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Service public et réforme de l’audiovisuel

Service public et réforme de l’audiovisuelTemps de lecture : 7 minutes

Dans le contexte de discussions au Sénat et à l’Assemblée nationale sur une nouvelle loi portant réforme de l’audiovisuel (sans vision claire des gouvernements actuels sur un service public de qualité à l’ère du numérique), Jérôme Clément, ancien président de la chaîne Arte, soumet au débat quelques alternatives et perspectives utiles à avoir à l’esprit (soutien au service public, état des lieux, débats et colloques afin de pousser la réflexion sur une structure d’Etat porteuse d’avenir).

On se demandait déjà, avant l’annonce de la chute du gouvernement Bayrou quelle urgence il y avait à légiférer sur les médias. À l’heure où j’écris ces lignes, on ne voit pas comment pourrait déboucher au parlement la proposition de loi votée par le Sénat et adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale au printemps 2025 par un artifice de procédure peu satisfaisant. Le plus probable est le report du texte à une date indéterminée.

Si l’on s’attache à examiner néanmoins l’intérêt d’un texte renvoyé aux calendes grecques, l’affaire était mal partie : aucun débat national sur ce sujet, les personnels des entreprises concernées – principalement Radio France et France Télévision – mobilisés fermement contre, grève générale en juin dernier, puis grève de Radio France pour la rentrée dès le 25 août 2025. On se souvient des discussions et batailles homériques, lorsque Valéry Giscard d’Estaing avait, en 1974, mis fin à l’ORTF, et lorsque François Mitterrand avait créé la Haute Autorité de la communication audiovisuelle et autorisé les radios libres, en 1981, ou encore lorsque Jacques Chirac avait privatisé TF1 en 1986. C’était un grand sujet et des discussions qui mobilisaient les débats.

Cette fois-ci, rien de tel. Un parcours chaotique, sans que Rachida Dati, la ministre de la Culture actuelle – et pour combien de temps? – ne cherche ni ne parvienne à convaincre ses interlocuteurs, ni l’opinion, alors que le sujet est pourtant d’importance.

Le projet de création de la holding «France Media»

De quoi s’agit-il ? Il s’agit de créer au 1er janvier 2026 une holding baptisée «France média», rassemblant France-Télévision, Radio France et l’INA. Cette structure, détenue à cent pour cent par l’État, aurait pour mission de définir les orientations stratégiques de ses entités, de mutualiser les moyens numériques, d’assurer la répartition des ressources et de mettre en place les contrats de plan pour trois à cinq ans. En outre, un article prévoit de plafonner la publicité, voire de faire disparaître celle-ci des antennes du service public. Les opposants au texte mettent en avant le risque de disparition de la diversité éditoriale, la fragilisation de l’indépendance journalistique et surtout une extrême concentration du pouvoir mettant tous les médias publics sous une même direction.

L’absence de vision claire du gouvernement sur le service public à l’ère du numérique est d’autant plus soulignée que cette évolution technologique majeure est mise en avant pour justifier la nécessité d’une concentration du pouvoir entre les mains du ou de la président(e) de la holding.

Il est vrai que l’utilisation du numérique modifie les frontières entre la télévision et la radio, celle-ci filmant notamment ses émissions en direct, et que l’usage de ces médias se modifie avec l’apparition des podcasts, et d’émissions de plus en plus déconnectées de l’antenne. À l’avenir, il y aura de moins en moins de spectateurs ou d’auditeurs pour regarder la télévision et écouter la radio en linéaire, ils basculeront vers une écoute qui passera par les plateformes numériques, ce qui nécessite un acteur fort ; mais comment traiter cette question sans affronter la question du renforcement et de l’indépendance des médias publics?

L’intelligence artificielle va entrainer des changements encore plus vertigineux pour les personnels, dont certains métiers – les documentalistes, par exemple, les traducteurs, et beaucoup d’autres, particulièrement tous les auteurs, avec l’IA générative – vont être directement touchés par cette révolution technologique. Et ceci d’autant plus que les plateformes américaines prennent une place croissante dans la production et la diffusion d’images, de sons, de programmes.

Quelles solutions dans un contexte de bouleversement rapide des métiers du monde des médias?

Cette question mérite un grand débat. Un renforcement du pouvoir central peut-il aider à trouver des solutions communes à ces métiers en plein bouleversement?

C’est une situation entièrement nouvelle qui va se développer ces prochaines années et auxquels les dirigeants de ces entreprises et les personnels vont avoir à faire face dans une période d’autant plus difficile que l’argent est plus rare et le pouvoir politique particulièrement instable.

