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Covid-19, implications écologiques et systémiques

Covid-19, implications écologiques et systémiquesTemps de lecture : 7 minutes

Il est aujourd’hui largement admis que les déforestations et la réduction des écosystèmes favorables aux espèces sauvages, toutes deux consécutives à la surexploitation des ressources naturelles, favorisent la propagation de nouveaux virus. Or, l’obnubilation de la recherche du profit est une cause majeure de la dégradation de la planète. Après avoir résumé quelques-unes des implications écologiques des pandémies, Alain Pagano met en avant des propositions qui nous permettraient de révolutionner nos modes de production et nos modèles de société afin de mieux respecter la planète et les écosystèmes, et de préserver la santé humaine.

Cet article veut nourrir la réflexion sur la pandémie, ses implications sous le seul prisme de l’écologie.

Comment en est-on arrivé là ?

La maladie induite par le Covid-19 est, très probablement, une zoonose, c’est-à-dire une maladie qui a été transmise par des animaux sauvages, et ceux qui sont très fortement suspectés sont des pangolins, des chauves-souris, et/ou des civettes, pour les espèces qui sont présentes en Chine, foyer originel de la pandémie. Le virus présent dans ces animaux aurait muté pour passer à l’humain. Ce qui permet de le penser, selon les scientifiques, c’est la très forte ressemblance génétique entre les coronavirus de ces 3 groupes d’espèces.

Cette interprétation scientifique s’appuie sur d’autres exemples comparables de zoonoses, ce qui fait dire à d’autres experts que l’humain a une vulnérabilité croissante face aux pandémies de ce type à cause de la destruction accélérée des habitats[1].

Le changement climatique est-il responsable ?

La question qui vient est comment est-il possible que ce virus soit arrivé à l’Humain ? Le changement climatique en est-il la cause ? Ou bien, à tout le moins, des modifications environnementales ? Il est important de répondre à ces questionnements.

 

Figure du ministère de l’Agriculture 

 

 Au-delà du fait qu’en Chine, il y a commerce d’animaux sauvages vivants pour des usages d’alimentation, et qu’il aurait favorisé le passage du virus de l’animal à l’humain, des scientifiques pointent également d’autres facteurs : les déforestations, la réduction des écosystèmes favorables aux espèces sauvages, auxquelles s’ajoute l’étalement urbain. Tout cela favorise la probabilité de contacts plus fréquents entre humains et faune sauvage, donc augmente la probabilité de transmission du virus. C’est l’hypothèse la plus fondée scientifiquement aujourd’hui.

Si les virus existent et se propagent de façon naturelle, les activités humaines sont parfois aggravantes pour faire survenir de nouvelles pandémies. La modification de l’environnement consécutive à la surexploitation des ressources naturelles est bien en cause, car la déforestation répond souvent aux besoins de l’agrobusiness plus qu’à la paysannerie de proximité. Cela questionne nos modes de production et de développement, notre respect de la planète, nos modèles de société.

Certains militants de la cause environnementaliste invoquent, un peu vite, le réchauffement climatique comme responsable de cette pandémie. Au stade de nos connaissances scientifiques, c’est périlleux de l’affirmer de manière péremptoire. En effet, on n’en a aucune preuve ! Et donc parler du changement climatique sur cette question, c’est aller vite en besogne, voire contribuer à passer à côté d’autres combats à mener comme la nécessaire protection des écosystèmes et de leur biodiversité.

En revanche, ce que l’on sait, c’est que des mutations génétiques peuvent survenir et être favorisées dans le cadre de changements environnementaux. Ce que l’on peut suspecter, c’est que nouvelles maladies peuvent survenir à cause des changements environnementaux (cf. cas du virus Ebola au Libéria et en Sierra Leone, du virus Chapare identifié en Bolivie, ou encore de la malaria à Bornéo[2]). Les effets du réchauffement climatique pourraient avoir pour effet de faire réapparaitre des maladies ou des virus aujourd’hui non actifs, mais qui pourraient le devenir avec la fonte des glaces. Des espèces animales, vecteurs de maladie[3] comme les moustiques, aujourd’hui présents dans des pays tropicaux atteignent ou pourraient atteindre des pays tempérés comme le nôtre[4]. La lutte pour le respect de la planète et des écosystèmes est aussi une lutte pour la santé humaine dans nombre de cas. C’est vrai. Le changement climatique en est parfois la cause. Mais l’exemple le plus probant n’est pas le Covid-19.

Confinement, conséquences écologiques et les jours d’après

Le confinement est une épreuve pour chacun. Mais, en parallèle des conséquences économiques, politiques et sociales, il a aussi des conséquences écologiques et systémiques marquées. En rupture avec l’avant-crise. Suite à la réduction des transports et de l’activité industrielle, les émissions de CO2 ont fortement baissé, ce qui est positif pour la lutte contre le réchauffement climatique. La pollution de l’air a diminué également, ce qui est une bonne nouvelle paradoxale pour la santé de nos concitoyens, cette pollution provoquant de la surmortalité. Cependant, il y a fort à parier que ce ne soit que provisoire si l’après ne change pas de l’avant crise.

Si on peut se féliciter de ces bonnes nouvelles environnementales dans un contexte de mauvaises nouvelles, doit-on envisager l’après comme cela ? Avec une industrie réduite à l’indispensable survie et un confinement généralisé ? La question est volontairement polémique pour susciter le débat.

