons de multinationales, au détriment de l’intérêt national, même s’ils s’en défendent. Face à cette collusion entre pouvoirs publics et grands patrons, les syndicats ont un rôle important à jouer, comme « lanceurs d’alertes », pour dénoncer, informer l’opinion et agir avec les salariés. Sans eux nombre de scandales industriels n’auraient jamais été connus.
Si vous étiez au pouvoir, quelle devrait être selon vous l’attitude d’un gouvernement de progrès social vis-à-vis des organisations syndicales et patronales ?
Mes propos précédents ont déjà éclairé le sujet. Un gouvernement de progrès social se doit de se tourner vers les territoires et leurs communes, ainsi que vers les acteurs de ceux-ci et les citoyens. Il faut leur donner les moyens nécessaires pour qu’ils puissent répondre aux attentes de leurs concitoyens. Dans le même temps avec la participation de tous, il faut revitaliser les bassins d’emplois, de formation et de vie, pour une élaboration partagée en faveur du développement, d’activités économiques, d’emplois, de formations et de structures de vie. Il faudra les généraliser et donner tant au plan local, qu’au plan national, de véritables pouvoirs aux différents organismes composés de représentants d’organisations syndicales, d’usagers, d’élus et aux citoyens. Ces organismes dans toute leur diversité et dans toutes les strates institutionnelles auraient la charge de veiller au respect des objectifs des services publics et d’en évaluer régulièrement leur mise en œuvre.
Il sera temps également d’affirmer par la loi, la responsabilité sociale des entreprises. Les entreprises ne doivent pas avoir comme seule finalité, l’enrichissement des actionnaires, mais doivent intégrer les intérêts de la nation, les besoins du pays, mais aussi les intérêts sociaux de celles et ceux qui y travaillent. Avec de nouveaux droits pour les salariés et les syndicats, avec droit d’intervention sur toutes les décisions de gestion, le droit de suspendre tout plan social, l’extension des libertés syndicales, l’information obligatoire des salariés et leur consultation sur les orientations et décisions de l’entreprise. C’est une nouvelle démocratie sociale et citoyenne qui réglera les rapports entre salariés et patronat.