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Nous avons besoin de médias démocratiques, pas de propagande d’entreprises ou d’État

Nous avons besoin de médias démocratiques, pas de propagande d’entreprises ou d’ÉtatTemps de lecture : 11 minutes

Le service public audiovisuel n’est pas l’ennemi de la liberté d’expression. Ce sont les médias à but lucratif qui le sont. Les attaques de Donald Trump contre NPR et PBS détournent l’attention de la véritable voie à suivre pour sortir de la censure et favoriser la diversité de points de vue : un vaste écosystème médiatique démocratiquement contrôlé, et financé par des fonds publics. Merci à Meagan Day pour son autorisation de reproduire cet article initialement paru dans la revue Jacobin.

Dans sa dernière salve contre les ennemis présumés des médias, le président Donald Trump s’est fixé pour objectif de démanteler les chaînes de la télévision publique américaine. En avril, son administration a rédigé une note de service visant à mettre fin au financement fédéral de la National Public Radio (NPR, principal réseau public de radio) et du Public Broadcasting Service (PBS, réseau public de télévision), tandis que Marjorie Taylor Greene (Chambre des Représentants) a supervisé une audition au cours de laquelle elle a accusé les réseaux de promouvoir un «programme communiste» et de «préparer et sexualiser les enfants». Trump a publié un décret ordonnant à la Corporation for Public Broadcasting (CPB, organisme non gouvernemental créé en 1967 et chargé de soutenir les médias) de couper le financement de ces médias, qu’il a décrits sur son réseau Truth Social comme «des ‘’monstres’’ issus de la gauche radicale qui a tant blessé notre pays !»

La droite dépeint la radiodiffusion publique comme un monstre pataud, la compare aux médias d’État de la Chine communiste, la présentant comme une «dictature du prolétariat progressiste» et recourant à d’autres métaphores de la Guerre froide, destinées à glacer le sang des patriotes. Ironie du sort, il s’attaque à l’un des systèmes de médias publics les plus sous-financés des démocraties développées.

La CPB distribue chaque année la somme remarquablement modeste de 535 millions de dollars pour soutenir la radiodiffusion publique à l’échelle nationale, soit moins de 0,01 % du budget fédéral. La majeure partie de cette somme est allouée aux stations de télévision et de radio publiques locales, qui utilisent ensuite une partie de ces fonds pour payer les droits de programmation à NPR, PBS et autres fournisseurs de contenu. Si NPR ne reçoit qu’environ 1 % de son financement directement ou indirectement de sources fédérales, et PBS environ 15 %, de nombreuses stations locales dépendent des subventions de la CPB pour une part plus importante de leur budget de fonctionnement.

L’administration Trump sait que réduire le financement de la CPB ne mettra pas NPR et PBS en difficulté. Il est d’ailleurs possible que ces coupes budgétaires soient impossibles à mettre en œuvre. L’objectif de cette offensive est de discréditer et d’humilier les chaînes que l’administration juge hostiles envers Trump et le Parti républicain, en les associant publiquement à des positions «woke» largement impopulaires auprès de la base électorale de Trump. Mais si le décret de Trump constitue avant tout une frappe symbolique dans sa guerre culturelle, les enjeux sont bien réels : si les chaînes nationales pourront survivre, les populations rurales perdront leurs chaînes locales.

Pourtant, les médias publics sont loin d’être un bastion radical. Lors des primaires démocrates de 2020, par exemple, la gauche a dénoncé la quasi absence de couverture médiatique de la campagne de Bernie Sanders par PBS. Néanmoins, nous défendons la radiodiffusion publique et souhaitons que son financement soit considérablement élargi. Quant aux biais politiques, le contenu proposé est en effet une question politique centrale. Prenons le cas de la BBC anglaise, qui suscite des critiques passionnées de tous bords politiques – un débat animé inhérent au processus démocratique. Cette véritable délibération collective est impossible dans le cas des médias privés à but lucratif.

