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La fusion des instances représentatives du personnel: un projet rétrograde

La fusion des instances représentatives du personnel: un projet rétrogradeTemps de lecture : 10 minutes

La fusion des instances de représentation du personnel (IRP) prévue par les projets d’ordonnances Macron va écarter des acteurs essentiels à la défense des droits et des intérêts des salariés. Elle risque d’aboutir à la négation de la fonction représentative elle-même. Elle va conduire au développement d’une nouvelle forme de gouvernance qui est bien loin d’engager une véritable implication des salariés avec un réel partage du pouvoir. Décryptage.

Bien que moins médiatique que l’inversion de la hiérarchie des normes ou le plafonnement des indemnités prud’homales, la fusion des instances de représentation du personnel (IRP) constitue un volet important des projets d’ordonnances Macron. Cette évolution s’inscrit dans la lignée de la rénovation des IRP[1] déjà transformées par la loi Rebsamen[2]. Abandonnant la démarche visant à déterminer les périmètres des IRP en fonction de la finalité de l’organe à mettre en place, le gouvernement dans un objectif affiché de simplification souhaite l’unicité de représentation. Cette conception trouve son expression la plus aboutie dans la fusion des IRP au sein d’un comité social et économique (CSE) permettant ainsi la montée en puissance de la représentation unique du personnel.

Dans ce contexte, il nous apparaît judicieux de montrer comment on pourrait en venir à nier la fonction représentative elle-même en écartant de la scène des acteurs essentiels qui participent de la défense des droits et des intérêts des salariés. L’enjeu est de taille, car c’est de la régulation de l’ensemble des rapports sociaux au sein de l’entreprise dont il s’agit, c’est-à-dire, à y regarder attentivement, d’une nouvelle forme de gouvernance.

La montée en puissance de la représentation unique du personnel

Depuis le prototype de la délégation unique du personnel (DUP) en passant par ses versions revivifiées par la loi Rebsamen jusqu’à la consécration d’un Comité économique et social (CES), on observe une montée en puissance de l’idée d’une représentation unique du personnel.

La délégation unique du personnel (DUP) ou la diffusion revivifiée d’une représentation unique du personnel au sein des entreprises

Dès 1993, l’instauration de délégation unique du personnel (DUP)[3] prévoyait un cumul des mandats de délégués du personnel (DP) et des élus du comité d’entreprise (CE) dans les entreprises de moins de 200 salariés[4]. Plus récemment, la loi Rebsamen a profondément transformé la DUP en permettant à l’employeur de décider dans les entreprises de moins de 300 salariés que les délégués du personnel constituent également la délégation du personnel au CE et au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)[5] et ce, sans que chacune de ces trois institutions ne perde ses attributions propres[6].

Par ailleurs, la loi Rebsamen a prévu la possibilité, dans les entreprises d’au moins 300 salariés, de regrouper les DP, le CE et le CHSCT, ou seulement deux de ces institutions, en une instance commune. La fusion n’est donc pas obligatoire. Au contraire, l’instance unique doit être instaurée par un accord collectif majoritaire[7]. Mais la possibilité d’une fusion des instances avait déjà germé.

En marche forcée vers un CSE ou la confusion précipitée des IRP

Dans la feuille de route remise par le gouvernement d’Édouard Philippe aux organisations syndicales et patronales, il est proposé de « simplifier et renforcer le dialogue social » en remédiant au « morcellement de la représentation des salariés en quatre instances différentes dans l’entreprise ». Aussi un projet d’ordonnance[8] prévoit la mise en place impérative d’un Comité économique et social dans les entreprises d’au moins 11 salariés. Dans les entreprises de 11 à 49 salariés, le Comité exercerait les attributions qui sont actuellement celles des délégués du personnel (DP). Sur le périmètre du comité d’entreprise (CE), c’est-à-dire dans les entreprises d’au moins 50 salariés, il exercerait les attributions actuellement dévolues aux DP, au CE et au CHSCT dans une instance fusionnée dotée de la personnalité morale[9].

