Les personnes âgées souhaitent avant tout continuer à vivre chez elles, dans leur quartier, avec les autres et comme les autres. Cette aspiration implique certes des logements adaptables et des professionnels pour conseiller et accompagner les améliorations. Mais elle implique surtout d’agir sur tout ce qui bride les possibilités de sortir de chez soi en toute sécurité et d’avoir accès aux aménités de « la ville ». C’est pourquoi Férial Drosso insiste ici sur l’importance de lier de manière indissociable la question du logement à celles de l’habitat, de la mobilité, des transports et plus généralement de « l’accès à » ; autant de politiques qui viseraient non plus le « maintien à domicile », mais le « maintien dans la ville ».
Le logement est un élément majeur du bien vieillir. Coût, conception, taille, localisation, autant d’éléments qui participent au bien-être ou au mal-être des personnes âgées, déterminent leur mode de vie et leur assise sociale, contribuent à constituer leur identité. Aussi, dans une société où leur nombre croît et continuera à croître, la question de leur logement est cruciale et appelle la mobilisation d’acteurs et compétences multiples.
Rester maître chez soi
En préambule, précisons que nous n’entrerons pas ici dans des considérations sur la catégorie « âge » ou sur les critiques, fondées, qui peuvent lui être adressées. On se contentera de rappeler que la catégorie « personnes âgées », comme toutes les catégories d’âge, est fortement hétérogène et que cette hétérogénéité marque aussi le champ du logement. Mentionnons parmi les variables les plus discriminantes l’âge (en gros, et même en très gros, les choses se présentent différemment selon que l’on appartient au groupe des moins de 75 ans, à celui des 75 – 85 ans ou à celui des plus de 85 ans) ; la génération (pour ne prendre qu’un exemple, les femmes qui appartiennent à des générations où la conduite automobile était l’affaire de leur mari, vieilliront moins bien dans un habitat diffus que dans des tissus urbains denses), le statut d’occupation du logement, son type et sa localisation (propriétaires occupants, locataires du parc social ou du secteur privé, habitants d’une maison individuelle ou d’un immeuble collectif, habitants des centres-ville, des banlieues ou du péri-urbain ont mille raisons de vivre des vieillesses différentes).
Et, que dire de l’incidence des revenus, de l’état de santé, des capitaux sociaux et culturels, du statut conjugal, de l’entourage familial ou des interactions entre ces différentes variables ?
Reste qu’en matière de logement, les personnes âgées ont en partage trois caractéristiques.
Tout d’abord, on le sait, c’est répété à l’envi, elles souhaitent « rester chez elles » le plus longtemps possible. Cela dit, la formule « vouloir rester chez soi » prête à confusion. Elle n’exprime pas le refus de la mobilité, mais le désir de vivre chez soi, d’être maître chez soi. Dans notre société, l’autonomie est une valeur cardinale, c’est vrai pour les personnes âgées aussi. D’où le fait que, même pour lutter contre la solitude, elles considèrent rarement la cohabitation avec leurs enfants comme la panacée.
Vouloir rester chez soi, c’est aussi vouloir rester dans son quartier, bénéficier des relations de voisinage que l’on y a tissées, être dans des lieux familiers et donc rassurants… sauf quand le quartier a tellement changé que, justement, on ne s’y sent plus chez soi. C’est, rester à proximité de ces deux pivots que sont le médecin et le pharmacien. C’est ne pas vouloir entrer en institution. Pour autant, il manque en France des maisons de retraite et des maisons de retraite abordables, de bonne qualité et situées là où il y a des besoins.
Ce souhait des personnes âgées de rester chez elles est rendu possible par les politiques dites de maintien à domicile et par l’aide des proches. On comprend alors que, dans leur écrasante majorité, et jusqu’à un âge très avancé, les personnes âgées vivent dans ce que l’Insee appelle des « logements ordinaires » c’est-à-dire hors institution (98 % des 65 ans et plus ; 86 % encore pour les 80 ans ou plus ; ces chiffres, émanant de l’Insee, sont arrondis pour en faciliter la lecture).
