Le renouvellement des concessions hydroélectriques en France est devenu un enjeu majeur mêlant économie, écologie et politique. Alors que l’Union européenne pousse la France à ouvrir ce secteur à la concurrence, syndicats et partis politiques, principalement à gauche, se mobilisent pour défendre une gestion publique. Dans ce contexte et comme l’explique Dominique Pani dans cet article, une alliance politico-syndicale s’est formée pour défendre une vision cohérente du service public dans la transition énergétique.
Un secteur stratégique, clé pour l’avenir énergétique
L’hydroélectricité fournit près de 11 % de l’électricité consommée en France, grâce à plus de 400 barrages, dont la majorité est exploitée principalement par EDF. Cette énergie est renouvelable, pilotable et stockable, ce qui en fait un levier stratégique pour le système énergétique. Sa capacité à répondre instantanément à la demande permet de compenser les variations de la production d’énergies intermittentes comme le solaire et l’éolien, cruciales dans le contexte de la transition énergétique. Cependant, la Commission européenne a insisté depuis les années 2000 pour que la France ouvre à la concurrence la gestion de ses concessions hydroélectriques. Aujourd’hui, plus de 150 concessions sont concernées par ce renouvellement, et une grande partie doit l’être dans les prochaines années.
Ce ne sont pas les choix de l’État, soumis aux pressions européennes, qui garantissent la préservation d’un système énergétique cohérent et public, mais bien l’engagement des forces de gauche et des organisations syndicales. Les trois principaux opérateurs historiques — EDF, la Société hydroélectrique du Midi (SHEM) et la Compagnie nationale du Rhône (CNR) — sont issus d’entreprises nationalisées. Leur gestion publique a permis de garantir l’intérêt général, loin des logiques de rentabilité à court terme, tout en assurant une gestion centralisée et coordonnée des ressources en eau.
Une alliance entre syndicats et partis de gauche pour défendre le service public
Les syndicats, notamment la CGT, FO, la CFDT et la CFE-CGC, se sont fermement opposés à l’ouverture à la concurrence, soulignant les risques de fragmentation et de mise en péril de la sûreté des installations. Leur position s’appuie sur l’importance de maintenir un service public de l’hydroélectricité, outil fondamental pour la transition énergétique et la souveraineté nationale. Dans cette bataille, ils ont trouvé un écho favorable auprès de nombreux partis politiques de gauche, notamment La France insoumise, le Parti communiste, et Europe Écologie Les Verts. Ces partis se battent pour une renationalisation complète du secteur hydroélectrique, pour une gestion publique renforcée, à même de répondre aux enjeux sociaux et environnementaux actuels.
Les syndicats et ces partis de gauche ont ainsi mis en place une mobilisation collective structurée autour d’actions communes : grèves, manifestations, tribunes et conférences de presse. Grâce à cette alliance, nous avons arraché des modifications à la loi de transition énergétique et porté nos revendications jusqu’au Parlement européen. Elle a permis de faire entendre, haut et fort, la voix de celles et ceux qui défendent un véritable service public de l’énergie, capable de répondre aux besoins urgents tout en préparant l’avenir face à la crise écologique et aux défis de transformation des infrastructures.
Une mobilisation collective efficace
Les actions menées par les syndicats et les partis de gauche ont permis de faire pression sur le gouvernement. Concrètement, plusieurs démarches ont été suspendues ou modifiées sous cette pression :
- En mai 2020, le gouvernement a suspendu une trentaine de procédures d’appel d’offres, concernant des concessions jugées stratégiques.
- Le projet d’ouverture à la concurrence des barrages de la vallée de la Truyère, représentant près de 5 % de la production hydroélectrique nationale, a été mis en pause fin 2021.
- En 2022, la France a proposé à la Commission européenne une alternative consistant à créer des Sociétés d’économie mixte hydroélectriques (SEMH), garantissant un contrôle public majoritaire tout en ouvrant la porte à des partenariats locaux.
Cette résistance a non seulement permis de ralentir l’ouverture du marché, mais elle a aussi mis en lumière l’importance d’un partenariat solide entre syndicats et partis de gauche, une coalition qui continue de pousser pour des solutions hybrides ou totalement publiques.
Un modèle alternatif pour l’avenir
Le gouvernement français reste prudent et cherche à concilier respect des règles européennes et maintien du contrôle public. Plusieurs scénarios sont à l’étude, comme la création d’un opérateur public unique ou des solutions juridiques hybrides permettant de conserver la gestion publique tout en attirant des capitaux privés. Cette dynamique, portée par une mobilisation syndicale forte et une unité politique de gauche, met en lumière les défis auxquels l’État français doit faire face pour garantir une transition énergétique juste et solidaire. L’objectif est de préserver les ressources en eau, non seulement pour la production hydroélectrique mais aussi pour d’autres usages vitaux, et de garantir leur gestion publique pour les générations futures.