Convaincu que tout projet politique sans vision d’avenir est condamné à mourir, Marc Luyckx Ghisi explicite les grandes transformations à l’œuvre dans le monde contemporain qui sont porteuses de nouvelles valeurs à même de créer une civilisation plus adulte, plus soutenable, plus éthique et plus spirituelle.
L’image de l’iceberg a été choisie pour illustrer l’idée que 4/5 de l’ensemble des changements actuels sont invisibles et ne sont jamais débattus ni dans nos médias ni en politique. On peut dénombrer cinq niveaux de transformation du monde contemporain et tout ce qui est en bleu sombre et flotte dans le vert clair, est passé sous silence.
Mais la nouvelle génération des 20-30 ans, la génération « Z », est parfaitement au courant de tous ces niveaux souterrains, ce qui n’est pas le cas de l’opinion publique, ni des médias. Et les plus jeunes de 12-18 ans qui manifestent dans les rues pour le climat en sont encore plus conscients et gentiment radicaux : il faut changer de système économique et politique.
La force du réenchantement comme moteur du changement
Le premier niveau est le passage des valeurs de mort aux valeurs de vie. Notre civilisation mondiale est menacée de mort si nous ne changeons rien. Car nous avons inventé deux possibilités de suicide collectif : la guerre nucléaire (assez de bombes pour faire sauter la terre 17 fois) et la croissance infinie dans un monde fini. Mais il y a une très bonne nouvelle : l’inconscient collectif de l’humanité a déjà choisi la survie collective et cet inconscient transforme au profond de chacun, les valeurs de mort (suicide collectif) en valeurs de vie (l’humanité veut survivre). Les enquêtes de Paul H Ray[1], ont découvert l’existence de 35% de créatifs culturels aux États-Unis et en Europe. Selon mes informations, il y en aurait entre un et deux milliards sur Terre aujourd’hui. Et une de leurs caractéristiques est précisément ce choix subconscient des valeurs de vie.
Ce niveau est le plus bas. Il y fait froid et sombre. Nous n’aimons pas y aller ni y séjourner, car nous n’aimons pas parler de ce danger qui plane sur nos têtes. Nous préférons ignorer cette menace de mort. Mais elle occupe une place importante dans notre subconscient individuel et collectif.
Il est très important de comprendre que ce changement de valeurs de mort en valeurs de vie, est le très puissant moteur du changement de civilisation en cours. Comme le notait Willis Harman (en 1990), membre du Stanford Research Institute, dans la Silicon Valley : « Nous vivons un des changements les plus fondamentaux de l’histoire : la transformation du système de croyances de la société occidentale. Aucune puissance politique, économique ou militaire ne peut se comparer à la puissance d’un changement au niveau de notre esprit (mind). En changeant délibérément leur image de la réalité, les hommes sont en train de changer le monde »[2]. Personne n’est donc capable d’arrêter ce changement de civilisation en cours. Personne.
La force extraordinaire du changement de civilisation et de paradigme est qu’il contient en lui une potentialité de réenchantement. Une respiration nouvelle pour nos âmes, nos esprits et nos corps. Une espérance collective nouvelle. « Yes, we can ». Oui, nous pouvons orienter notre civilisation mondiale vers un avenir non violent et respectueux de l’environnement. C’est possible et c’est en train de se faire. Et une partie des citoyens (les 35% de créatifs culturels notamment) le sent, le réalise et perçoit que le niveau d’énergie monte, et que les nouvelles valeurs qui vont bientôt dominer la civilisation sont d’un niveau énergétique plus haut, plus subtil et cela nous enchante intérieurement. Car la seule manière de résoudre nos problèmes c’est en montant d’énergie en changeant de vision du monde et de paradigme[3].
Ce concept de « réenchantement » vient du sociologue Max Weber, qui a écrit[4] que la modernité rationnelle, machiniste et matérialiste a désenchanté le monde. Et si nous sortons de cette prison mentale qu’est la modernité actuelle, nous redécouvrons en nous, étonnés, la puissance du réenchantement.