Cette volonté de rationaliser les instances est-elle exempte de toute critique ? Une réponse négative a été apportée par la doctrine[10]. L’extension obligatoire (donc systématique) du modèle de la DUP (fusion horizontale) à des entreprises de grande taille (plus de 300 salariés) ne permet pas de prendre en compte la complexité de telles entreprises qui connaissent parfois jusqu’à quatre niveaux hiérarchiques correspondant à quatre instances. Par le biais de cette extension, la simplification escomptée par le gouvernement ne devrait donc pas être obtenue. En effet, le rapport de Kévin Guillas Cavan fait ressortir que, dans ces entreprises la tendance à la centralisation des instances est déjà si patente que c’est davantage la question de la fusion (verticale) entre les Comités d’établissement au niveau du comité central d’entreprise (CCE) qui se pose avec acuité. Cela explique non seulement pourquoi les DUP version Rebsamen n’ont pas connu un grand développement, mais aussi en quoi la volonté de fusionner les différentes IRP ne répond pas aux besoins des entreprises.

Bien plus, « si les fusions n’ont pas déjà eu lieu, c’est que les différentes instances gardent une raison d’être »[11]. Les Comités d’établissement sont par exemple conservés pour recueillir des informations locales utiles qui doivent être remontées et pour gérer les activités sociales et culturelles. À l’inverse, la fusion des IRP risque, de par la centralisation réalisée, d’éloigner les membres de l’instance unique des salariés qu’ils représentent et de la réalité de leurs conditions de travail. Au regard même des ambitions gouvernementales, la fusion des IRP se révèlerait par conséquent contreproductive.

Concrètement, un nombre réduit de représentants du personnel se verrait confier un nombre accru de tâches. Il existe alors un risque de professionnalisation des membres du CSE qui, surchargés par leurs diverses fonctions, prendraient de la distance avec les salariés. Or, certaines fonctions de représentants du personnel (en particulier en CE ou en CHSCT) requièrent une grande proximité[12] et une parfaite connaissance des conditions de travail.

À cela s’ajoute un risque de confusion entre les différentes prérogatives du CSE[13]. Il existe ainsi un risque que les prérogatives des DP se voient sévèrement entamées[14]. De plus, la réduction du nombre des représentants entraîne nécessairement une perte de pertinence et affaiblit leur force de contrôle voire de proposition. La déspécialisation des représentants du personnel que sous-tend le projet de CSE menace donc toute forme d’opposition syndicale constructive.

Plus généralement, cette menace soulève la question de la formation des élus. Certes, la valorisation des parcours syndicaux ou d’élus présente un caractère attractif notamment parce qu’ils constituent une forme de reconnaissance des compétences acquises s’inscrivant dans la lutte contre la discrimination syndicale[15]. Il n’en reste pas moins qu’elle ne peut s’opérer au prix d’un éloignement des salariés. Car cette rançon présente le risque de remettre en question la fonction représentative elle-même. En effet, par une distanciation trop importante, les représentants du personnel ne seraient plus à même de porter au plus près la voix des salariés. En même temps, perdant en compétences du fait de la réduction de leur nombre, leur intervention n’en serait qu’affaiblie de sorte que la fonction représentative elle-même pourrait se voir discréditée et, vraisemblablement sanctionnée dans les urnes lors des élections professionnelles.

En tout état de cause, une fusion ne devrait pas être opérée sans augmenter les efforts de manière substantielle en matière de formation continue. Or, le patronat ne trouve dans la confusion des IRP relative au CSE qu’argument pour y faire quelque économie[16]. Son intérêt a été entendu : alors que la formation économique pouvait jusqu’à maintenant être renouvelée tous les quatre ans, elle n’est désormais prévue a priori qu’en un seul tir[17]. Et dans le même esprit comptable, la formation CHSCT devrait être prise en partie sur le budget de fonctionnement du CSE[18] puisque le CHSCT n’a pas de ressources propres[19]. On le voit, en dernière instance, nous sommes renvoyés à la question cruciale des moyens. Ici encore, l’enjeu est clairement assumé par le MEDEF tant le leitmotiv est scandé sans le moindre ornement : « moins de temps perdu, donc moins d’élus et moins d’heures de délégation au final, ce qui doit permettre plus d’efficacité dans les négociations »[20]. À en croire cette organisation patronale, il s’agirait donc de dégraisser les 600 000 représentants du personnel recensés par la DARES en 2011 pour un peu moins de 800 000 mandats de titulaires, donc de réduire drastiquement les crédits d’heure dont ils disposent pour mener à bien leurs missions. Mais, en définitive, l’équation n’est pas si simple : un dialogue de qualité ne s’obtient pas en faisant peser sur quelques têtes plus de fonctions quand bien même disposeraient-elles individuellement d’un peu plus d’heures de délégation…le décret précisant les nouveaux moyens des IRP n’est pas encore écrit[21].

