Billet du 21 mai 2025
Il y a des mots qui, non seulement possèdent une définition dans les dictionnaires usuels, mais qui sont de plus définis par le droit, national ou international. Dans ce dernier cas, on trouve des mots comme « prisonnier de guerre », « crimes de guerre » ou « génocide ».
Commençons par rappeler la définition du génocide donnée par l’ONU, tout nouvellement créée, dans sa Convention du 9 décembre 1948. Cette Convention encadre « la prévention et la répression du crime de génocide ».
En 1944, le juriste Raphael Lemkin créa le terme « génocide » en s’inspirant du mot grec genos, qui désigne une tribu ou une « race » et du mot cide, dérivé du latin, qui signifie tuer. Lemkin participa à une séance de ratification de la Convention sur le génocide, en octobre 1950.

Elle entra en vigueur le 12 janvier 1951. Voici des extraits des XVIII articles de cette Convention :
Article II
Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe ;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
Article III
Seront punis les actes suivants :
a) Le génocide ;
b) L’entente en vue de commettre le génocide ;
c) L’incitation directe et publique à commettre le génocide ;
d) La tentative de génocide ;
e) La complicité dans le génocide.
Article IV
Les personnes ayant commis le génocide ou l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III seront punies, qu’elles soient des gouvernants, des fonctionnaires ou des particuliers.
Je suis à peu près contemporaine de la naissance de l’ONU, de cette Convention et de la création de l’État d’Israël en 1948. J’ai donc pu suivre les guerres successives qui firent suite à ces événements, voir tous les premiers ministres israéliens, partager toutes les espérances de paix, comme les accords d’Oslo en 1993 entre Yasser Arafat dirigeant de l’OLP et Yitzhak Rabin premier ministre.

Espérance vite déçue par l’assassinat deux ans plus tard de Y. Rabin par un militant d’extrême droite. Le conflit israélo-palestinien n’est pas de l’histoire pour moi, je pense avoir beaucoup lu à ce propos, milité pour une paix juste et durable et… je ne comprends pas.
Je ne comprends pas
Je ne comprends pas le soutien, parfois même inconditionnel (comme celui de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet en 2023), des pays occidentaux ainsi que ceux du monde arabe à la politique menée par Israël à Gaza comme en Cisjordanie depuis le 7 octobre 2023. Qu’après la sidération suivant les attentats terroristes du 7 octobre par le Hamas, ces États aient tardé à comprendre ce que le gouvernement de Netanyahou mettait en place à Gaza, je peux à la rigueur l’admettre. Mais désormais des déluges de bombes se sont abattus sur ce petit territoire. Toutes les infrastructures sont dévastées (dont les usines qui dessalaient l’eau de mer et permettaient un accès à l’eau potable), tous les hôpitaux sont rasés, toutes les écoles ont été détruites. Les journalistes étrangers ne peuvent pénétrer à Gaza et informer le monde ; l’armée israélienne a assassiné près de 200 journalistes palestiniens (article II, a, de la Convention).
La civilisation brillante et plurimillénaire de tout un peuple est menacée. Depuis l’âge du Bronze, Gaza fut une ville-port et un oasis au carrefour de multiples routes venant de Perse, d’Egypte et des deux rives de la Méditerrané. Des fouilles archéologiques ont exhumé des objets datant de l’Age de Fer, comme cette figurine en terre cuite (800 à 601 avant JC) :

Ou encore cette statue en marbre de la période hellénistique ou romaine :

Au 25 mars 2025, l’Unesco observe, en se basant sur des images satellitaires, des dommages sur 94 sites cultuels gaziotes : 12 sites religieux, 61 bâtiments d’intérêt historique et/ ou artistiques, 7 sites archéologiques, 6 monuments et 3 dépôts de biens culturels mobiliers et 1 musée (voir l’exposition à l’Institut du Monde arabe, « Trésors sauvés de Gaza. 5000 ans d’histoire ».
Un cimetière à ciel ouvert
Avant le 7 octobre, Gaza était une prison à ciel ouvert, c’est désormais un cimetière à ciel ouvert. À ce jour, il y a au moins 53 000 morts (2 à 3 fois plus selon certains observateurs) dont de très nombreux enfants, et un nombre indéterminé de blessés. Rapporté à la population de Gazaouis de 2,1 millions, cela correspondrait à près de 3 millions de morts en France. Qui refuserait alors de parler de génocide ?
Conférence de Rony Brauman organisée par l’Association France Palestine Solidarité 21, à Dijon le 16 mai 2025.
Depuis le 2 mars 2025 et le blocus total de Gaza où aucun camion humanitaire ne peut approvisionner les Gazaouis en eau, médicaments et vivres, c’est une politique systématique pour affamer et tuer ce peuple qui est menée (Article II, b, c de la Convention). Et ce ne sont pas les quelques camions que l’État israélien laisse entrer depuis quelques jours qui changeront la situation de la population.
« Gaza : Netanyahu sans limites ? », Reportage de l’émission C dans l’air, France Télévisions, le 20.05.2025.
Le 24 mars, l’État d’Israël a mis en place une agence spéciale baptisée « Autorité d’émigration » au sein du ministère de la Défense. Cet organisme mènerait une « opération logistique de grande envergure » visant à relocaliser les Gazaouis et à leur trouver des pays de destination (Article II c de la Convention). Il s’agit d’expulser de Gaza les Palestiniens, sans doute pour réaliser le rêve de D. Trump d’une Côte d’azur de la Méditerranée, et de parachever le nettoyage ethnique qui, d’un certain point de vue, avait commencé en mai 1948 avec l’expulsion de centaines de milliers de Palestiniens de leurs terres, la Nakba[1].
Je ne comprends pas que la qualification de « génocide », pourtant clairement défini par l’ONU dès 1948, ne soit pas appliquée par nos gouvernements à la politique israélienne et à son premier ministre.
Je ne comprends pas qu’elle puisse être encore discutée et refusée, autorisant récemment le président Macron à parler « d’une honte » et des dirigeants européens « d’une situation scandaleuse ». Ces qualifications sont à la fois faibles et proprement abjectes. Affamer un peuple, laisser mourir des blessés faute de soin, ce n’est pas « un scandale ou une honte ». Ce sont des crimes contre un peuple et contre une civilisation. C’est un génocide.