Développer les médias publics ne signifie pas créer des appareils de propagande d’État ni des services de censure. Cet argument de la droite confond délibérément financement public et contrôle gouvernemental. Nous pouvons bâtir un écosystème médiatique diversifié, stimulant et dynamique grâce au financement public. La liberté d’expression est non seulement essentielle à cette vision, mais elle constitue également une raison fondamentale de développer les médias publics.

Comment le profit corrompt nos médias

La crise du journalisme américain est bien plus profonde que les griefs de la droite contre les prétendus excès «woke» de NPR et PBS. Notre système médiatique est profondément compromis par des décennies de concentration des médias entre les mains d’entreprises, de dépendance à la publicité et de décisions motivées par le profit – autant de facteurs qui ont systématiquement sapé sa fonction démocratique.

Les carences de notre paysage médiatique sont en grande partie responsables de l’ascension politique de Trump. Comme le résume le spécialiste des médias Victor Pickard, dans Democracy Without Journalism? Confronting the Misinformation Society:

« Les chaînes d’information télévisées ont accordé à Trump une attention bien plus importante qu’à tous les autres candidats à la présidentielle. Pendant une période cruciale des primaires, il a bénéficié d’une couverture médiatique près de trois fois supérieure à celle d’Hillary Clinton et seize fois supérieure à celle de Bernie Sanders. Selon diverses estimations, les médias ont offert à Trump des milliards de dollars de publicité gratuite avant l’élection, lui permettant souvent de simplement intervenir par téléphone dans leurs émissions d’information les plus populaires… La couverture médiatique de Trump est peu coûteuse à produire : commentateurs et panels d’experts peuvent se contenter de commenter les derniers tweets et déclarations scandaleuses du président. Ce type de traitement superficiel est irrésistible pour les médias commerciaux à but lucratif, mais préjudiciable au débat démocratique ».

Au cours des huit dernières années de «Trumpmania», la couverture médiatique est devenue de plus en plus sensationnaliste et superficielle, privilégiant le prochain épisode scandaleux de la saga Trump au détriment des sujets qui touchent les Américains ordinaires et des débats de qualité sur les questions cruciales. Même les chaînes critiques envers Trump laissent ses provocations outrancières dicter leur ligne éditoriale. Les médias politiques américains se confondent de plus en plus avec une émission de téléréalité trumpienne et sont, de fait, quasiment inutiles pour éduquer les citoyens, les exposer à des analyses pertinentes et les préparer à la participation démocratique.

Dans le cadre d’un financement public des médias, la crainte souvent exprimée par la droite est que les «diktats» des directions médiatiques influencent indûment la couverture. Or, le rôle actuel des médias dans l’ascension de Trump démontre à quel point les médias à but lucratif sont déjà soumis à la tyrannie, non pas de la part de légions de bureaucrates avides de censure, mais de la part d’incitations commerciales implacables et inévitables. Les médias d’information privés sont confrontés à un impératif existentiel : générer des profits ou disparaître. Le mécanisme est simple et non négociable : provoquer des réactions émotionnelles qui captent et retiennent l’attention, et les convertir en dollars via la publicité, générant de la valeur pour les actionnaires.

La primauté des intérêts commerciaux sur l’intérêt général dans les médias américains a exacerbé la polarisation politique tout en vidant le débat de toute substance. Au lieu d’être un forum d’échanges et d’engagement civique, notre paysage médiatique ressemble à un spectacle sportif sans fin : des équipes rouges et bleues s’affrontent pour des victoires symboliques, interrompues seulement par une publicité omniprésente. Les enjeux réels des décisions politiques s’estompent, reléguant au second plan les discussions de fond sur les problèmes qui touchent le quotidien des Américains.

Bien sûr, au-delà de la pression incessante des incitations économiques, l’ingérence directe des entreprises dans notre système médiatique reste très présente – parfois si brutale qu’elle s’apparente à de la censure pratiquée dans des pays ouvertement autoritaires. Le mois dernier, le journaliste chevronné Scott Pelley a profité des dernières minutes de l’émission «60 Minutes» sur CBS pour dénoncer Paramount, propriétaire de la chaîne. Pelley a affirmé que «Paramount a commencé à contrôler notre contenu de manière inédite» au moment où celle-ci recherchait l’accord de l’administration Trump pour une fusion cruciale. Des milliards de dollars étaient en jeu.

