Pour favoriser une plus grande égalité dans l’accès aux diplômes, sortir d’une politique de tri des élèves et assurer un niveau de formation global plus satisfaisant, Alain Beitone propose d’augmenter la durée de la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans afin de permettre à 100 % d’une classe d’âge d’obtenir le baccalauréat. Cette « révolution culturelle » implique des changements de structures et de pratiques d’enseignement. Activités scolaires conçues pour les élèves qui n’ont que l’école pour apprendre, suppression des filières ségrégatives et du redoublement ou encore instauration du lycée unique constituent quelques-unes des pistes esquissées ici pour permettre un accès authentiquement égalitaire à une culture scolaire ambitieuse.
En 1959, la réforme Berthoin porte la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans. Cette décision a joué un rôle important dans l’augmentation des taux de scolarisation. En 2015-2016, le taux de scolarisation à 18 ans est de 78,4 %[1]. Il est en baisse par rapport à la valeur maximale atteinte en 1995 (84,8 %)[2], mais il est stable entre 76 % et 78 % depuis 2005.
Une forte aspiration à la prolongation de la scolarisation
Ce taux de scolarisation démontre une aspiration forte, y compris dans les milieux populaires, de prolongation de la scolarisation[3]. Les politiques scolaires ont partiellement répondu à ces aspirations (avec le mot d’ordre de 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat et la création du baccalauréat professionnel). Mais d’autre part, ce même taux de scolarisation montre que près de 23 % des jeunes de 18 ans ne sont plus scolarisés. Parmi eux, un grand nombre de décrocheurs qui sortent du système scolaire sans qualification reconnue et avec de graves difficultés (y compris en lecture ce qui a des effets très négatifs sur les apprentissages scolaires, mais aussi sur d’éventuelles formations professionnelles). Or, ces décrocheurs sont massivement issus des catégories populaires et scolarisés dans l’enseignement professionnel ou technologique.
L’accroissement des taux de scolarisation s’articule donc avec une persistance des inégalités d’apprentissage et de parcours scolaire qui débouchent sur des inégalités dans l’insertion professionnelle. Cette inégalité d’insertion professionnelle est bien mise en évidence par les enquêtes du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) qui examinent régulièrement la situation des jeunes sur le marché du travail trois ans après leur sortie du système éducatif. La dernière enquête disponible[4] montre qu’avec la hausse du taux de chômage des jeunes, l’accès à l’emploi – à un emploi à durée indéterminée, avec une rémunération élevée, etc. – est positivement corrélé au niveau de diplôme. Par exemple, trois ans après leur sortie du système éducatif, 48 % des non-diplômés sont au chômage contre 25 % pour les diplômés du secondaire, 11 % pour les diplômés de l’enseignement supérieur court et 9 % des diplômés de l’enseignement supérieur long. Cet effet du diplôme est encore plus net que lors des enquêtes précédentes.
Favoriser une plus grande égalité dans l’accès au diplôme apparait comme une exigence de justice sociale, mais aussi d’efficacité économique. La population active de la France est en moyenne moins qualifiée que celle des autres pays industrialisés.
Un collège et un lycée uniques
Pour y parvenir, il faut opérer une « révolution culturelle » : formation initiale jusqu’à 18 ans pour tous et 100 % au bac.
Mais ce changement suppose de repenser totalement la scolarité. Une étude récente[5] montre en effet que la réussite en licence est très fortement liée au niveau atteint par les étudiants lors des évaluations à l’entrée en 6ème. Ces évaluations synthétisent en fait les apprentissages réalisés (ou pas) dans la scolarité à l’école élémentaire. Leur impact est si fort que, parmi les élèves les mieux classés aux évaluations à l’entrée en 6ème, le facteur de l’origine sociale dans la réussite à l’accès en licence disparaît presque complètement. Il faut donc repenser la façon dont on permet à tous les élèves de l’école élémentaire d’entrer dans la culture écrite afin d’assurer un accès égal aux savoirs qui conditionnent la poursuite de la scolarité à partir du collège. Cela suppose que les activités scolaires soient conçues pour les élèves qui n’ont que l’école pour apprendre et non à partir d’un élève idéal, qui est un élève connivent avec les exigences de l’école du fait de son origine sociale.