Le besoin de valeurs plus douces de respect, de reliance, de solidarité
Le deuxième niveau est la mort des valeurs patriarcales. Il fait encore très froid et c’est assez bas dans nos consciences. Notre société ne visite pas non plus très souvent ce niveau, même si elle sait bien qu’il existe. On en parle très peu et cependant nous sommes encore confrontés chaque jour avec la domination des hommes et des valeurs masculines sur les femmes et les valeurs plus féminines. Mais nous assistons à la crise du management vertical, pyramidal, arrogant, manipulateur. On n’en parle pas souvent, mais tout le monde sait et se rend compte que nous ne trouverons pas de solution à nos problèmes mondiaux en nous basant uniquement sur les valeurs de commande, de conquête et de contrôle. Nous sentons bien que pour protéger notre belle planète bleue, il nous faut de toute urgence un nouveau cocktail de valeurs plus douces de respect, de reliance, de solidarité. Il nous faut des valeurs plus « yin » comme disent les Chinois, plus féminines. Le patriarcat est donc déjà révolu puisqu’il a perdu sa légitimité millénaire… Mais son cadavre bouge encore, car il continue à opprimer des millions de femmes un peu partout dans le monde ! La nouvelle renaissance qui pointe nous invite à réinventer nos rôles d’hommes et de femmes, en co-création, dans une nouvelle civilisation.
Le rejet de ce qui ne va pas vers un monde soutenable et solidaire
Le niveau trois est la fin de la modernité et le début de la transmodernité. Nous n’en avons pas tellement conscience, mais nous le sentons de plus en plus aujourd’hui. Nous le verrons, pour ceux qui sont encore à 100% modernes, par exemple certains intellectuels français, il est très difficile, voire impossible de comprendre que l’on pourrait être en train de changer de paradigme. Car, par définition, les modernes n’ont pas conscience d’être dans un paradigme puisqu’ils se vivent comme étant dans l’objectivité, donc dans la vérité, qui est rationnelle et impartiale[5].
La modernité est omniprésente, mais elle a perdu sa légitimité. Edgar Morin le dit parfaitement : « Si la modernité se définit comme foi inconditionnelle dans le progrès, dans la technique, dans la science, dans le développement économique, alors cette modernité est morte » [6]. La transmodernité dans laquelle nous sommes déjà entrés, est caractérisée par le retour de l’éthique et du sens. Et la valeur de fait qui domine nettement est l’urgence absolue d’aller ensemble vers un monde soutenable et solidaire. Tout ce qui ne va pas dans cette direction est dénué de sens, et poliment – ou moins poliment – refusé.
La base du changement de paradigme vers la transmodernité est la découverte de la nouvelle métaphysique M3 qui dit que la conscience précède la matière et l’engendre. C’est la conscience qui fait advenir la matière[7]. C’est une nouvelle révolution copernicienne qui est déjà là (depuis cent ans avec les physiciens quantiques), mais nous préférons ne pas la voir…
Le niveau quatre est la fin de l’économie industrielle et néo-libérale. De nombreuses entreprises de type « industriel » sont en train de mourir sous nos yeux. Et la majorité des entreprises qui ont survécu, ont remplacé les humains par des robots. De plus, cette « société industrielle » basée sur la croissance quantitative infinie (toujours plus de ciment, de déforestation, de pollution, et de consommation des ressources de la terre…) nous conduit vers le suicide collectif. Elle est donc, de plus en plus clairement, refusée par les citoyens.
Et nous sommes, en même temps, déjà entrés dans l’économie immatérielle, qui est un nouveau paradigme économique. Mais on continue à la faire fonctionner dans les « vieilles » catégories industrielles habituelles. Le meilleur exemple, ce sont les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) qui font beaucoup d’argent, mais ne font plus du tout sens. Ce sont des dinosaures, richissimes… pour le moment, qui ont rebasculé dans la logique capitaliste néo-libérale de la croissance quantitative infinie. Contrairement à Steve Jobs et les fondateurs de Google, ils n’offrent aucune vision crédible d’une civilisation solidaire et soutenable.