Bien que Pelley ait courageusement dénoncé ces agissements, la plupart des journalistes risquent de voir leur carrière ruinée pour une telle honnêteté. Avec l’accélération de la concentration des médias, qui provoque le regroupement d’un nombre croissant d’organes de presse sous l’égide d’un nombre toujours plus restreint de groupes, ce type d’ingérence éditoriale devient de plus en plus courant – une menace systémique pour la liberté d’expression qu’aucune politique d’éthique interne ne peut enrayer.

La liberté des médias grâce au soutien du public

Alors que les médias privés sont gangrenés par la coercition et la censure, ce sont les médias publics qui sont la cible des accusations les plus virulentes de conformisme idéologique et de propagande, leurs détracteurs n’hésitant pas à les comparer à des régimes socialistes autoritaires comme l’Union soviétique. Mais le problème réside dans l’autoritarisme lui-même, et non dans le financement public.

Aujourd’hui, la gauche américaine compte de nombreuses voix anti-autoritaires et pro-liberté d’expression qui insistent sur la nécessité de construire un système médiatique exempt des difficultés que connaissent les médias d’État autoritaires ou les médias privés contrôlés par les capitalistes. Parmi les figures de proue de ce mouvement, on peut citer Robert McChesney, aujourd’hui disparu, qui a élaboré des plans précis pour des systèmes d’information au service de tous. McChesney militait pour ce qu’il appelait des «médias démocratiques», des organes de presse financés par le public mais libres de toute influence marchande et de toute ingérence étatique. Un tel système médiatique constituerait le pilier d’une démocratie vivante et dynamique.

La proposition la plus aboutie de McChesney, élaborée avec John Nichols, est l’Initiative pour le journalisme local (LJI), qui prévoit une distribution démocratique des fonds fédéraux alloués au journalisme au niveau des comtés. Ce plan allouerait environ 0,15 % du PIB par an (soit environ 34 milliards de dollars) à ce projet, ce qui représente 100 dollars par habitant et par comté. Cette approche s’inspire d’une tradition américaine : au XIXe siècle, les subventions postales pour la distribution des journaux représentaient en réalité 0,21 % du PIB. Nous avions alors compris que fournir une information fiable et précise aux citoyens américains était un élément fondamental du bon fonctionnement de la démocratie et justifiait la mise en commun de nos ressources pour la financer.

L’innovation majeure du plan LJI réside dans le fait que les citoyens eux-mêmes décideraient de la répartition des fonds. Tous les trois ans, les adultes disposeraient de trois votes pour répartir les fonds entre les organisations de presse à but non lucratif qualifiées de leur comté. Ce système de vote multiple encouragerait délibérément la diversité des médias, aucun organe de presse ne pouvant recevoir plus de 25 % du financement d’un comté. Pour être éligibles, les organisations doivent être des associations à but non lucratif locales, en activité depuis au moins six mois, produisant régulièrement du contenu original et conservant leur indépendance vis-à-vis des entités plus importantes.

Gérée par le service postal américain, le LJI (Land Journal Institute) n’instaurerait aucun contrôle éditorial gouvernemental ; les seuls mécanismes de contrôle seraient les critères de qualification initiaux et le vote des citoyens. Tous les contenus produits grâce à ces fonds seraient accessibles gratuitement en ligne. Ce système relancerait la concurrence dans le journalisme local, remplaçant le modèle du «journal unique» qui a dominé la fin du XXe siècle par une pluralité de voix indépendantes dans chaque communauté.

Victor Pickard propose des mesures complémentaires qui abordent la réforme des médias à un niveau plus structurel. Il envisage une «option publique» pour le journalisme. Concernant le financement, il propose un fonds national d’environ 30 milliards de dollars par an, alimenté par diverses sources de revenus, notamment des taxes sur les oligopoles de communication, le produit de la vente des fréquences et des prélèvements sur les plateformes monopolistiques comme Facebook et Google.