Cette donnée fondamentale est leur deuxième caractéristique commune. Elle oriente les politiques publiques et doit continuer à en être la clef de voûte de même qu’elle détermine les différents champs et acteurs à mobiliser. Et elle doit être articulée à cette autre donnée que nous livrent les travaux sur les personnes âgées : non seulement ces dernières veulent rester chez elles mais, en outre, elles ne veulent ni d’habitat spécifique ni même d’habitat adapté. À la rigueur, un habitat adaptable, si possible avec des services. Elles veulent vivre dans la banalité des tissus existants, avec les autres, comme les autres.
Enfin, les personnes âgées sont propriétaires de leur résidence principale (près de 75 % le sont contre près de 58 % pour l’ensemble des ménages, chiffres Insee). Mais, contrairement à une idée reçue bien répandue, la propriété ne garantit ni la sécurité (financière ou matérielle) pour les vieux jours ni de bonnes conditions de vie. Être propriétaire ne signifie pas être riche. Le coût de l’entretien d’un bien, les fonds nécessaires aux gros travaux dans les copropriétés ou aux travaux d’adaptation du logement peuvent dépasser les moyens des propriétaires. De plus, comme on n’anticipe à peu près rien de sa vieillesse, la nécessité de faire des travaux d’adaptation intervient à un moment où l’on est peu enclin à en faire réaliser. Ajoutons que propriété se conjugue le plus souvent avec maison individuelle ce qui implique le problème des étages et celui des localisations excentrées.
Le problème est dans la rue
Nombre d’enquêtes auprès des personnes âgées permettent de connaître leur point de vue sur leur logement.
La proportion de personnes âgées qui s’en disent satisfaites est élevée, plus élevée que celle de l’ensemble des ménages. Quand elles se plaignent, c’est de tout ce qui bride leur possibilité de sortir de chez elles en toute sécurité et d’avoir accès aux aménités de « la ville » : ascenseurs (inexistants ou défectueux), éclairage des halls d’immeuble, absence de rampes d’accès. Autrement dit, elles déplorent ce qui menace leur intégrité physique. Faut-il rappeler la fréquence des chutes chez les sujets âgés et leurs conséquences parfois fatales ?
Les personnes âgées nous indiquent ainsi ce que doivent être des politiques qui ne confondraient pas maintien à domicile et simple survie au domicile. Et à vrai dire, l’expression « maintien à domicile » paraît assez malheureuse : elle induit l’idée qu’une politique en direction des personnes âgées pourrait se réduire à ce qui se passe dans leur domicile. Cela a pu être opportun, mais il s’agit désormais de rechercher plutôt – le propos doit certes être modulé en fonction de l’état de santé des intéressés et de leurs fragilités – des politiques permettant de mieux vivre chez soi et de mieux sortir de chez soi. Visons, non plus le « maintien à domicile », mais le « maintien dans la ville ».
Ce premier motif d’insatisfaction est cohérent avec l’autre élément dont se plaignent les personnes âgées, à savoir la difficile accessibilité des lieux de vie et équipements, voire l’éloignement des commerces de proximité. Cela s’explique : elles vieillissent le plus souvent là où elles se sont installées longtemps auparavant, c’est-à-dire dans des logements et des lieux conçus pour de jeunes actifs théoriquement en pleine possession de leurs moyens de mobilité.
Il apparaît donc que la question du logement des personnes âgées est liée/devrait être liée de façon indissociable à celle de l’habitat ainsi qu’à celle de la mobilité et des transports. Chacun de ces champs comporte des difficultés et des enjeux spécifiques et mobilise des acteurs différents. Et même en matière de logement à proprement parler, les acteurs impliqués ne sont pas les mêmes selon, par exemple, le statut d’occupation.