Il faut ensuite repenser radicalement le collège pour en faire un véritable collège unique, sans filières ségrégatives, sans classe de niveau, sans redoublement, mais avec une obligation de résultat : puisque les élèves sont « tous capables », l’institution scolaire a le devoir de leur permettre à tous de réaliser les apprentissages qui conditionnent la réussite au lycée. Le collège doit cesser d’être pensé dans une logique de tri conduisant à orienter certains élèves vers l’enseignement professionnel (voire vers l’apprentissage hors statut scolaire) et d’autres vers les filières technologiques ou générales du lycée. Cette logique de tri est si forte que, pour les élèves du collège aujourd’hui, « être orienté » signifie être privé de la possibilité d’accéder à l’enseignement général.
Enfin, et c’est sans doute le plus difficile, il faut instaurer un lycée unique. C’est-à-dire une même scolarité pour tous les élèves, au moins jusqu’à la fin de l’actuelle classe de première[6]. L’objectif est à la fois de mettre fin aux effets ségrégatifs des trois voies du lycée et de permettre à tous les élèves d’accéder à la culture générale qui conditionne la poursuite d’étude au-delà du baccalauréat. Cette culture générale ne se limite pas aux contenus de l’actuelle filière générale du lycée, elle inclut une culture du corps et de l’activité physique, une culture artistique, une culture technologique. Mais l’exigence de formation intellectuelle sera la même pour tous les élèves afin qu’ils disposent des savoirs et des méthodes du travail intellectuel leur permettant de se confronter avec succès aux exigences de la formation post-bac.
Certains de ceux qui défendent aujourd’hui la pluralité des voies de formations du lycée invoquent une pédagogie et des contenus spécifiques qui favoriseraient la réussite des élèves qui n’ont pas les aptitudes pour réussir dans la voie générale. Mais on constate que les titulaires des baccalauréats professionnel et technologique souhaitent massivement suivre des études post-bac et qu’ils y rencontrent souvent de grandes difficultés. La réforme récente de la voie professionnelle qui se traduit notamment par une réduction du volume horaire consacré aux enseignements généraux ne peut qu’aggraver la situation.
Des changements de structures et de pratiques souhaitables et possibles
Cette augmentation du niveau de formation dans un enseignement conçu sans coupure entre l’école du socle et le lycée est-elle possible et souhaitable ?
- Elle est possible si l’on prend pour principe que le système scolaire a une obligation de résultats. On sait aujourd’hui que plus les difficultés à entrer dans la culture sont précoces, plus elles vont s’accumuler par la suite. On sait aussi que les élèves concernés développent des attitudes de refus de l’école et/ou de révolte conduisant à les étiqueter comme « élèves à problèmes ». Il faut donc se donner les moyens en termes d’effectifs des classes, de formation des enseignants, de constitution d’équipes professionnelles au sein des établissements (infirmiers, médecins, travailleurs sociaux, etc.), pour mettre tous les élèves en situation de réussite.
- Elle est souhaitable si l’on remet en cause la thèse de l’inflation des diplômes, si l’on rappelle que les diplômes sont d’abord l’arme des faibles et si l’on prend acte du fait que des salariés mieux formés sont aussi des salariés qui poussent à une transformation du travail et à une reconnaissance des qualifications professionnelles. Mieux former l’ensemble de celles et ceux qui entrent sur le marché du travail, c’est contribuer à éviter l’évolution vers un système polarisé opposant une minorité de travailleurs stables, à la qualification reconnue et une majorité de précaires, peu formés et dont les qualifications ne sont pas reconnues.
Toutes celles et tous ceux qui sont attachés à la démocratisation de l’accès au savoir doivent donc agir ensemble pour inscrire dans la loi la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans et pour promouvoir les changements de structures et de pratiques d’enseignement qui sont la condition d’un accès authentiquement égalitaire à une culture scolaire ambitieuse. Cela suppose d’accepter des remises en cause parfois radicales. Mais l’histoire du système éducatif nous montre que c’est uniquement à travers de tels changements de structures et de pratiques que la démocratisation scolaire a été possible.
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Groupe de recherche sur la démocratisation scolaire (GRDS)
Le système scolaire en France. Enjeux et perspectives 2018 : les défis de l’égalité (Pantin, Fondation Gabriel Péri, 2018).