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L’agroécologie pour une alimentation saine et une agriculture durable

L’agroécologie pour une alimentation saine et une agriculture durableTemps de lecture : 8 minutes

La pandémie de Covid-19 nous confirme l’urgence de sortir d’une agriculture industrielle destructrice et d’un système commercial mondial libéralisé qui maintient une concurrence déloyale et dévastatrice entre les agricultures et entre les paysans. Comme le montre Marc Dufumier, l’agroécologie constitue une alternative en plein essor qui nécessite un changement des politiques agricoles nationale et européenne pour qu’advienne un nouveau système alimentaire socialement juste, écologiquement et humainement durable.

La crise sanitaire de la Covid-19 et le confinement qui en a résulté semblent avoir sensiblement remis en question notre façon de manger, avec une consommation accrue de produits labellisés bio et un recours à des circuits plus courts pour nos achats alimentaires. Nous avons eu la chance que cette crise soit intervenue à un moment où les stocks mondiaux de céréales et de légumes secs étaient élevés et, la spéculation étant restée modérée sur les marchés à terme, nous n’avons pas eu à trop subir de fortes et brutales hausses des prix. Mais la question n’en reste pas moins de savoir s’il ne nous faudrait pas désormais reconquérir une plus grande souveraineté pour les produits agricoles et alimentaires dont nous sommes devenus très fortement déficitaires : fruits, légumes, miel, protéagineux, etc.

En finir avec une agriculture industrielle destructrice

La propagation du virus nous a rappelé par ailleurs le danger que présente l’extension des activités humaines aux dépens des dernières forêts primaires. La rencontre des humains avec la chauve-souris et le pangolin, à l’origine de l’épidémie actuelle, résulte en effet de la réduction de leurs habitats naturels. Cette crise ne fait que confirmer l’urgence qu’il y a de mettre fin aux achats de denrées dont la production exigent de procéder à d’importantes déforestations, à l’image de nos poulets bas de gamme alimentés avec du soja brésilien produit au sein d’immenses domaines conquis aux dépens de la forêt amazonienne.

Notre agriculture industrielle est, à juste titre, de plus en plus dénoncée du fait de ses conséquences économiques, sociales, écologiques et sanitaires : ses coûts en énergie fossile et en intrants importés, le faible revenus de très nombreux agriculteurs, un taux de suicide élevé dans nos campagnes, la prolifération d’algues vertes sur le littoral, l’effondrement des nappes d’eau souterraines, la surmortalité des abeilles et autres insectes pollinisateurs, l’érosion et le lessivage des sols, les émissions de gaz à effet de serre, la présence de salmonelle dans le lait, d’antibiotiques dans la viande et de résidus pesticides dans les fruits et légumes, etc. La liste de ses méfaits est bien longue et il devient donc urgent de promouvoir désormais des systèmes de production agricole alternatifs capables tout à la fois d’assurer une rémunération décente aux paysans, une alimentation saine pour les consommateurs et une agriculture plus durable, sans pollution majeure de notre environnement et sans préjudice pour les générations futures.

Soumis à une concurrence de plus en plus féroce sur les marchés nationaux et internationaux, nos agriculteurs ont été contraints à des choix individuels qui sont allés à l’encontre des intérêts du plus grand nombre d’entre eux et de ceux des consommateurs. Certes, de plus en plus mécanisée, motorisée, robotisée et “chimisée”, notre agriculture industrielle s’est très vite avérée capable de produire massivement à de toujours moindres coûts monétaires. Tant et si bien que la part de l’alimentation dans le budget des ménages est passée en moyenne de 30 à 14% entre 1950 et aujourd’hui. Mais les « coûts cachés » de cette agriculture se retrouvent dans les impôts à payer pour retirer les algues vertes de nos plages, le prix à payer pour boire une eau du robinet épurée de produits pesticides, les cotisations de sécurité sociale pour nous guérir des cancers et autres maladies qui résultent de l’exposition aux pesticides.

Les impasses du commerce agricole mondial libéralisé

Déficitaire au lendemain de la deuxième guerre mondiale, notre balance commerciale agricole présente de nos jours un excédent qui paraît plus qu’honorable (de 9 à 10 milliards d’euros par an en moyenne). Mais il n’en reste pas moins vrai que la France des mille et un terroirs dont la surface moyenne des exploitations reste encore bien inférieure à 100 hectares ne bénéficient plus d’aucun avantage comparatif pour espérer pouvoir rester compétitive en fournissant toujours davantage de produits standard au moyen d’une agriculture industrielle fondée sur des systèmes de culture ou d’élevage spécialisés produisant à grande échelle. Comment nos poulets et porcs élevés en espaces confinés et nourris avec du maïs et du soja brésilien pourraient-ils devenir compétitifs avec des volailles et cochons produits à bien plus grande échelle au Brésil, avec une main-d’œuvre bien moins rémunérée ? Quel avenir pourrait avoir notre poudre de lait destinée à l’exportation vers la Chine en concurrence avec les très grands domaines laitiers de Nouvelle Zélande où du fait de moindres contraintes climatiques, il n’est pas besoin d’investir grandement dans la production de foin et d’ensilage ?