La vision de Pickard dépasse le simple financement pour englober la gouvernance. Il insiste sur le fait que les rédactions doivent «refléter la diversité des publics qu’elles servent» grâce à une propriété démocratique et un contrôle communautaire. Il préconise un processus d’évaluation où les communautés locales déterminent leurs propres besoins d’information, au lieu de les laisser dicter par les forces du marché ou par des dirigeants de médias éloignés. Son modèle vise à libérer les journalistes des contraintes commerciales qui entravent un travail de fond sur les problématiques touchant les classes populaires et les populations marginalisées.

Particulièrement pertinente dans le débat actuel sur NPR et PBS, l’idée de Pickard selon laquelle un système de médias publics permettrait aux journalistes de «pratiquer le métier qui les a conduits à cette profession» est particulièrement pertinente. Il appelle à la création de coopératives gérées par les travailleurs et de modèles de propriété collective, renforcés par des syndicats forts qui démocratisent les rédactions de l’intérieur. Selon lui, «les médias publics impliquent la propriété publique des institutions médiatiques» – un changement fondamental par rapport à notre système actuel où même la « radiodiffusion publique » reste structurellement dépendante du financement d’entreprises et de riches donateurs.

Un horizon médiatique élargi

Si la désinformation nous préoccupe, nous avons d’autres chats à fouetter que les préjugés libéraux de NPR et PBS. Notre système médiatique actuel est gangrené par les parti-pris. Les licenciements massifs dans les rédactions intimident les journalistes et les contraignent à la soumission, tandis que les propriétaires milliardaires déterminent les points de vue qui parviennent au public. Les médias dont la survie dépend de l’audience ont recours au sensationnalisme pour survivre. Ils réduisent la politique à un sport d’équipe, la dénuant ainsi de sens et de contexte, et transforment les problèmes complexes en spectacles partisans, alimentant les divisions à des fins lucratives. Les sujets importants pour le quotidien des citoyens sont relégués au second plan au profit des potins de célébrités et des querelles partisanes superficielles, tandis que les débats politiques de fond sont déformés et résumés en slogans de dix secondes.

Avec un peu d’imagination politique, on peut envisager d’accroître simultanément le financement public et la gouvernance démocratique des médias. Les citoyens auraient leur mot à dire sur les sujets qui méritent d’être traités et sur les médias qui les couvrent efficacement. Les journalistes de ces médias pourraient mener des enquêtes approfondies sans craindre de représailles de la part des annonceurs, et les citoyens pourraient facilement s’informer sur les décisions des conseils scolaires locaux, les risques environnementaux ou les pratiques de travail des entreprises. Les Américains vivant en zone rurale ne seraient plus privés d’information lorsque des impératifs de rentabilité imposent des fermetures, et les débats nationaux s’ouvriraient à un public plus large, au-delà des clivages idéologiques étroits actuellement définis par les dirigeants d’entreprise.

PBS et NPR, malgré leurs imperfections, constituent une expérience modeste, mais globalement positive, de radiodiffusion publique. De même, si le budget de 535 millions de dollars du CPB représente une goutte d’eau dans l’océan des ressources fédérales, il demeure une bouée de sauvetage essentielle pour les stations rurales et locales, qui permettent aux communautés d’accéder à des informations et à des programmes culturels indispensables. Cependant, se contenter de préserver le financement des institutions de radiodiffusion quasi publiques existantes n’est pas suffisamment ambitieux. Nous pouvons bâtir des médias dans lesquels nous nous reconnaissons, des médias qui nous considèrent comme des acteurs démocratiques et non comme de simples consommateurs passifs de polémiques élitistes superficielles.

Pour citer cet article

Day Meagan, “We Need Democratic Media, Not Corporate or State Propaganda”, Jacobin, avril 2025. URL : https://jacobin.com/2025/05/public-media-journalism-npr-pbs

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