La neutralisation des « fâcheux »

À travers la fusion des IRP, il est à craindre tant la neutralisation du CHSCT que la minoration du rôle du délégué syndical.

La neutralisation du CHSCT, ce « gêneur »

Le CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) a été créé en tant qu’institution représentative du personnel par la loi Auroux du 23 décembre 1982 qui a réuni dans une seule instance spécialisée, distincte du CE, le CHS et la commission d’amélioration des conditions de travail. La mise en place de l’institution était obligatoire dans tous les établissements d’au moins cinquante salariés. Cette fusion a établi à la fois l’autonomie du CHSCT par rapport au CE et a institutionnalisé formellement l’hygiène et la sécurité d’une part, et les conditions de travail, d’autre part.

À l’heure actuelle, la fusion prévue à travers la mise en place du CSE fait marche arrière à l’égard de l’autonomie conquise par le CHSCT. En effet, si le CSE conserve des prérogatives en matière d’hygiène, de sécurité et de conditions travail, une commission relative à ces matières ne sera obligatoire que dans les entreprises à risque (nucléaire, ou classées SEVESO) et pour toutes les autres, seulement à partir de 300 salariés[22].

Pourtant, si le CHSCT a pendant longtemps été considéré comme une instance représentative mineure par rapport au comité d’entreprise, il occupe aujourd’hui une place cruciale parmi les IRP qui va de pair avec l’importance grandissante donnée à la santé au travail. Or, la fusion du CHSCT avec les autres instances risque d’aller à l’encontre de la spécialisation et de la proximité[23] qui sont les siennes compte tenu des problématiques complexes qui lui sont dévolues.

La fusion envisagée conduirait les représentants du personnel à procéder à une hiérarchisation dans le traitement des sujets en établissant des priorités. Ainsi, il est permis de penser que les sujets relevant de sa compétence pourraient se voir relégués au second plan au profit des activités sociales et culturelles, qui ont plus la faveur des salariés, ou encore des questions économiques et sociales, qui sont généralement privilégiées lorsque l’entreprise connaît des difficultés économiques. À l’horizon de la fusion des IRP, c’est donc la dilution et la banalisation du CHSCT qui sont en jeu, ce qui pourrait conduire à des conséquences dramatiques dans des entreprises confrontées à des risques professionnels graves. Cette dilution nous paraît d’autant plus dangereuse qu’à travers l’instauration du CSE, la disparition du CHSCT conduirait de facto à lui faire perdre son droit propre à agir en justice[24] ou celui d’alerte ou encore celui de recourir à un expert[25]. En effet, l’exercice de ces droits dépendrait alors d’un vote majoritaire ne relevant plus seulement des membres spécialisés du CHSCT, mais de l’ensemble des membres de la nouvelle instance fusionnée. S’agissant des recours aux expertises décidés par le CSE, seuls ceux relatifs à la situation économique et financière, à la politique sociale de l’entreprise, en cas de grand licenciement économique collectif ou en cas de risque grave concernant la santé, la sécurité et les conditions de travail verront leurs frais pris intégralement en charge par l’employeur. Désormais, dans tous les autres cas, 20 % des frais seront imputés sur le budget de fonctionnement du CSE.

Bref, à travers la dilution des IRP ressort une neutralisation de l’action judiciaire propre du CHSCT et une asphyxie économique.

La minoration du rôle du délégué syndical par l’instauration d’un conseil d’entreprise

De façon générale, force est de constater que le projet d’ordonnance relative au renforcement de la négociation collective accentue les possibilités de négociation dans les entreprises dépourvues de délégué syndical en modifiant les règles de négociation (art. L 2232-21 et s.)[26].

De surcroît, un conseil d’entreprise[27], institué par accord d’entreprise majoritaire à durée indéterminée ou par accord de branche étendu[28] en lieu et place du CSE, serait désormais compétent pour négocier, conclure[29] et réviser les accords d’entreprise ou d’établissement à l’exception des accords qui sont soumis à des règles spécifiques de validité tels que les accords portant sur un Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ou sur les élections professionnelles[30]. Dès lors, les délégués syndicaux devraient subsister en cohabitation avec cette nouvelle instance. Cette orientation nous invite à penser qu’à travers le processus envisagé le rôle du délégué syndical serait, malgré son maintien, à son tour minoré au profit d’une volonté d’établir une co-construction dans la stratégie d’entreprise.

