En 2017, nous pointions du doigt les maux structurels d’une démocratie locale, pas épargnée par la pente présidentialiste. Cinq ans plus tard, le diagnostic est loin d’être caduque. Même, les contraintes sur les libertés locales se sont renforcées, alors que l’on peine toujours à percevoir les signes d’un nouveau souffle démocratique.
La démocratie locale n’était pas, à l’évidence, une priorité du quinquennat d’Emmanuel Macron. Elle ne figurait pas parmi les sujets privilégiés de son programme. Après les turbulences provoquées par les réformes territoriales des années précédentes (intégration intercommunale à marche forcée, création des métropoles, redécoupage des régions, transferts de compétences), le statut quo, voire l’apaisement étaient à attendre sous la présidence Macron. D’aucuns annonçaient déjà une « pause » nécessaire. Certes, la présidence Macron n’a pas été associée à un nouveau « big-bang » institutionnel, mais elle n’en a pas moins engagé des décisions qui sont loin d’être sans impact sur le fonctionnement de la démocratie locale. Et, en la matière, rien n’indique que celle-ci en sorte renforcée. Des évolutions, plus diffuses et moins perceptibles, ont contribué à opacifier l’exercice du pouvoir.
Un pouvoir sans attaches ?
L’une des originalités de la situation politique issue de la séquence électorale de 2017 tenait au profil des vainqueurs. Jamais élu auparavant, et plutôt symbole des parcours hybrides de hauts technocrates attirés par le privé, le Président de la République n’avait pas d’expérience d’un mandat local, à la différence de ses prédécesseurs. Pas plus d’ailleurs que bon nombre de députés LREM élus en 2017 qui n’ont pas hésité à faire valoir un vent de fraicheur et à dénoncer les inerties notabiliaires. Il est vrai que les députés siégeant dans l’assemblée de 2017 n’ont, en moyenne, passé que 9 années dans un mandat local, contre 18 et 16,5 pour ceux respectivement élus en 2007 (13ème législature) et 2012 (14ème législature)[1]. Cette moindre expérience locale est bien le fait, principalement, des députés marcheurs, alors que l’essentiel des députés socialistes, communistes ou Les Républicains détiennent des mandats locaux. Ces éléments ont pu être interprétés comme le signe d’un renouvellement du personnel politique, après des décennies d’emprise de l’ancrage local à la faveur du cumul des mandats. Mais, ils emportent une autre conséquence : l’absence de relais locaux pour le pouvoir central. Ceci favorise assurément une centralisation un peu plus poussée de l’exercice du pouvoir dans un régime déjà présidentialisé.
Façonné par et pour le candidat E. Macron, le parti LREM se distingue en effet des autres organisations politiques par son implantation limitée dans les collectivités territoriales. Hormis quelques notables locaux qui ont misé sur une conversion macronienne, peu d’élus LREM ont la possibilité de s’appuyer sur un fief local. D’ailleurs, le quinquennat a révélé et amplifié ce lien compte tenu des défaites aux scrutins locaux successifs : municipales de 2020 et régionales de 2021. Rares sont les territoires passés sous pavillon macronien. Les échecs locaux de nombre de personnalités LREM, en quête d’enracinement, donne ainsi encore un peu plus d’ampleur à cette distorsion, entre d’un côté un pouvoir national aux mains de LREM et d’un autre côté des pouvoirs locaux conservés, pour l’essentiel, par les autres formations politiques, de gauche et de droite. Ce déphasage rend les députés marcheurs plus que jamais dépendants de leur mentor. Leur avenir politique est étroitement lié à la réussite d’E. Macron, ce qui ne peut que renforcer la centralisation personnalisée du pouvoir. Dans ces conditions, le Président de la République est en mesure d’imposer ses desiderata, quand son prédécesseur (François Hollande) était pris dans des transactions fragiles avec des caciques socialistes locaux.
Un pouvoir central contre les pouvoirs locaux ?
Un autre constat, étroitement lié au précédent, de ce quinquennat est la multiplication des escarmouches entre le pouvoir central et les élus locaux. Dans sa prétention à incarner un volontarisme réformateur, le premier n’a pas hésité à se confronter aux seconds. Le terrain était soigneusement choisi, et significatif de priorités politiques. Délaissant les réformes institutionnelles sinueuses, qui ont émaillé les quinquennats précédents, E. Macron a privilégié le volet, d’apparence technique et discrète, des finances[2]. En supprimant progressivement la taxe d’habitation à partir de 2018, il s’est targué de redonner du pouvoir d’achat aux citoyens. Mais, il a écorné le pouvoir fiscal des collectivités. Parallèlement, il a proposé aux plus grandes collectivités locales de signer des contrats financiers avec l’État les engageant à contenir leurs dépenses de fonctionnement. La contrepartie ? Une stabilisation des dotations étatiques annuelles aux collectivités, alors que les gouvernements précédents avaient eu tendance à user de la variation des dotations annuelles en attisant la grogne des élus.
L’absence de « big bang » institutionnel, et médiatique, ne signifie donc pas une inaction. Sous la présidence Macron, l’action territoriale a pris, par le levier des finances, un aspect plus technique et plus difficile à politiser. Il n’en produit pas moins des effets tangibles d’érosion de l’autonomie des collectivités, enjointes ainsi à contribuer à la diminution de la dépense publique pour se plier à une discipline financière européenne. Car là est bien le ressort de cette évolution : l’austérité financière guidée par le cadre européen est désormais une exigence non seulement étatique, mais aussi locale. Pour autant, cette évolution ne doit pas enjoliver naïvement les politiques budgétaires passées de bien des institutions locales qui, parfois, se caractérisent davantage par des saupoudrages discrets que par des choix politiques assumés. L’intercommunalité en fournit de nombreux exemples avec des arrangements financiers entre élus municipaux au détriment de politiques de solidarité à l’échelle des agglomérations. En la matière, c’est bien la faible visibilité, et partant la difficile mise en débat, des affaires locales qui est en jeu. Sous couvert d’administration et de technicité, on en vient à taire des choix locaux éminemment politiques. Gonflés par les responsabilités et compétences des collectivités territoriales, les budgets locaux sont devenus des enjeux de pouvoir importants.
