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Quels rapports syndicats/partis construire pour défendre une agriculture familiale et émancipatrice?

Quels rapports syndicats/partis construire pour défendre une agriculture familiale et émancipatrice?Temps de lecture : 7 minutes

Agriculteur, vice-président du Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF) et militant au Parti communiste français (PCF), Olivier Morin revient sur les enjeux des rapports syndicats/partis dans le monde agricole, ainsi que sur les initiatives communes passées et à imaginer.

C’est peu de dire que syndicalisme et engagement politique sont étroitement liés. Le monde agricole n’échappe pas à la règle. Il suffit d’observer les responsables de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) qui deviennent parlementaires et, plus récemment, les liens constatés entre une frange non négligeable des militants de la Coordination rurale et les partis d’extrême droite. Si les forces réactionnaires et d’argent agissent de la sorte, de manière décomplexée, c’est qu’elles ont conscience que les liens entre organisations syndicales agricoles et partis politiques peuvent permettre d’asseoir leur idéologie. D’autant plus lorsqu’elles actionnent les rouages du monde agricole tel qu’il va.

Du côté des forces de transformation sociale, les liens sont hétérogènes. Si des militants de la Confédération paysanne émargent chez les Verts, au Parti socialiste ou à la France insoumise, la Confédération syndicale des exploitants familiaux (MODEF) est plus volontiers perçue comme ayant une grille de lecture de classe, et par conséquent davantage proche du Parti communiste français (PCF).

Moi-même, je suis syndiqué au MODEF et militant du PCF. Je travaille dans l’exploitation familiale qui a vu quatre générations avant moi y travailler aussi. J’y cultive 40 hectares de céréales que je destine à l’alimentation de mon élevage de volailles biologiques en plein air. Voilà d’où je vous parle.

S’il arrive que des paysans aient dans leur poche une carte d’un syndicat et une autre d’un parti politique, il est malgré tout assez rare que leur organisation syndicale se prête à des actions conjointes avec un parti politique.

La vente au prix juste de fruits et légumes: une réussite emblématique de l’association des forces

Une des actions les plus emblématiques qui met en commun les moyens des deux entités reste la vente au prix juste de fruits et légumes organisée en Ile-de-France par les agriculteurs du MODEF et les fédérations PCF de région parisienne. Arrêtons-nous un instant sur cette démonstration réussie d’addition des forces.

Depuis sa création en 1959, le MODEF milite pour la mise en place de prix justes qui rémunèrent le paysan à la hauteur de son travail. Pour ce faire, il propose d’agir sur la fixation de prix couvrant le coût de production (prix minimums garantis) et sur la marge des intermédiaires (coefficient multiplicateur). Des mesures qui demandent une intervention forte de l’Etat qui associe les travailleurs et les citoyens-consommateurs. Ce sont des propositions syndicales que le PCF se propose de porter afin que la lutte et la bataille législative les fassent advenir.

C’est ainsi que durant des années, près de 40 marchés éphémères ont germé durant les matinées d’août, des quartiers populaires de banlieue et sur la place de la Bastille à Paris. Les producteurs du Lot-et-Garonne, partis la veille de leurs fermes, ont transporté des semi-remorques de tomates, de laitues, de pêches, de prunes, de pommes de terre et de courgettes pour les proposer à des prix qui rémunèrent le paysan correctement et qui n’assomment pas le consommateur.

Cette initiative unique nous permettait, à nous paysans, d’entrevoir une perspective politique à nos revendications. D’autant plus que cette journée montrait que c’était possible et que les consommateurs, qui venaient en masse aux points de vente installés pour beaucoup en bas des tours HLM, validaient les prix et la pratique.

Le PCF, parti indissociable des luttes et des politiques émancipatrices, montrait, avec cette journée, que ses propositions collaient à la fois avec les aspirations des paysans et celles des habitants des quartiers populaires. La période médiatique creuse de fin de vacances scolaires permettait en outre que la caisse de résonance des journaux écrits, télévisés et des chaînes d’infos en continu fonctionne à plein, donnant notamment une visibilité non négligeable au MODEF.

A noter que cette action « fruits et légumes », comme on l’appelle familièrement, n’aurait pas pu avoir cette ampleur sans le rassemblement des forces humaines des militants du PCF et du MODEF. Cela passe par des réalités très concrètes comme le déchargement des camions, l’impression et la distribution des tracts, l’installation des étals et la vente proprement dite des denrées. Par la suite, des actions s’inspirant de cette journée ont d’ailleurs pu être conduites par une organisation seule, y compris par la Confédération paysanne s’en inspirant, mais jamais elles n’ont pu se tenir avec une telle ampleur.