En effet, alors que nos concitoyens commencent à s’interroger sur les jours d’après, sur la société qu’il faudra réinventer, je crois qu’il convient de réfléchir à quelques propositions pour révolutionner notre société, nos modes de production, dépasser un système capitaliste obnubilé par l’argent, sur-exploiteur des ressources naturelles et impliqué dans la dégradation de la planète. Car ce même système capitaliste, mis en accusation par nombre de nos concitoyens, va préparer sa défense, proposer des solutions pour accroitre sa main mise sur la planète et accroitre ses profits, comme il en est capable avec le réchauffement climatique où le droit à émettre du CO2 se négocie sur les marchés financiers.

Ainsi, même un chaud partisan de l’argent roi, défenseur du temple capitaliste, empêtré dans les contradictions du système et sa mise en accusation, s’oblige à des entorses sévères aux lois du marché en relocalisant des productions. Je pense aux masques chirurgicaux et ffp2 qui ne sont plus que rarement produits en France quand l’essentiel provient de pays à bas coûts salariaux, et dans ce cas la Chine.

Combiner protection de nos concitoyens et de la planète

C’est une bonne chose, surtout si ce n’est pas que provisoire. C’est un bel exemple de ce qu’il faudra généraliser demain pour combiner la protection de nos concitoyens et celle de la planète. Relocaliser ! C’est mettre en place des circuits courts. Circuit court ne vaut pas que pour les produits agricoles, l’alimentation. Cela vaut pour l’industriel également : il est indispensable de faire décroitre fortement le transport de marchandises sur des milliers de kilomètres, déplacements engendrés par les logiques de délocalisation des productions et de dumping social, fiscal et donc de dumping environnemental.

Car, les circuits courts sont un des moyens de réduire l’empreinte carbone exorbitante que représentent les transports[5]. Ils doivent être combinés à un effort d’investissement, de développement vigoureux dans les modes de transports les plus propres ! Pour le transport des personnes, il faut favoriser le ferroviaire et les transports en commun dans nos sociétés de demain. Pour le transport des marchandises, ferroviaire, fluvial et maritime (cargos à voile) doivent être favorisés au détriment du tout camion et des avions.

À l’objectif idéalisé par certains d’une société totalement décroissante qui prendrait le risque de ne pas répondre à des besoins fondamentaux des sociétés humaines (vaincre la faim et la pauvreté, améliorer la santé, rénover thermiquement des logements …), il convient de plaider pour une décroissance des activités inutiles et une croissance de ce qui est utile socialement. Il convient de plaider pour des relocalisations, une production agricole et industrielle de proximité, en investissant dans la recherche pour que les process agricoles comme industriels soient respectueux de l’environnement, et n’épuisent pas les ressources. À l’obsolescence programmée, concept certifié capitaliste destiné à accentuer la vente de nouveaux produits pour faire de nouveaux profits, préférons l’économie circulaire qui implique éco-conception des produits, réparation, économie des ressources pour les produire. Il faut imaginer une société qui produise, si elle se donne les moyens de produire propre et de produire utile.

La nécessité d’une vision et d’une action de long terme

Par ailleurs, la crise liée au Covid-19 a favorisé nombre de « fake news » voire des théories complotistes sur une fabrication humaine du virus. Il n’en est évidemment rien, mais cela montre qu’il faut appeler à la prudence face aux propos hâtifs et aux fausses nouvelles. Cette note montre également la nécessité, au-delà de la recherche médicale sur les traitements et les vaccins possibles pour soigner la maladie qu’il est nécessaire de booster la recherche publique (en postes comme en moyens budgétaires, en possibilités de coopération internationale plutôt qu’en tentations de replis sur soi nationalistes) sur nombre d’aspects et évidemment, pour ce à quoi je suis le plus sensible, sur les recherches en écologie. Si l’on se doit d’agir dans l’immédiateté de la crise, une vision et une action de long terme sont nécessaires, notamment en matière de recherche.

L’hôpital public sort renforcé de cette crise dans son évidence et son utilité. Ce besoin d’un service public fort devrait s’étendre aux médicaments, mais aussi à tout ce qui touche à la gestion des ressources naturelles, à la protection de la santé de la planète, car il y a solidarité de destin avec celle des humains. Et il y a solidarité de destins entre humains. La coopération internationale plus que la compétition et les replis sur soi nationalistes et égoïstes, voilà une valeur pilier de la société que nous devrions construire.

Voilà quelques pistes de réflexion qui n’épuisent pas le sujet!

[1] Cf Interview du scientifique Camille Lebarbenchon « Le problème ne vient pas des espèces animales mais des changements environnementaux issus de nos activités », Actu Environnement, 24 mars 2020. Voir aussi Sonia Shah, « D’où viennent les coronavirus ? Contre les pandémies, l’écologie », Monde Diplomatique, mars 2020.

[2] cf. Marina Aizen, « La destruction des écosystèmes par l’humain favorise l’émergence d’épidémies », Courrier international, 28 mars 2020 ; traduction d’un article paru dans  Anfibia.

[3] Par exemple dengue, fièvre jaune, Zika et chikungunya pour le moustique tigre.

[4] Le moustique tigre est dorénavant installé dans la majeure partie du Pays sans être, pour l’instant, vecteur de maladies en France métropolitaine.

[5] À titre d’exemple, le caractère ubuesque de la chaîne de valeur qui conduit à faire décortiquer au Vietnam des crustacés écossais, puis les faire fumer à Madagascar pour finalement les vendre dans des magasins en Europe…

Pour citer cet article

Alain Pagano, «Covid-19, implications écologiques et systémiques», Silomag, n°11, juillet 2020. URL: https://silogora.org/covid-19-implications-ecologiques-et-systemiques/ 

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