Car il est important de réaliser que cette économie immatérielle peut aussi et même mieux fonctionner sur un modèle de croissance qualitative, humaniste, gagnant-gagnant, et sur le partage de la connaissance. Et que ce nouveau fonctionnement est beaucoup plus efficace et plus éthique. Car son concept de croissance est devenu qualitatif, donc aussi soutenable. Cette économie sera dominée dans le futur par la transparence et l’éthique (transmoderne). Sinon, elle n’aura pas d’avenir. Désolé pour les transhumanistes de Palo Alto[8] qui sont embourbés dans la métaphysique d’hier (M1). Mais c’est aussi la vision de Klaus Schwab, le président-fondateur du Forum de Davos[9].
Enfin nous arrivons au cinquième niveau, la transformation du politique. C’est le seul qui soit visible. Nous sommes confrontés à un gouffre de crédibilité politique qui grandit chaque jour. Globalement, toutes les institutions pyramidales sont en crise : partis politiques, églises, syndicats, universités, entreprises pyramidales, ordres des médecins, des notaires et autres… Quand elles ne sont pas déjà mortes parce qu’elles sont accusées de corruption, d’absence de transparence, ou plus gravement d’incompétence, puisqu’elles ne parviennent pas à répondre à la question de notre survie collective, ni a fortiori du sens de notre civilisation.
Et à ce niveau, encore une fois le changement politique part des citoyens.
Les deux scénarios post-Covid
Naomi Klein a publié sur Youtube[10] une analyse montrant que jamais « la stratégie du choc » qu’elle a décrit[11], n’a été appliquée avec tellement de succès. Et cette stratégie peut nous mener vers deux types de scénarios.
Le Scénario 1 est le modèle du contrôle.
Il a été brillamment annoncé par Huxley[12] et Orwell[13]. Il est illustré par le modèle chinois actuel, qui contrôle chaque citoyen électroniquement (contrôle facial) en lui donnant une approbation rouge, jaune ou verte sur son portable. Seul le signal vert permet de voyager et de faire des achats des emprunts et des investissements. L’émission récente sur ARTE l’a bien décrit[14].
Et ce régime de contrôle n’hésite pas à organiser l’emprisonnement et la stérilisation systématique de millions de citoyens Ouïgours, uniquement parce qu’ils sont musulmans. Et ils sont enfermés dans des usines-prisons où ils travaillent de façon forcée pour nos multinationales occidentales.
En France, comme dans la plupart des pays d’Europe, nous avons, au plan national, une structure de pouvoir pyramidale, qui semble de plus en plus complètement déconnectée de la vie réelle des citoyens, voire occupée à imposer une stratégie du choc à la population, qui ne manquerait pas d’inspirer Naomi Klein.
Scénario 2 : La nouvelle civilisation
Le second scénario s’enracine dans la découverte progressive par les citoyens du monde que ce monde du contrôle orwellien n’a, en fait, aucune vision d’avenir soutenable (No future), sauf peut-être de faire disparaître quelques milliards d’humains « en trop ». Or, tout projet politique sans vision d’avenir est condamné à mourir, comme ce fut le cas pour le puissant Empire romain.
Et c’est donc en se mettant debout ensemble, en promouvant et en mettant en œuvre une nouvelle vision d’avenir symbolisée par de nouvelles valeurs de vie, de soutenabilité, de solidarité, de justice et de liberté, que l’humanité sera à même de créer une nouvelle civilisation plus adulte, plus soutenable, plus éthique et plus spirituelle. Et certains sociologues comme Paul Ray[15] avancent l’hypothèse que les « créatifs culturels » qui sont 35% aux États-Unis et dans l’UE, annoncent déjà les valeurs de la civilisation de demain. Ils pourraient être entre un et deux milliards sur notre planète et faire basculer la civilisation. C’est important.
Et l’économie circulaire avec le changement de vision qu’elle promeut, est un des facteurs qui favorise l’évolution positive, et l’élévation de notre niveau de conscience.