Système de retraite par répartition ou par capitalisation, cotisations définies ou prestations définies, points ou annuités, Sylvie Durand revient sur les différents choix possibles en matière de système de retraites, sur les objectifs qu’ils poursuivent et sur leurs effets respectifs. Ces éclaircissements permettent de comprendre pourquoi, depuis plus de deux décennies, la situation des retraités se dégrade et en quoi la réforme voulue par Macron l’aggraverait encore. Ainsi, loin d’être une simple discussion d’ordre technique, les choix en matière de système de retraites relèvent de véritables enjeux de société et devraient faire l’objet d’un débat politique de fond.
Article écrit pour le Silomag #9 Chances et défis de l’allongement de la vie (juin 2019) sous le titre « De quelques conceptions incontournables pour une refonte des retraites ».
À l’heure d’une refonte sans précédent de notre système de retraite, répartition, capitalisation, prestations ou cotisations définies sont des choix infiniment plus déterminants que l’alternative points ou annuités.
La répartition, un système d’une solidité à toute épreuve
En répartition, les cotisations prélevées sur les salaires sont immédiatement reversées aux retraités sous forme de pensions. C’est donc un circuit de financement très sûr, qui met à l’abri de toute déperdition financière les régimes de retraite : les sommes cotisées ne transitent pas par les marchés financiers et sont donc soustraites à leur volatilité.
Seul un régime par répartition peut garantir pendant toute la retraite une pension représentant un pourcentage déterminé du salaire de fin de carrière.
En cotisant pour financer les pensions de leurs aînés, les salariés se constituent également leurs propres droits à retraite. Ces droits sont garantis par la loi qui impose l’obligation de cotiser à toute personne exerçant une activité professionnelle.
La répartition repose donc sur un système de solidarités entre les générations successives qui, tour à tour, cotiseront obligatoirement pour les générations précédentes.
Ces solidarités se déclinent également jusqu’à présent au sein de chaque génération : les périodes d’interruption involontaire d’activité, telles que la maladie, le chômage, la maternité, l’invalidité, bien que non cotisées à titre individuel, ouvrent des droits à retraite, solidairement et collectivement financés par l’ensemble des salariés actifs. Même chose pour les pensions de réversion au bénéfice du conjoint survivant ou de l’enfant orphelin de ses deux parents.
Enfin, ces solidarités se déclinent entre les professions. Les métiers se transforment, évoluent, certains disparaissent (par exemple les mineurs) et sont remplacés par d’autres. Des régimes professionnels peuvent alors se trouver en difficulté, le nombre de retraités percevant une pension finissant par dépasser le nombre d’actifs cotisant. En répartition, il existe des mécanismes de solidarité entre les régimes – on parle de compensation démographique – tels que les droits à retraite seront, quoi qu’il arrive, honorés et les pensions payées jusqu’à leur terme.
Par construction, un régime de retraite par répartition ne peut pas faire faillite ou se retrouver en cessation de paiement. Financé par des cotisations sur salaires, il repose sur la masse salariale nationale, soit 60 % du produit intérieur brut, c’est-à-dire 60 % de la richesse créée par le travail (PIB[1] 2017 = 2246,7milliards d’euros). Pour qu’un système de retraite par répartition fasse faillite, il faudrait donc qu’il n’y ait plus de salaires versés, c’est-à-dire plus de travail et donc plus de création de richesses…
Tout le contraire des systèmes d’épargne retraite, dénués de solidarités (rien n’est acquis en cas de chômage, de maladie, etc.) et susceptibles de faire faillite à tout moment !
La capitalisation: le risque pour l’épargnant, la sécurité pour le banquier!
Les systèmes par capitalisation, « les produits d’épargne retraite » (PERCO, PERE[2], PERP, etc.) ne peuvent pas garantir, dans la durée, un niveau de prestation donné, quelle que soit leur conception.
L’argent épargné est en effet placé sur les marchés financiers, sujets à des retournements, dont le plus récent est le krach de 2008. Aux États-Unis, des octogénaires, dont la rente a perdu du jour au lendemain 40 % à 60 % de sa valeur, ont ainsi dû rechercher un emploi (sans aucune chance d’en trouver un, compte tenu du chômage). Sans parler des fonds qui ont fait purement et simplement faillite, laissant sans ressource les retraités concernés.
En France, l’Union Mutualiste Retraite (Corem) a réduit d’un tiers en 2015 la rente complémentaire versée aux fonctionnaires souscripteurs.
Certains fonds de pension d’entreprise ont tenté par le passé de s’engager sur un niveau de prestation définie. Le risque d’aléa boursier était assumé par les entreprises qui s’engageaient à compenser les pertes pour honorer les prestations sur lesquelles elles s’étaient engagées. Ce qui les a acculées à la faillite (par ex. General Motors avant son sauvetage).
Banquiers et assureurs ont retenu la leçon. Ils ne proposent plus de produits d’épargne « à prestations définies », mais des produits « à cotisations définies ». Seul le taux de cotisation exigé du souscripteur est défini, aucun engagement n’est pris quant à la prestation. C’est donc bien l’individu qui supporte le risque de perdre tout ou partie de l’épargne constituée tout au long de sa vie, avant comme après la liquidation de sa rente !
De nombreux analystes financiers considèrent que les fonds de pension sont voués à la faillite à plus ou moins brève échéance. Pour être viable, un fonds de pension ne doit verser de rente qu’avec les produits financiers des placements. Mais à chaque crise financière, non seulement la rémunération des placements ne suffit plus pour financer les rentes, mais le fonds en lui-même est amputé : plus le volume d’un fonds de pension se contracte, moins son placement rapporte, plus le paiement des rentes exige de puiser dans le fonds qui inexorablement court à son extinction … sauf à être renfloué.