Comment nos blés à 90 quintaux à l’hectare destinés à être exportés vers l’Algérie et l’Egypte, pauvres en protéines mais coûteux en engrais de synthèse et produits pesticides, pourraient-ils encore rivaliser avec des blés produits à très grande échelle aux USA, en Ukraine ou en Roumanie ? Et qui pourrait croire que pour produire de l’éthanol, notre betterave moins performante que la canne à sucre pour la photosynthèse et cultivée sous les nuages au sein d’exploitations de quelques centaines d’hectares, pourrait concourir sans dommage avec la canne à sucre des immenses domaines brésiliens dont la surface est de plusieurs dizaines de milliers d’hectares ? Quant aux protéagineux pour lesquels on n’a jamais établi de protection aux frontières, il nous est impossible d’être compétitif avec les farines et tourteaux de soja transgénique importé des États-Unis, du Brésil ou d’Argentine, et nous en sommes déjà devenus très dépendants pour l’alimentation de nos animaux d’élevage.

L’avenir s’incarne dans des systèmes de culture et d’élevage inspirés de l’agroécologie

Fort heureusement, il existe d’ores et déjà des systèmes de culture et d’élevage inspirés de l’agroécologie capables de faire un usage intensif de nos ressources naturelles renouvelables ou pléthoriques (énergie solaire, carbone du gaz carbonique de l’atmosphère, azote de l’air, eaux pluviales, éléments minéraux issus de l’altération des roches mères en sous-sol, etc.) tout en ayant très peu recours aux ressources épuisables (énergies fossiles, phosphates, etc.) et aux intrants toxiques. Ils visent à maintenir une couverture végétale des terrains la plus étendue et la plus prolongée possible, de façon à intercepter au mieux l’énergie solaire pour les besoins de la photosynthèse. Ils associent aussi étroitement agriculture et élevage de façon à valoriser en circuit court les résidus de culture pour l’alimentation animale et à recycler au mieux les déjections animales pour la fabrication de fumiers ou de composts destinés à la fertilisation organique des sols.

L’intégration de plantes de l’ordre des légumineuses (trèfle, luzerne, lupin, féverole, pois, lentilles, etc.) dans les rotations et les associations de cultures permet d’utiliser au mieux l’azote de l’air pour la fertilisation des sols et la synthèse des protéines sans recours aux engrais azotés de synthèse, coûteux en énergie fossile. L’implantation d’arbres au milieu des champs ou de haies vives à leurs pourtours contribue à protéger les cultures des grands vents et à héberger de nombreux insectes pollinisateurs ou parasites de ravageurs. Grâce à leur enracinement profond, ces mêmes arbres et arbustes parviennent aussi à prélever les éléments minéraux libérés en profondeur lors de l’altération des roches mères et à les restituer à la surface des sols lors de la chute des feuilles mortes. Le recours à des microorganismes utiles tels que des bactéries fixatrices d’azote ou des spores et mycélium de champignons mycorhiziens permet de fertiliser les sols par la voie biologique en substitution à l’emploi de coûteux engrais de synthèse. L’association de plusieurs espèces et variétés différentes au sein des parcelles cultivées multiplie les obstacles naturels à la prolifération des prédateurs et des agents pathogènes nuisibles aux plantes cultivées et évite ainsi l’application de produits pesticides.

Des formes d’agricultures paysannes créatrices d’emploi et rémunératrices

Ces formes d’agricultures paysannes, plus diversifiées et plus artisanales, sont aussi plus exigeantes en travail, donc plus intensives en emplois. Ce qui, bien sûr, en soi, est loin d’être un mal, mais suppose que les paysans soient correctement rémunérés pour ce faire. Il est vrai qu’un nombre croissant de consommateurs sont déjà disposés aujourd’hui à payer un plus cher des produits labellisés Bio et à rémunérer ainsi le supplément de travail, pour bénéficier d’une alimentation saine, en faisant confiance aux processus de labellisation et de certification. L’agriculture biologique qui relève très largement des principes de l’agroécologie parvient ainsi à trouver de nos jours des débouchés croissants. Mais il n’en reste pas moins vrai que les produits bio restent encore trop souvent inaccessibles à de très nombreux consommateurs au faible pouvoir d’achat.

Des politiques agricoles nationale et européenne au service d’une production agricole saine pour l’humain et l’environnement

On ne peut évidemment pas se résoudre à accepter la coexistence actuelle d’une agriculture biologique fournissant des produits sains et de terroirs aux gens les plus fortunés et d’une agriculture industrielle capable de fournir à vil prix des aliments bourrés de perturbateurs endocriniens et d’antibiotiques aux couches sociales les plus modestes. Il nous faut donc au plus vite modifier nos politiques agricoles nationale et européenne de façon à réguler davantage les conditions socio-économiques dans lesquelles opèrent les agriculteurs et les exposer à des modalités de commercialisation plus courtes et plus équitables, ne plus leur accorder d’”aides” proportionnelles à la surface et les rémunérer en échange de leurs services environnementaux, par des voies contractuelles. Séquestration de carbone dans l’humus des sols, mise en place d’infrastructures écologiques pour préserver la biodiversité, domestiques et sauvage, absence de pollution des eaux, de l’air et du sol, atténuation des émissions de gaz à effet de serre, préservation des potentialités productives des écosystèmes pour les générations futures, etc. Ce n’est qu’ainsi que pourront s’imposer progressivement les formes d’agriculture inspirées de l’agroécologie, avec des paysans fiers d’être rémunérés pour la mise en œuvre de systèmes de production agricole diversifiés, résilients, favorables à notre santé et protecteurs de notre environnement.

 

Pour aller plus loin

Pour citer cet article

Marc Dufumier, «L’agroécologie pour une alimentation saine et une agriculture durable», Silomag, n°12, décembre 2020. URL: https://silogora.org/l-agroecologie-pour-une-alimentation-saine-et-une-agriculture-durable/

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