Relevons enfin que le projet d’ordonnance prévoit que la validité d’un accord d’entreprise ou d’établissement conclu par le conseil d’entreprise serait subordonnée à sa signature par la majorité des membres titulaires élus du conseil ou à la majorité des suffrages exprimés lors des élections professionnelles[31]. L’existence de ces deux modalités de validité pour les accords conclus par le conseil d’entreprise illustre à son tour la volonté de donner consistance à la conclusion d’accords par le conseil d’entreprise en retirant la part belle offerte jusqu’à maintenant aux organisations syndicales.

En conclusion, alors que le modèle d’information-consultation s’est érodé à travers  les dernières évolutions du droit du travail, ce projet semble faire un pas de plus vers une nouvelle gouvernance où les salariés seraient plus associés aux stratégies d’entreprise[32] et moins enclins à former, notamment par l’intermédiaire de leurs représentants, des contre-propositions en matière de gestion d’entreprise ou d’organisation du travail ainsi qu’à exercer leurs missions de contrôle sur ces sujets[33]. Toutefois, même cette association est bien loin d’engager une véritable implication des salariés avec un réel partage du pouvoir dont il nous appartient de penser l’appropriation[34].

 

[1]Jean-Yves Kerbourc’h, « La discrète, mais importante révolution des institutions représentatives du personnel après la loi du 17 août 2015 », La semaine juridique-Social n° 41, p. 1353

[2]Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, JO 18 août 2015.

[3]Loi quinquennale n° 93-1313 du 20 décembre 1993 relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle, JO 21 déc. 1993.

[4]La première diffusion d’une représentation unique du personnel a conduit, selon une enquête de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES-ministère du travail) de 2011, à ce que 60 % des entreprises entre 50 et 200 salariés ayant une instance élue mettent en place une DUP.

[5]Art. L. 2326-1 du Code du travail (CT).

[6] Il est à cet égard regrettable que le législateur n’ait pas privilégié la négociation collective dans tous les cas, car « imposer une DUP ne permet pas toujours de trouver un modèle adapté à l’entreprise concernée » (Franck Petit, « Une représentation du personnel à la carte », Droit social, 2016 p. 544).

[7]Art. L. 2391-1 CT.

[8]Projet d’ordonnance n° 2 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales

[9]Des rencontres bilatérales de concertation avec les organisations syndicales, le gouvernement a également évoqué une fusion, dans certains cas, avec les délégués syndicaux (DS) dans une « instance unique ». Le document de la Direction générale du travail (DGT) qui avait « fuité » dans la presse mentionnait que, par accord collectif, une entreprise pourrait décider de maintenir les quatre entités distinctes (CE, CHSCT, DP, DS) ou d’en fusionner tout ou partie et pourrait prévoir les droits et prérogatives de l’instance.

[10]Kévin Guillas Cavan, « Fusionner les instances représentatives du personnel : une fausse bonne idée ? », note de présentation sur le rapport réalisé par l’IRES en collaboration avec trois cabinets d’expertise (le Centre Études & Prospective du Groupe Alpha, Orseu et Syndex) pour la DARES, juill. 2017, p.2. Pour cet auteur« avant de rendre ce choix obligatoire, peut-être serait-il opportun d’évaluer la manière dont les IRP se structurent et comment la possibilité offerte par la loi Rebsamen de les regrouper a pu être exploitée » ; Voir également les propos du même auteur recueillis au sujet de cette note par le Fil AFP-Liaisons sociales in « Fusionner les IRP une fausse idée ? Réponses avec Kevin Guillas Cavan de l’IRES », Liaisons sociales Quotidien- L’actualité, n° 17392, 29 août 2017.

[11]Kévin Guillas Cavan, ibidem.

[12] En effet, aux termes du Code du travail, elles consistent non seulement  à « présenter aux employeurs toutes les réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaires, à l’application du Code du travail et des autres dispositions légales concernant la protection sociale, la santé et la sécurité, ainsi que des conventions et accords applicables dans l’entreprise », mais aussi à « saisir l’inspection du travail de toutes les plaintes et observations relatives à l’application des dispositions légales dont elle est chargée d’assurer le contrôle » (art. L. 2313-1 CT). Les délégués du personnel constituent l’institution représentative du personnel la plus ancienne. Elle n’en est pas pour autant obsolète. La désignation de délégués pour dialoguer avec l’employeur remonte en effet au XIXe siècle. Au cours de la Première Guerre mondiale, le ministre socialiste de l’armement Albert Thomas, qui devint premier président du Bureau international du travail, avait mis en place dans les entreprises de l’armement la fonction de délégué d’atelier. Cette institution a été étendue au niveau national par les accords de Matignon de juin 1936.

