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L’urgence d’une nouvelle ère démocratique

L’urgence d’une nouvelle ère démocratiqueTemps de lecture : 5 minutes

À l’encontre des dérives autoritaires et du discrédit de la politique, de fortes aspirations existent partout dans le monde pour des formes nouvelles de démocratie participative et d’intervention directe. Dans cette période de mobilisations sociales de grande ampleur et face aux choix d’avenir cruciaux que nous devons effectuer, ce dossier vise à explorer les voies qui permettraient aux populations de peser effectivement dans les processus de prises de décisions tant dans la Cité que dans l’entreprise.

Depuis quelques années, les mouvements sociaux et populaires connaissent une répression quasi systématique. Les graves blessures et les mutilations infligées à des manifestants à l’occasion des mobilisations des gilets jaunes, des manifestations pacifiques pour le climat ou encore du mouvement revendicatif des sapeurs-pompiers s’inscrivent dans cette tendance générale inquiétante.

Les aspirations populaires à de nouvelles formes de démocratie

Plus globalement, les dérives autoritaires sont de plus en plus visibles. Le pouvoir ne cesse de se concentrer toujours un peu plus dans les mains d’une infime minorité qui l’exerce de manière de plus en plus décomplexée au profit notamment des multinationales et des marchés financiers. La communication, la propagande, la « pédagogie », les « fakenews » se substituent à l’information pluraliste, au débat contradictoire, à la rigueur scientifique et à l’esprit critique. Le TINA (There is no alternative) est érigé en dogme pour tenter d’annihiler toute possibilité de trancher démocratiquement des choix réels. Plus encore dans certains milieux dirigeants est développée la thèse selon laquelle la démocratie serait dépassée car trop lente et pas assez « efficace ». La technostructure devrait, selon eux, prendre la maîtrise complète des processus de décision.

Dans le même temps et à l’inverse, les aspirations à de nouvelles formes de démocratie permettant à tous et chacun d’avoir véritablement voix au chapitre prennent une ampleur inédite depuis la crise de 2008. De la multiplication des mouvements sociaux en France à la revendication de révolution au Liban en passant par les révoltes populaires au Chili, en Algérie voire à Hong Kong, cette thématique s’exprime à travers le monde en lien le plus souvent avec des revendications d’urgences sociales. Cette exigence de démocratie imprègne également les impressionnantes mobilisations de la jeunesse sur l’urgence climatique. La montée en puissance du RIC (Referendum d’initiative citoyenne) et du tirage au sort dans le débat public comme la constitution citoyenne d’un nombre grandissant de listes municipales témoignent d’une volonté des populations de prendre le pouvoir.

Une preuve de sagesse populaire ?

Ce foisonnement n’est-il pas, en réalité, une preuve de sagesse populaire ? Ce qui est en cause est en effet rien de moins que la survie de notre espèce. L’humanité est aujourd’hui confrontée à des défis d’une telle ampleur et d’une telle complexité que seuls l’intelligence collective, l’agir commun et la mobilisation du potentiel de chacun peuvent ouvrir la voie à des solutions pertinentes tout en leur conférant la légitimité et la dynamique nécessaires. Ces exigences impliquent de consacrer du temps à l’exercice de la démocratie et donc de reconnaitre un droit au temps démocratique. La société doit ainsi entrer dans une nouvelle ère de la démocratie. Tel est l’objet de ce dossier de Silomag.

Évidemment, cette nouvelle ère implique de revisiter en profondeur la dimension représentative de la démocratie afin notamment de sortir de l’ornière de la personnalisation du pouvoir et de redonner toute leur place à des instances collectives pluralistes et démocratisées. Ces questions ont été abordées dans le premier dossier de Silomag consacré à la présidentialisation du pouvoir. Nous voulons ici nous concentrer sur les dimensions participatives et d’intervention directe de la démocratie.

La dimension participative renvoie à tous les dispositifs susceptibles d’élargir et d’encourager l’implication citoyenne dans l’exercice du pouvoir et de son contrôle. La décision finale reste néanmoins celle des institutions représentatives auprès desquelles sont mis en place les instances et instruments de participation. De son côté, l’intervention directe implique que l’ensemble des personnes concernées par telle ou telle décision soit partie prenante de sa détermination. La co-élaboration, la co-décision, la co-évaluation et la capacité de contrôler constituent les mots-clés de cette dimension primordiale du renouveau démocratique.

Ces deux dimensions de la démocratie doivent se déployer à tous les échelons ; du quartier à l’Union européenne, en passant par les communes et intercommunalités, les départements, les régions et bien sûr au plan national. Malgré leurs limites qu’il est indispensable de dépasser, leur développement est à n’en pas douter le moyen de redonner un sens nouveau et un nouveau dynamisme à la démocratie représentative ; un moyen de transformer la société et de (re)prendre le pouvoir sur nos vies.

La transformation démocratique des entreprises et des services publics

 Pour que cette révolution démocratique soit complète, elle doit absolument pénétrer l’univers des entreprises et, ce faisant, en transformer la logique et les règles. C’est une innovation majeure à accomplir tant, aujourd’hui encore, l’entreprise est une chasse gardée des approches monarchique et oligarchique. Possibilité d’intervenir de manière effective sur les orientations stratégiques des entreprises (ex. des politiques d’investissement et d’emploi), reconnaissance de droits d’intervention directe (par ex. sur l’organisation et sur le contenu du travail) ou encore protection des lanceurs d’alerte : il est primordial de conquérir des pouvoirs nouveaux pour les salariés et les organisations syndicales. De leur côté, les élus des territoires doivent pouvoir influer sur les décisions impactant les bassins d’emplois. Pour leur part, les entreprises coopératives ou les structures de l’économie alternative défrichent des voies nouvelles contribuant à l’émancipation du travail de la toute-puissance du capital. Elles sont un lieu d’expérimentations démocratiques riches d’enseignements.

À la croisée de la Cité et du monde économique, les services publics doivent eux aussi opérer une profonde mutation démocratique afin que les populations, les citoyens, les usagers et les travailleurs soient parties prenantes des objectifs qui leur sont fixés, des modalités de l’accomplissement du service comme des grandes orientations de leur gestion. Parce qu’ils structurent nos conditions de vie et jouent un rôle déterminant pour la transition écologique et la concrétisation du principe d’égalité, les services publics doivent devenir de véritables laboratoires d’expérimentations et d’innovations démocratiques.

La démocratie comme mode de vie : une utopie réaliste

Ce dossier présente un vaste panel d’outils, de procédures ou encore de mécanismes permettant de concrétiser cette exigence démocratique dans la Cité comme dans l’entreprise. Certains existent déjà, d’autres sont à améliorer, d’autres enfin restent à concrétiser. Mais ils témoignent tous que faire de la démocratie un mode de vie est une utopie réaliste. L’histoire nous enseigne que l’irruption des peuples dans le champ politique, la quête de l’émancipation humaine, la rencontre des mobilisations et d’une volonté politique peuvent changer le cours des choses. Malgré sa grande complexité, pourquoi l’époque que nous vivons ferait-elle exception à cette règle ?

Ce dossier va être complété dans la durée. De nouveaux articles arrivent très prochainement.

Pour citer cet article

Louise Gaxie et Alain Obadia, « L’urgence d’une nouvelle ère démocratique », Silomag, n° 10, déc. 2019. URL : https://silogora.org/lurgence-dune-nouvelle-ere-democratique/

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