En fait, le sujet qui mérite l’attention nationale, c’est le rôle et le poids du service public, dans notre démocratie, car il est menacé de toutes parts. Critiqué parfois par le chef de l’Etat («Une honte», disait-il au début de son premier quinquennat, on se demande pourquoi?), fortement réduit dans ses moyens financiers et dans l’origine de ses ressources (suppression de la redevance), victime des attaques de la ministre contre ses propres journalistes, le service public est menacé de privatisation par le Rassemblement national, sans doute satisfait de voir Pierre Édouard Stérin ou Vincent Bolloré étendre leur empire en achetant une grande chaine nationale ou en faisant disparaitre Radio France, supposées être des suppôts de la gauche. Déjà le poids de ces groupes dans les industries culturelles, la presse et les médias s’est considérablement accru. Qu’en sera-t-il demain, alors que partout le service public, garanti par l’Etat est menacé?

On assiste aux Etats-Unis à des pressions, inimaginables autrefois, sur les médias américains qui suppriment des émissions critiques à l’égard du président Trump, renvoient des journalistes, et prétendent contrôler directement ou indirectement ce qui se dit ou s’écrit de l’actualité ou de l’histoire du pays, et pas seulement. Situation très grave pour la liberté de l’information, l’indépendance des journalistes, conquêtes majeures de nos démocraties au XIXe et au XXe siècle. Quand on voit ce qui se passe ailleurs en Europe, où la menace est la même, parfois avec passage à l’acte comme en Hongrie, en Slovaquie ou en Pologne il y a quelques années, on comprend que la situation est sérieuse, confirmée par tous les observatoires, associations ou organisations internationales qui suivent de près l’évolution de la liberté d’expression.

Il est donc vital de renforcer le soutien au service public, radio et télévision, et d’affirmer sa nécessité dans une démocratie: garantie d’indépendance des journalistes et des dirigeants, stabilité financière, respect des règles déontologiques sous le contrôle de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM).

Cela ne suffit pas: il faut accompagner ce débat de discussions publiques, colloques, états généraux, état des lieux sur le plan international et observatoire des manquements aux règles démocratiques. La France doit prendre l’initiative sur le plan européen et international de la défense de la liberté d’expression et de la mission du service public.

C’est à l’aune de cette priorité absolue que doivent se définir les discussions autour d’une nouvelle organisation du service public et de l’irruption du numérique et de l’IA dans le champ radiophonique et télévisuel. Un projet de loi sur l’audiovisuel doit prioritairement réaffirmer ce principe fondamental de notre démocratie et resituer les adaptations technologiques dans le contexte du rôle du service public. Débattre de la création d’une holding n’a pas de sens si ce n’est pour renforcer la liberté et la création.

La question n’est pas technique, elle est éminemment politique

Elle l’est d’autant plus que la culture est elle-même fragilisée. Crédits en baisse, surtout venant des collectivités locales, mairies, départements et régions, comme on l’a vu dans les Pays de Loire en 2025 avec la suppression des subventions aux institutions culturelles, mais aussi ceux venant de l’Etat. Associations, festivals, compagnies de danse et de théâtre, cinémas d’art et d’essai, médiathèques et manifestations littéraires, c’est tout le tissu culturel élaboré depuis des décennies qui est mis à l’épreuve par la situation budgétaire.

La culture n’apparait plus comme une priorité sauf pour certains élus qui maintiennent haut le drapeau du soutien à la création. Attaquée également de toutes parts, soit par indifférence, soit par volonté idéologique, récupérée par des mouvements extrémistes, qui, sous prétexte de défendre les «Plus belles fêtes de France» (nom d’une association soutenue par Pierre Édouard Stérin), réécrivent et falsifient l’histoire, comme dans l’Allier récemment avec Murmures de la cité, la création et la culture sont l’objet de remises en cause brutales, qui sont de la même nature que les attaques contre la presse et les journalistes.

Là encore, les États-Unis donnent, hélas, l’exemple avec les critiques contre les musées de Washington, les universités, etc…C’est le même combat qui s’annonce, celui du rôle de l’Etat, du service public, du soutien à des activités non rentables, précieuses socialement, essentielles pour la vie en commun, l’épanouissement personnel comme l’intégration sociale. Un débat fondamental sur notre conception de la société.

On l’aura compris, ce n’est pas sans lien avec la discussion sur l’audiovisuel, c’est le même combat pour la liberté, celui de ceux qui refusent que la rentabilité soit le seul critère d’intervention publique, et cela est dit désormais sans retenue, «Pourquoi donner de l’argent à des associations qui ne parviennent pas à équilibrer leurs comptes sans argent public?» disait la présidente de la région des Pays de Loire, madame Morançais.

C’est une conception de la société différente, en caricaturant à peine, celle des Trump et Musk d’un côté, celle des soutiens à la liberté de l’autre. Il faut affronter ce débat sans crainte et avec détermination, le débusquer quand il se cache sous des oripeaux techniques, c’est la seule façon de le gagner.

Pour citer cet article

Clément Jérôme, “Service public et réforme de l’audiovisuel”, Silomag, n°20, novembre 2025. URL : https://silogora.org/service-public-e…-de-laudiovisuel/

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