[13] Ainsi, le CHSCT exerce sa mission notamment en contribuant non seulement à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs, mais aussi à l’amélioration de leurs conditions de travail, ou encore en veillant aux prescriptions légales prises en ces matières (art. L. 4612-1 CT).

De son côté, le CE a « pour objet d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production » (art. L. 2323-1 CT, alinéa 1). Il émet des avis « sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle », lorsque ces questions ne font pas déjà l’objet des consultations annuelles obligatoires relatives aux orientations stratégiques de l’entreprise, à sa situation économique et financière et à sa politique sociale ou aux conditions de travail et à  l’emploi (art. L. 2323-1 CT, alinéa 2 et art. L. 2323-6 CT). Les comités d’entreprise ont été créés à la Libération par une ordonnance du 22 février 1945 qui leur confie, d’une part, des prérogatives d’information et de consultation et, d’autre part, la gestion des activités sociales et culturelles établies dans l’entreprise en faveur des salariés et de leur famille.

[13] Enfin, les délégués syndicaux sont des représentants du personnel désignés par un syndicat représentatif dans l’entreprise. Le délégué syndical porte auprès de l’employeur ses revendications et négocie les accords collectifs en particulier une fois par an sur les salaires, la durée et l’organisation du temps de travail. Si la liberté d’adhérer au syndicat de son choix est garantie depuis 1884, l’organisation du syndicat au niveau de l’entreprise n’est permise que depuis la loi du 27 décembre 1968, issue des accords de Grenelle de mai 1968. Le patronat, jusqu’alors opposé à cette mesure, a préféré à l’issue des événements de mai 1968 pouvoir s’entretenir avec des interlocuteurs organisés.

[14] Projet d’ordonnance n° 2 (p. 30). Dans les entreprises composées d’au moins deux établissements distincts, un CSE central d’entreprise et des CSE d’établissements devraient être crées (p.28). Un accord collectif déterminant le nombre et le périmètre des CSE d’établissements pourrait mettre en place des représentants de proximité et définir leur nombre, leurs attributions, leurs modalités de désignation et leurs modalités de fonctionnement notamment le nombre d’heures de délégation dont ils bénéficieraient. Les représentants de proximité seraient membres du CSE ou désignés par lui pour une durée qui prendrait fin avec celle du mandat des membres élus du comité (p. 30).

[15] Désormais, dans les entreprises de plus de 2000 salariés, un entretien professionnel devrait être réalisé au terme d’un mandat de représentant du personnel titulaire ou d’un mandat syndical. Cet entretien devrait permettre de recenser les compétences acquises au cours du mandat et de préciser les modalités de valorisation de l’expérience acquise. Toutefois, dans les autres entreprises, le recensement ne s’appliquerait qu’aux titulaires de mandat disposant d’heures de délégation représentant au moins 30 % de la durée de travail fixée par le contrat de travail ou, à défaut, de la durée applicable dans l’établissement – dispositions entrant en vigueur au 1er janvier 2020 et applicables seulement aux mandats prenant effet après le 31 décembre 2019. Par ailleurs, l’accord déterminant les conditions de mise à disposition de salariés auprès d’organisations syndicales ou patronales devrait prévoir des aménagements permettant à l’employeur de respecter son obligation de formation et d’adaptation du salarié à son poste de travail. En outre, dans les entreprises dont l’effectif reste à définir par décret, la rémunération et les cotisations et contributions sociales afférentes des salariés participant aux négociations seraient prises en charge par le fonds paritaire de financement des organisations syndicales et patronales. Enfin, le salarié bénéficiant du congé de formation économique, sociale et syndicale verrait sa rémunération totalement maintenue par l’employeur, ce dernier pouvant en faire déduction de sa contribution au financement des organisations syndicales et patronales. V. sur ce sujet « Reconnaissance des compétences liées au mandat : les pistes du rapport Simonpoli », Liaisons sociales Quotidien- L’actualité, n° 17381, 8 août 2017.