Cette réalité n’empêche pas le Fonds monétaire international, la Commission européenne et la Banque centrale européenne de préconiser la limitation à 14 % du Produit intérieur brut national des dépenses des régimes publics de retraite par répartition, pour développer parallèlement l’épargne retraite collective et individuelle.
Avec une population retraitée appelée à augmenter jusqu’en 2035, ce blocage des ressources des régimes publics de retraite a pour effet de faire décrocher drastiquement le niveau des pensions, et de favoriser ainsi la croissance du marché de l’épargne retraite, pour le profit exclusif des banquiers et des assureurs.
Le prix à payer pour renflouer les fonds de pension promus par la Commission européenne !
Cotisations définies ou prestations définies?
À grande échelle, nous venons de le voir, les systèmes de retraite par capitalisation ne peuvent souscrire aucun engagement sur le niveau ou le montant des prestations versées aux épargnants. La capitalisation « à prestations définies » est donc en pratique réservée à une infime élite du CAC 40, les très hauts dirigeants qui négocient une retraite chapeau en forme de parachute doré.
Seuls les régimes par répartition sont susceptibles d’honorer un engagement sur un montant de pension représentant, au moins en moyenne, un pourcentage déterminé des meilleurs salaires de carrière. À cet effet, jusqu’au début des années 1990, les régimes de retraite français n’ont eu de cesse d’augmenter significativement les cotisations. Ainsi la part du PIB consacrée au financement des retraites obligatoires est-elle passée de 5,4 % en 1959 à 13,8 % aujourd’hui.
Répartition «à cotisations et prestations négociées»: l’effet d’un recul du rapport de force
Lorsque les salariés parviennent à imposer un rapport de force à leur avantage, les cotisations augmentent et les prestations sont maintenues ou améliorées. Dans le cas contraire, le Medef et ses alliés politiques imposent la stagnation ou la baisse des cotisations, la diminution des taux de remplacement[3], l’allongement de la durée de cotisation : c’est le cas depuis 1993 ! Dans cette phase, le système fonctionne « à cotisations et prestations négociées ».
Régimes à cotisations définies: le grand saut en arrière
C’est fondamentalement la proposition du président Macron.
Le taux de cotisation est fixé une fois pour toutes et est strictement intangible. Compte tenu de l’augmentation du nombre de retraités et de leur espérance de vie, l’équilibre financier est obtenu en diminuant le montant des droits à retraite, déjà liquidés ou en cours d’acquisition, pour aligner la dépense sur la recette. Les salariés n’ont plus aucune visibilité ni sur le niveau de leur future pension ni sur l’évolution de son pouvoir d’achat.
Le fonctionnement de la répartition singe alors celui de la capitalisation.
Points ou annuités: le faux débat
Pour occulter les vrais enjeux de sa réforme, le gouvernement a savamment distillé un faux débat sur la technique de matérialisation des droits à retraite. L’AGIRC, le premier régime de retraite par points français a été mis en place à l’initiative de deux dirigeants de la fédération nationale des industries chimiques de la CGT, Adolphe Bourrand dit Andréjean et Roger Crépeaux dit Roger Pascré, et sous l’autorité d’Ambroise Croizat, ministre du Travail, de la Sécurité sociale et secrétaire général de la Fédération CGT de la métallurgie.
Son objectif était de garantir aux ingénieurs, cadres et techniciens, pour 16 % de taux de cotisation, une pension représentant 72 % du salaire cotisé afin de ne plus laisser aucune place à la capitalisation en couvrant sans exception tous les salariés sur la totalité de leur salaire par un dispositif de retraite en répartition : l’AGIRC, pour la partie de salaire supérieure au plafond de la Sécurité sociale et la Sécurité sociale elle-même pour la partie de salaire inférieure à ce plafond.
Construit sur le même modèle, l’ARRCO a fonctionné « à prestations définies » pendant près d’un demi-siècle. Dans le secteur public, il en va de même pour l’IRCANTEC jusqu’à la réforme de 2008. A contrario, les régimes par annuités peuvent fonctionner « à cotisations définies », nous en avons un exemple au Canada.
Plus qu’à une discussion technique sur la matérialisation des droits ou l’architecture des régimes, la réforme des retraites en cours appelle à un débat politique sur les objectifs du système de retraite : âge de départ, niveau des pensions par rapport au salaire d’activité, minimum de pension et évolution du pouvoir des pensions liquidées. Toutes choses qui invitent à une remise en cause de l’axiome de la réforme Macron : il faut limiter la part de PIB consacrée au financement des retraites à ce qu’elle est aujourd’hui.
« Système de retraite : répartition et capitalisation », Alternatives économiques, Hors-série n°055,
Le recours à la capitalisation consiste à accumuler, de manière individuelle ou collective – via des fonds de pension -, des actifs financiers (actions, obligations, immobilier) dont les revenus ou la vente sont censés assurer demain le paiement des pensions. Le recours à la capitalisation ne peut en aucun cas résoudre le problème de partage des richesses posé par l’accroissement du nombre de retraités rapporté au nombre d’actifs : un régime par capitalisation qui voudrait se substituer totalement à la répartition devrait, lui aussi, s’il entend maintenir le niveau relatif des retraites, verser une part croissante du produit intérieur brut (PIB) à des retraités devenus plus nombreux. Il lui faudrait donc tout autant prélever cette somme sur les richesses produites par les actifs du moment, via les revenus du capital. La principale différence entre les deux systèmes tient plutôt à leur fondement : la répartition est par nature collective et fondée sur la solidarité entre générations, alors que la capitalisation induit l’idée que chacun cotise pour sa propre retraite.