Que l’on se place sous l’angle des financements ou de la qualité des prestations, le système de prise en charge des personnes âgées et dépendantes est en crise. Michel Limousin nous présente les principaux axes d’une réforme de fond permettant à chacun d’accéder, dans des conditions satisfaisantes, à un service public de qualité sur l’ensemble du territoire.
De quoi s’agit-il ? Les personnes âgées et/ou en perte d’autonomie sont de plus en plus nombreuses pour deux raisons principales.
1) L’allongement de la vie est une réalité. L’espérance de vie à la naissance atteint 79,5 ans pour les hommes et 85,4 ans pour les femmes en 2018 en France métropolitaine, selon l’Insee. Au cours des 60 dernières années, les hommes comme les femmes ont gagné 14 ans d’espérance de vie en moyenne. Cependant, depuis le milieu des années 1990, les gains obtenus par les femmes sont moins rapides que ceux des hommes et l’écart entre les sexes se resserre : de huit ans et trois mois en 1992, il est tombé à moins de six années en 2017. En 2019, l’espérance de vie des hommes est équivalente à celle que les femmes avaient au milieu des années 1980.
Pour autant on note depuis quatre ans un quasi-arrêt de cette progression. Ceci est dû à la crise économique et sociale que traverse le monde et notre pays en particulier. On constate cet arrêt aussi bien aux États-Unis qu’en Grande-Bretagne, au Canada, etc.
2) L’impact du baby-boom d’après-guerre se fait maintenant bien sentir dans ces tranches d’âges. C’est aujourd’hui cet effet qui est dominant.
Les pathologies chroniques se développent à ces âges ; ceci constitue ce qu’on appelle la révolution épidémiologique. Il s’ensuit que les besoins sanitaires comme sociaux explosent. Sur le plan sanitaire, les moyens médicaux existants permettent ces progrès. Sur le plan social, la situation s’est compliquée, car la vie des familles s’est profondément transformée : les personnes âgées ne peuvent être prises en charge au quotidien et la question du maintien au domicile lorsque vient la perte d’autonomie est posée.
Les impasses de la « Silver économie »
Certains capitalistes y voient un marché, une source de développement de leur investissement et des profits possibles lorsque ces personnes ont des moyens financiers qui permettent de devenir clients. Ils parlent même de la « Silver économie ». Le vieillissement de la population entraîne l’émergence de plus en plus de produits et de services à destination des personnes âgées. L’économie à destination des seniors pourrait ainsi générer un chiffre d’affaires de plus de 130 milliards d’euros dans trois ans. Mais on voit bien que cela a deux inconvénients majeurs : d’une part, une seule partie de la population peut accéder à ce type de service ce qui est en contradiction avec l’augmentation des besoins et, d’autre part, l’exploitation bien souvent inhumaine de ces structures privées pour dégager un profit maximum entraîne une baisse de qualité des prestations. Cela se manifeste particulièrement dans les EHPAD comme on l’a vu récemment. Comment par exemple nourrir une personne âgée avec 3,7 € par jour (petit-déjeuner, midi, collation, dîner) ? Des mouvements de grèves importants se sont développés et ont attiré l’attention des médias.
On le voit : maison de retraite, EHPAD, structure de maintien à domicile, financement de l’assurance maladie, financement des collectivités territoriales, tout est en crise tant sur le financement que sur la qualité des prestations. C’est tout ceci qui nous conduit à proposer une réforme de fond de l’ensemble du système pour que tout le monde puisse y accéder dans des conditions satisfaisantes.
Le besoin de création d’un véritable service public de la perte d’autonomie.
En quoi cela consiste-t-il ? Il s’agit d’organiser une politique nationale valable sur l’ensemble du territoire avec des moyens mis à disposition de façon égale pour tous. Il ne s’agit pas nécessairement d’éliminer le secteur privé, mais de l’encadrer de façon sérieuse et de développer des moyens publics là où c’est nécessaire.
Voici quelques exemples de ce que pourrait être ce système :
- Une couverture nationale répartie de façon homogène par rapport aux besoins démographiques. La partie sociale du financement assuré par les conseils départementaux doit faire l’objet d’une péréquation solidaire pour tenir compte des inégalités territoriales et éviter que les prestations fournies se fassent selon des décisions locales aléatoires.
- Des professionnels suffisamment nombreux pour répondre de façon humaine aux besoins humains ; ainsi il faut, par exemple, arriver au ratio d’un professionnel par pensionnaire dans les EHPAD pour atteindre une assistance permanente jour et nuit.
- Des normes de formation pour tous ces personnels et des grilles salariales décentes et motivantes. Il faut donc créer des centres de formation et des diplômes nationaux.
- Des personnels de santé (Infirmières, kinés, médecins, aides-soignants, etc.) répartis en fonction de normes nationales.
- Des tarifs décents qui permettent l’accès à tous sans reste à charge.
- Des équipements de sécurité pour le maintien au domicile.
- Un encadrement des associations qui gèrent localement ces services en pensant un statut adapté à leurs activités et en leur donnant les moyens humains et financiers adéquats.
- Un financement général qui reste assuré par l’Assurance maladie pour la partie soins, par les départements pour la partie sociale et par l’État pour la partie coordination et aide à l’investissement.
- Une interdiction des organismes côtés en bourse d’entrer sur ce « marché ».
Voici en quelques mots notre proposition. Cela nécessite un débat national et la mise en place d’une loi d’orientation portant création d’un service public pour les personnes en perte d’autonomie.