Nous, paysans, avons souvent besoin d’exemple concrets, dans nos élevages ou dans nos champs, pour adopter des pratiques qui fonctionnent. Celle-ci en est une éclatante démonstration. L’on pourrait reprocher à ce type d’initiative qu’elle donne à voir une trop grande proximité avec les deux organisations. Ce genre de reproche émane d’ailleurs souvent d’individus n’ayant pas intérêt à ce que les choses changent en faveur d’une meilleure répartition de la valeur ajoutée pour les travailleurs.

Ce qui est plus certain, c’est qu’elle contribue à galvaniser les paysans, parfois gagnés par le découragement d’un métier difficile, qu’elle permet aux travailleurs des villes et travailleurs des champs de se croiser et d’échanger dans un moment qui allie convivialité, enjeux alimentaires et lutte pour des prix justes, et qu’elle permet la jonction de forces qui travaillent au renforcement de la lutte contre un capitalisme prédateur.

Retisser la relation de confiance dans le respect de l’indépendance syndicale

Depuis la crise du Covid-19, cette initiative peine à refaire surface. Sans doute est-ce aussi le moment d’imaginer de nouvelles actions, de nouveaux liens, pour contribuer à renverser le rapport de forces. Dans cette perspective, il convient de ne pas brûler les étapes. Si les militants syndicaux s’intéressent à la chose politique, ils n’échappent pas à la défiance croissante des citoyens envers les partis. C’est donc cette relation de confiance, dans le respect de l’indépendance syndicale, qu’il faut contribuer à tisser.

L’ancrage local du PCF dans les zones rurales peut contribuer à travailler à ce lien, par des actions concrètes des militants, par des mesures prises par les élus locaux, qui sont autant de pistes donnant à voir l’utilité de l’engagement politique.

Des boulons philosophiques méritent également d’être desserrés. Ainsi, la crainte d’être subordonné à un parti mérite de disparaître dès l’instant que l’on prend conscience de la complémentarité des deux champs d’action et de la nécessité d’y avoir les deux pieds. Les travaux de la Commission Agriculture, Pêche, Forêt du PCF, composée d’ingénieurs agronomes, d’éleveurs, de vignerons, de pêcheurs, d’enseignants, de forestiers, de chercheurs, d’ouvriers agricoles, ainsi que la publication régulière de Terre-Mer constituent des preuves sérieuses de la volonté des communistes de partager leur réflexion et d’élaborer des perspectives en lien avec les travailleurs du vivant.

Une autre contrainte, plus terre à terre celle-ci, n’est pas non plus à négliger. Celle du temps disponible. Selon les saisons, les paysans peuvent travailler jusqu’à 70 heures par semaine, voire davantage, laissant peu de place à l’activité syndicale et encore moins politique. Si l’on veut laisser de la place à la vie de famille, l’engagement d’agriculteurs et d’agricultrices plus jeunes devient la variable d’ajustement. Cela conduit mécaniquement à une surreprésentation de dirigeants syndicaux masculins et âgés et joue sur la représentation que l’on se fait de l’engagement (syndical et politique).

Il y a donc nécessité à agir pour un service de remplacement public efficace et en phase avec les besoins des travailleurs des champs afin de favoriser leur engagement.

Le PCF, même si son influence a faibli depuis plusieurs décennies, possède toujours un maillage fort dans les territoires urbains, mais aussi ruraux. Dans son article,  « Du côté des paysans rouges » (revue Cause commune, numéro 14/15, janvier-février 2020), Pierrick Monnet propose que, grâce à ce réseau, « le PCF pourrait permettre de faire le chemin inverse de celui des quarante dernières années : faire se rencontrer des personnes de la ville et leur donner envie de venir s’installer en rural, afin de développer une autre vision de l’agriculture, un autre rapport au travail et à la marchandise. Pour que le slogan “Pour une terre commune” d’André Chassaigne ne soit pas une incantation mais devienne une réalité dans une société où de moins en moins de gens veulent travailler la terre mais où de plus en plus ont des exigences sur la façon dont les autres doivent la travailler ». L’on pourrait y ajouter que le syndicalisme paysan y jouerait sa partition en donnant à voir les systèmes agricoles de ses adhérents et en se rendant disponible pour porter les revendications de ces nouveaux agriculteurs potentiels.

Enfin, s’il y a une donnée qu’il ne faut pas déconnecter de l’érosion de l’engagement des paysans, c’est la disparition de ces derniers et le défi du renouvellement des générations. D’ici 2030, plus d’un tiers des exploitants agricoles atteindront l’âge de la retraite.

Ce sont donc potentiellement de nouvelles générations d’agriculteurs et d’agricultrices qui sont amené.es à s’installer, avec parfois pour moteur l’envie de changer de vie. Raison de plus pour être à leur écoute et pour que nos organisations constituent à leurs yeux des outils d’émancipation.

Pour citer cet article

Olivier Morin, «Quels rapports syndicats/partis construire pour défendre une agriculture bio et émancipatrice ?», Silomag, n°19, juin 2025.

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