À l’aube du XXIe siècle, la Chine a connu un essor économique sans précédent. Le système de Sécurité sociale a dû s’adapter pour répondre à l’exode massif de ruraux vers les grandes villes et au mouvement migratoire constant d’une importante partie de la population. D’importants efforts ont été fournis dans ce sens, mais les contraintes liées à la topographie de ce pays immense et le vieillissement de la population posent un problème de financement de la couverture maladie et des retraites. Mélanie Atindéhou-Laporte revient sur cette construction progressive de la protection chinoise et sur ses enjeux contemporains.
Depuis le début du XXIe siècle, le gouvernement chinois s’est efforcé de réformer l’accès à la sécurité sociale des citoyens chinois. L’universalisation des assurances maladie et vieillesse pallie les enjeux démographiques, géographiques, juridiques, économiques, et sociaux. La mise en place de réformes progressives permettra à la Chine d’atteindre à l’avenir un niveau de couverture similaire à celui défini par la Convention n°102 de l’Organisation internationale du Travail de 1952 et la Recommandation n°202 de 2012.
La sécurité sociale chinoise au début du XXIe siècle
- Les prémices de l’universalisation de 2001 à 2009
Suite aux politiques d’ouvertures, la Chine connait un essor économique sans précédent. En 2001, elle entre à l’Organisation mondiale du Commerce, et devient un acteur économique incontournable sur la scène internationale. Pour satisfaire, ce nouveau besoin de production, la main-d’œuvre rurale excédentaire se déplace vers les villes pour travailler.
Traditionnellement, les citoyens ruraux n’ont pas de sécurité sociale institutionnelle. Seule la solidarité familiale pallie les risques. Le système du hùkǒu[1], mis en place pendant l’économie planifiée, permet de maintenir une distinction entre la population rurale et la population urbaine. Lorsque les migrants ruraux se déplaçaient vers les villes, ils ne pouvaient pas accéder à la sécurité sociale urbaine ; alors que les travailleurs urbains bénéficient de la couverture historique des assurances sociales de la dānwèi, l’entreprise d’État. Entre 1997 et 2009, l’essor économique et la forte migration vers les villes a incité le gouvernement chinois à d’abord introduire une assistance sociale[2] vieillesse pour les résidents ruraux[3], puis pour les résidents urbains[4].
L’année 2009 symbolise l’engagement du gouvernement central à universaliser les assistances sociales vieillesse et maladie pour les résidents des deux zones[5], d’ici 2020.
- Le renforcement du droit fondamental de 2010 à 2018
La Chine a renforcé son dispositif juridique pour améliorer l’accès au droit fondamental de la sécurité sociale des citoyens chinois, contenu à l’article 45 de la Constitution[6]. La première loi autonome de la sécurité sociale adoptée le 28 octobre 2010 est entrée en vigueur le 1er juillet 2011. La couverture sociale des travailleurs migrants et étrangers est devenue obligatoire au sein du régime urbain des assurances dites du travail[7].
Sept ans après l’adoption de la loi de 2011, l’assujettissement aux assurances dites du travail et à l’assistance sociale des résidents dans les deux zones s’est globalement amélioré. Néanmoins, en zone urbaine, la couverture sociale des travailleurs à temps partiel, et des travailleurs indépendants repose toujours sur un assujettissement volontaire. Et les travailleurs ruraux n’ont toujours pas de régime d’assurance dite du travail similaire à celui des travailleurs urbains. En effet, les risques maladie et vieillesse relèvent encore d’un régime d’assistance.
En 2016, la Chine a reçu le prix de la meilleure réalisation en sécurité sociale de la part de l’Association Internationale de la Sécurité sociale[8]. Elle a entrepris d’importantes réformes législatives pour universaliser l’assurance maladie à « 1,374 milliard de citoyens »[9].
Dans cette continuité, le nouveau plan quinquennal pour la réforme médicale 2016-2020 prévoit une « augmentation des subventions du gouvernement de 30 RMB, en 2017, à 450 RMB[10] par personne chaque année »[11].
Les principaux enjeux de la sécurité sociale chinoise
La première contrainte de la République Populaire de Chine est de mettre en place une couverture sociale « similaire » et adaptée à un territoire de 9 597 000 km². Pour ce faire, le gouvernement chinois doit modifier son système juridique pour répondre à la diversité et à l’immensité de son territoire. En effet, si le système de sécurité sociale est adopté à l’échelon national, les provinces et les échelons plus petits conservent une marge de manœuvre pour moduler leur réglementation à leur contrainte économique et sociale locale.
