Les institutions de la Ve République ont évolué vers une présidentialisation et une concentration des pouvoirs qui asphyxient les capacités démocratiques du pays. Il faut d’urgence construire une nouvelle ère de la démocratie.
Comme tous les cinq ans, mais aujourd’hui plus encore que par le passé, la période des élections présidentielles illustre jusqu’à la caricature la dérive de nos institutions comme celle de la vie politique. Alors que nous faisons face à des enjeux majeurs sur le plan social, alors que nous devons transformer en profondeur nos modes de production et de consommation pour relever les défis de la transition écologique, alors que la révolution numérique bouleverse le travail, et que l’exigence citoyenne de prendre son destin en main s’exprime par tous les canaux, l’attention reste polarisée sur les postures, la communication spectacle, les turpitudes de tel ou tel candidat ou encore les débats sans fin sur leur « présidentialité ».
La recherche d’une personnalité «charismatique» prend le pas sur le débat de contenu
La logique de cette élection est que le « je » l’emporte systématiquement sur le « nous ». La recherche d’une personnalité « charismatique » prend le pas sur le débat de contenu et sur la nature des projets envisagés. N’est-il pas archaïque à l’ère de la société complexe, de pousser à ce point l’illusion qu’une seule personne, même entourée d’un cénacle, pourrait détenir les clés de notre avenir ?
Au-delà du fait que cette élection, ainsi que le présidentialisme de plus en plus affirmé, conduisent à renforcer la croyance en un « sauveur suprême », ils ont de graves conséquences sur le système politique et sur la démocratie.
Nous vivons depuis au moins quinze ans une crise de la politique qui atteint en profondeur la crédibilité des partis politiques, celle des gouvernements qui se succèdent et donc de la démocratie elle-même. Ses causes, multiples, dépassent largement le cadre de cet article. En revanche, nous pouvons pointer que l’accentuation de la concentration des pouvoirs en faveur du président de la République – et plus largement de l’exécutif – conjuguée avec l’affaiblissement de plus en plus net du rôle du parlement constitue un aspect important de cette crise.
La négation, chaque jour démontrée, de la capacité des citoyens à influer sur le cours des décisions qui déterminent leur avenir est désormais patente. Quand 70 % des personnes interrogées déclarent désapprouver la loi travail (« loi El Khomri ») et que l’exécutif peut la faire passer en force sans débat, cela aggrave la coupure entre le pouvoir et la population mais, plus encore, porte atteinte à la confiance en la démocratie.
La dérive présidentialiste
Considérée dès son origine comme marquée par l’autoritarisme, la constitution de 1958 n’a cessé d’évoluer dans le sens d’une dérive présidentialiste. Pourtant, selon son article 5, le président de la République a pour rôle de « veiller au respect de la Constitution ». Il est l’arbitre qui assure « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État ». Il est « le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités ». De son côté, le gouvernement est, selon l’article 20, chargé de déterminer et de conduire la politique de la nation. Aujourd’hui, la réalité du fonctionnement de nos institutions est bien éloignée de la lettre des textes. Elle est caractérisée par la concentration des pouvoirs dans les mains d’un « monarque républicain » contraire au principe de la séparation des pouvoirs considéré comme indispensable par les philosophes des lumières. Rappelons ici la célèbre mise en garde de Montesquieu selon lequel « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. […] Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir »[1].
L’élection du président de la République au suffrage universel direct – au nom de l’hypothétique rencontre « entre un homme et un peuple » – est le fondement de cette évolution très présidentialiste de la constitution. L’adoption du quinquennat ainsi que l’inversion du calendrier électoral ont encore accentué cette dérive. Le président de la République, élu sur un temps court, polarise de plus en plus le pouvoir exécutif sur sa seule personne. L’importance des élections législatives est quasiment niée puisqu’elles sont réduites à un simple prolongement de l’élection présidentielle. C’est une grave régression démocratique. Les élections législatives ont en effet pour fonction de déterminer quelle va être la majorité et donc qui va gouverner.
L’urgent de rompre avec un système politique fondé sur la concentration et la personnalisation des pouvoirs
Déjà ramené de longue date au rôle de simple chambre d’enregistrement, le Parlement n’est désormais plus que l’instrument de l’exécutif – pour l’essentiel du président – pour voter les lois nécessaires à la mise en œuvre de sa politique. Cette dérive a atteint un point tel que de nombreux parlementaires ont intériorisé l’abaissement de leur pouvoir et leur soumission à la volonté du président de la République. Il est d’ailleurs symptomatique que la notion de « majorité présidentielle » ait détrôné celle de majorité parlementaire. Ce glissement sémantique minimise la caractéristique des régimes parlementaires selon laquelle le gouvernement est responsable politiquement devant au moins l’une des chambres. C’est pourtant un élément clé pour que des représentants élus soient en capacité de contrebalancer la puissance du pouvoir exécutif et de construire des rapports de force en lien avec les mobilisations citoyennes et les aspirations populaires. C’est un moyen nécessaire – même si non suffisant – pour que « le pouvoir arrête le pouvoir ».
Il est urgent de rompre avec un système politique fondé sur une telle concentration et une telle personnalisation des pouvoirs qui favorise les rapports d’allégeance et ouvre la porte à l’autoritarisme.
C’est pourquoi l’équipe de Silo a décidé de consacrer le premier numéro de Silomag à la compréhension des raisons expliquant l’évolution présidentialiste des institutions de la Ve République et ses conséquences. Ce numéro vise également à mettre en débat – le plus largement possible et avec votre participation – quelques pistes de réflexion pour une construction politique et institutionnelle permettant d’entrer de plain-pied dans une nouvelle ère de la démocratie.