Un pouvoir central en quête de séduction des élus locaux ?
La prudence, de mise au cours des dernières années, dans les réformes institutionnelles pourrait bien être une précaution pour ne pas braquer un peu plus les élus locaux. D’autres initiatives ont d’ailleurs manifestement visé à courtiser ceux-ci, a fortiori depuis la crise des gilets jaunes qui a remis à l’agenda la problématique des territoires. La loi Engagement et proximité du 27 décembre 2019 affiche ainsi toute une série de signes d’attention aux élus à travers une apparente « simplification » des conditions d’exercice de leurs mandats. Un autre texte législatif, en cours de discussion et à l’avenir parlementaire encore incertain, suggère aujourd’hui une différenciation, décentralisation, déconcentration, simplification (projet 3DS). Il ressemble davantage à un patchwork de concessions aux élus locaux à coup de desserrement d’objectifs politiques (comme sur les logements sociaux), de restitution de compétences aux communes (notamment pour la métropole d’Aix-Marseille), de transfert de personnels. Comme à l’accoutumée, ces textes sont façonnés avant tout par et pour des élus. Il n’y est bien peu question de citoyenneté. D’ailleurs, les pistes, évoquées un temps, de renforcement de la participation ont été très vite mises de côté. Pourtant, peut-on aujourd’hui se satisfaire de l’état de la démocratie locale ?
Et la démocratie dans tout ça ?
Au cours des dernières années, les scrutins locaux ont été marqués par une aggravation, inquiétante, de l’abstention (65 % pour les élections régionales de 2021, soit 24 points de plus par rapport à celles de 2015). Certes, la crise de la COVID n’y est pas pour rien. Mais, s’en tenir là serait trompeur tant ce déclin est continu depuis des années. L’abstention aux élections municipales est ainsi passée de 21,5% à 32,7% entre 1983 et 2001 pour y atteindre l’acmé de 55,4% en 2020. Les échelons locaux ne sont plus épargnés, loin de là, par la désaffection citoyenne, alors même que les enjeux qui y sont traités sont de plus en plus importants. Les affaires locales restent encore trop souvent bien peu visibles et trop confinées.
Néanmoins, les dernières élections municipales ont parfois esquissé des signes encourageants. Dans quelques territoires, elles ont donné lieu à une mise en débat d’orientations politiques qui faisaient office, jusque-là, de doxa, comme sur la nécessaire course à l’attractivité économique et la densification urbaine. Dans d’autres, elles ont vu émerger des listes citoyennes et municipalistes qui ont (un peu) bousculé le jeu politique institutionnel. Ailleurs, des mobilisations associatives n’ont pas hésité à interpeller des candidats sur des enjeux de cadre de vie ou de projets immobiliers. Reste que ces initiatives sont encore marginales, et principalement cantonnées à l’échelon communal, voire celui d’un quartier, alors que les enjeux et moyens sont aussi de portée métropolitaine. Les revendications ainsi exprimées dans plusieurs territoires méritent au moins d’être prises au sérieux pour questionner des poncifs sur l’implacable compétition entre les territoires ou la proximité des institutions locales. Des enjeux aussi importants que les transports, l’habitat, l’école, l’alimentation n’ont rien de consensuels. Ils sous-tendent des choix contradictoires qui ne concernent pas de la même manière toutes les catégories de la population.
De même, des questionnements sur la centralisation exécutive et la séparation des pouvoirs sont tout aussi légitimes localement alors que les moyens pour faire vivre des espaces locaux démocratiques sont maigres : pluralisme limité des médias, accès compliqué aux données, oppositions muselées, instances participatives sans enjeux, associations prisonnières de leurs financements publics… Est-ce bien normal que les pouvoirs soient ainsi concentrés dans les mains des équipes exécutives locales alors qu’elles manient des ressources (financières et humaines) de plus en plus importantes ? Il est urgent sur tous ces points, et bien d’autres encore, de repolitiser l’action locale pour démonter ce qui est souvent présenté comme des « exigences partagées ». La mise en débat des choix politiques, voire la conflictualisation sont loin d’être des gros mots. Ils sont l’une des voies pour dynamiser la participation citoyenne. Il est aussi urgent de travailler à de nouvelles alliances sociales pour éviter que les affaires locales ne soient le domaine réservé de franges restreintes de la population. Le salut viendra assurément de la capacité à articuler des préoccupations institutionnelles avec des enjeux sociaux.
Toujours bien mal en point, la démocratie locale mériterait que les prétendants à la fonction présidentielle lui prêtent un peu d’attention. La suggestion s’adresse d’ailleurs aussi aux acteurs sociaux (syndicats, mouvements associatifs) pour porter des intérêts collectifs face aux dirigeants locaux. Cette prise de conscience serait salutaire pour éviter de croire que tout changement d’importance sera tributaire de la seule élection présidentielle et de la force d’un chef omnipotent. C’est là se bercer d’illusions alors que les dynamiques d’évolution les plus volontaristes s’esquissent parfois dans des initiatives locales.