Les urbanistes ont coutume de dire : « Le problème est dans la rue », signifiant ainsi que l’on dispose déjà de savoir-faire et d’expérience en matière d’adaptation des logements, mais moins dès que l’on en sort. Pour autant, des obstacles demeurent dont les plus importants se situent en amont des travaux d’adaptation. Les premiers sont d’ordre financier : coût des travaux et maquis des aides dont les personnes âgées ignorent le plus souvent qu’elles peuvent en bénéficier. Les seconds tiennent à l’attitude des personnes âgées elles-mêmes qui expriment rarement des demandes, s’aveuglent en général sur leurs fragilités, redoutent ce qu’elles peuvent considérer comme une intrusion dans leur intimité, craignent d’avoir affaire à des ouvriers indélicats. La première étape d’une politique visant à améliorer leur logement consisterait donc à les conseiller et à les accompagner. Ergothérapeutes et artisans labellisés pourraient être ici des auxiliaires précieux.
Un environnement mal conçu transforme une fragilité en handicap
Concernant l’extérieur du logement (abords immédiats, cheminements, quartier), des progrès ont été réalisés grâce, notamment, aux apports de la gérontologie écologique qui démontrent comment un environnement mal conçu transforme une fragilité en handicap et vice-versa. Il suffit parfois de réaliser un aménagement trivial : changer le rythme des feux rouges ou installer des bancs publics. Et à quand la multiplication de toilettes publiques fréquentables par des personnes âgées !
En une phrase, un rapport le l’Institut Montaigne (Faire du bien vieillir un projet de société, Logement, patrimoine et emploi des seniors. Juillet 2015) résume les choses : « Deux risques de santé se posent aux seniors demeurant à domicile : la dépression et les chutes. On observe en effet une forte prévalence de la dépression chez les personnes âgées ». Prévenons donc les chutes par des aménagements adéquats et luttons contre la vie en vase clos propice à la dépression.
La connaissance des aspirations des personnes âgées est également livrée par l’analyse de leur mobilité résidentielle. On observe ainsi une première mobilité aux alentours de l’âge de la retraite, mobilité dite de confort, mûrement réfléchie et qui s’accompagne fréquemment d’un changement de région. Ensuite, une deuxième mobilité, dite d’ajustement, qui concerne, elle, des sujets nettement plus âgés. Il s’agit d’un ajustement à la baisse des revenus, mais aussi à la détérioration de l’état physique et aux changements familiaux. Les personnes âgées se dirigent alors vers le collectif, le locatif et les tissus denses des centres-ville ou des banlieues proches. Et une part non négligeable d’entre elles se dirige vers le parc social qui du coup connaît un vieillissement accéléré : ses locataires vieillissent sur place et il accueille, en plus, des locataires âgés.
En marge de ces chantiers que l’on vient d’évoquer, on aimerait soutenir que la question de la dépendance est un arbre qui cache la forêt. Son financement pour les individus et pour la collectivité est un enjeu majeur, certes. Mais, la plupart d’entre nous finiront leurs jours sans connaître cette situation que l’on ne saurait confondre avec la vieillesse et dont le spectre est omniprésent. En revanche, compte tenu de notre espérance de vie, nous sommes tous certains de vivre de longues années à essayer de surnager dans environnement hostile à nos fragilités et à nos capacités déclinantes.
Se tenir sur une ligne de crête
Face à l’hétérogénéité patente des personnes âgées, à la diversité de leurs attentes, aspirations et besoins, il faut désormais travailler dans la dentelle pour définir les politiques du logement et de l’habitat. À vrai dire, on arrive à cette conclusion, quelle que soit la catégorie de population sur laquelle on travaille.
La France a changé, sa population a changé, sa population âgée a changé elle aussi. Certes, une partie d’entre elle connaît la précarité voire la pauvreté, mais elle a, dans l’ensemble, vu son niveau de vie s’élever. Il ne s’agit donc plus seulement de satisfaire ses besoins. Il faut aussi permettre à ses aspirations de se déployer. Et pour cela, il faut d’abord connaître ces aspirations et arrêter de parler à la place des personnes âgées.
Le plus difficile, peut-être, est de se tenir sur cette ligne de crête qui consiste à prendre en compte les spécificités liées à leur âge sans les y réduire. Du reste, sur beaucoup de points, nous l’avons vu ici, les personnes âgées aspirent à la banalité. Concernant leur logement et leur habitat, leur question essentielle est celle de « l’accès à… ». Comme l’ensemble des citoyens.