La Chine est sujette à une importante migration interne. Selon le bureau national des statistiques, la population flottante représentait « 245 millions de citoyens » en 2016[12]. Toutefois, la loi nationale des assurances sociales de 2011 définit uniquement les risques devant être couverts par les régimes de sécurité sociale. Il n’y a pas de portabilité des droits à la sécurité sociale, entre les provinces. Par exemple, un travailleur de Pékin est muté par son entreprise à Hangzhou, dans la province du Zhejiang. Ce dernier devra cotiser à nouveau dans cette ville pour bénéficier de nouveau droit à la sécurité sociale de la ville de Hangzhou. Il ne pourra pas prétendre au bénéfice des droits précédemment acquis dans la précédente Municipalité de Pékin. Le principe de territorialité de la sécurité sociale reste donc limité à l’échelon le plus petit. Le champ d’application de la couverture sociale reste restreint pour les citoyens mobiles. En cas de survenance d’un risque, ces derniers se reposent sur la solidarité familiale.
La solidarité est répartie entre le bureau de la sécurité sociale à l’échelon le plus petit et la famille. Le principal enjeu du gouvernement central est de faire évoluer le modèle social actuel vers une sécurité sociale institutionnelle et provinciale à court terme, et nationale à long terme. Mais il se heurte à la multiplicité des organismes ayant des règles spécifiques et à la volonté des acteurs locaux de ne pas perdre une partie de leur pouvoir.
L’urbanisation et le maintien de la politique de l’enfant unique ont fait évoluer la cellule familiale traditionnelle. Selon les démographes, la famille chinoise est représentée par un modèle « 4-2-1 ». L’assouplissement de la politique de l’enfant unique de 2014 est une réforme positive au regard de la pression démographique. Elle n’apparait cependant pas suffisante au regard du vieillissement rapide de la population.
Le 3 janvier 2018, l’Académie chinoise des Sciences sociales a publié un « rapport sur les fonds d’assurance vieillesse et de retraite 2018-2022 », « où elle s’inquiétait de la soutenabilité financière des fonds ». Selon ce rapport, « en 2018, cinq personnes actives en zone urbaine soutiennent un inactif-retraité, en 2022, ce ratio sera de quatre personnes actives urbaines pour un inactif-retraité ; à l’échelle nationale ce ratio est de deux personnes actives pour un inactif en 2018, contre moins de deux cotisants pour un inactif-retraité en 2022 »[13]. S’ajoutent à cette problématique, les difficultés rencontrées par les jeunes diplômés pour intégrer le marché du travail, et devenir eux-mêmes des actifs.
Selon ce même rapport, « au regard des dépenses actuelles, 13 à 14 provinces excéderont leurs revenus sur la période de référence. Ces difficultés financières résulteraient de l’accélération du vieillissement de la population, du ralentissement de l’économie, des “réformes structurelles du côté de l’offre” et du faible taux d’actifs urbains cotisant (20 %). Le rapport souligne les importantes disparités financières entre les régions »[14].
Le système de sécurité sociale doit également s’adapter à un développement économique inégal, où les régions de l’Est sont plus développées que les régions du centre et de l’Ouest. Le Secrétaire général Xi Jinping a lancé la conquête de l’ouest, en réhabilitant la « Route de la soie »[15].
Les futures réformes de la sécurité sociale chinoise
En raison de la pression démographique, la réforme de l’allongement de la durée de cotisation[16] à l’assurance vieillesse apparait dorénavant inévitable, même si la population y reste fortement opposée.
L’universalisation de l’assurance maladie se fait également à travers la généralisation des couvertures santé complémentaires. Depuis 2015, un projet pilote du Ministère des Finances et la Commission de Régulation des Assurances en Chine a été lancé pour généraliser la couverture santé complémentaire, à titre individuel. Le souscripteur peut « bénéficier d’une réduction fiscale annuelle à hauteur de 2 400 RMB »[17].
Afin de maintenir un certain développement économique et de permettre aux employeurs de réduire leurs cotisations sociales, le Premier ministre Li Kejiang avait annoncé une réduction des cotisations patronales[18]. Les dispositions dérogatoires réduisant les taux de cotisations patronales[19] au sein des Municipalités de Pékin[20], Shanghai, Tianjin et les Provinces du Guangdong et du Zhejiang devraient s’achever au cours de l’année 2018.
En conclusion, face aux enjeux économiques, sociaux du XXIe siècle, la sécurité sociale reste un important moyen pour maintenir l’harmonie sociale et atteindre le rêve chinois.