[16] V. Daniel Boulmier, « Mesures prioritaires pour endiguer la destruction programmée des institutions représentatives du personnel », Droit social, 2016 p. 528. L’auteur considère que cette vision comptable des IRP n’a cessé d’être celle du législateur qui, après les lois Auroux bénéfiques aux IRP, aurait recherché le moindre coût pour l’employeur au détriment de leur efficacité. Si le propos mériterait d’être nuancé, il est toutefois évident que cette vision comptable est bien celle du MEDEF qui trouve quelque écho dans les projets d’ordonnances.

[17] Projet d’ordonnance n° 2 (p. 54). Lors la négociation interprofessionnelle menée de septembre 2014 à janvier 2015 qui a échoué, le MEDEF réaffirmait le besoin de formation pour la compréhension des enjeux économiques et sociaux. Toutefois son projet n’augmentait déjà pas pour autant les droits à la formation, pas plus au demeurant qu’il n’élargissait la formation économique aux suppléants.

[18] Comme précédemment pour le comité d’entreprise, l’employeur devra verser au CSE une subvention de fonctionnement d’un montant annuel équivalent à 0,2 % de la masse salariale brute dans les entreprises de 50 à 2000 salariés. Il passe à 0,22 % pour les entreprises de plus de 2000 salariés (Projet d’ordonnance n° 2, p. 54).

[19] Lors de la négociation interprofessionnelle menée de septembre 2014 à janvier 2015, le MEDEF proposait déjà d’imputer les formations relatives au CHSCT sur le montant de la subvention de fonctionnement versé par l’employeur au comité d’entreprise qui est d’un montant annuel équivalent à 0,2 % de la masse salariale brute. Au reste, la loi « El Khomri » (L. 2016-1088 du 8 août 2016, art. 33, JO 9 août 2016) a modifié le Code du travail en prévoyant que « le comité d’entreprise peut décider, par une délibération, de consacrer une partie de son budget de fonctionnement au financement de la formation des délégués du personnel et des délégués syndicaux de l’entreprise » (art. L. 2325-43 CT, alinéa 3). Si certes cette disposition ne fait qu’entériner une pratique en vigueur dans les CE disposant d’un budget de fonctionnement conséquent, l’utilisation du 0,2 % au profit d’autres IRP est critiquable. En effet, la capacité d’intervention du CE pourrait se voir affaiblie. De surcroît, la mise en application de cette possibilité est susceptible d’augmenter les différences de moyens de formation entre petites et grandes entreprises. Une augmentation des contributions au fonds paritaire de financement du syndicalisme aurait permis de résorber ces différences. Sur ce sujet v. Daniel Boulmier, « La loi, elle rackette ! À propos des articles 17 et 18 du projet de loi “Travailˮ visant le budget de fonctionnement du comité d’entreprise », Droit ouvrier, pp. 249-255.

[20] Conférence de presse de Pierre Gattaz, président du MEDEF, du 4 juillet 2017.

[21] Le projet d’ordonnance n° 2 précise toutefois que le minimum d’heures de délégation par membre du CSE serait de dix dans les entreprises de moins de 50 salariés et de 16 dans les autres (p 42).

[22] Projet d’ordonnance n° 2 (p. 30). Toutefois, dans les entreprises de moins de 300 salariés, l’inspecteur du travail pourra également imposer la création d’une commission de santé, sécurité et conditions de travail lorsque cette mesure est nécessaire, notamment en raison de la nature, des activités, de l’agencement ou de l’équipement des locaux. Cette décision pourra être contestée devant le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

[23] Jean-Michel Dorlet, « Dialogue social : l’inutile spectre de la fusion », Les Cahiers sociaux, 1/09/2014, n° 266, p. 541. Dans cet article, l’auteur reconnaît que « la dévolution des missions principales du CHSCT à l’institution absorbante risque de relativiser celles-ci ». Il se rallie à la nécessité de distinguer le CHSCT du CE. Toutefois, dans une démarche très pragmatique, il souligne que «  sans fusion il est possible d’articuler les interventions des délégués du personnel et du CHSCT dans le cadre de réunions communes » en vue d’avoir des échanges constructifs. Cette approche nous semble judicieuse pour maintenir un lien de proximité. En revanche, nous ne souscrivons pas à sa vision du cadre de la négociation, inspirée du rapport Hadas-Lebel, qui a ses faveurs. V. note n° 28.

[24] Notons qu’en cas de DUP élargie au CHSCT, chaque instance conserve en principe sa personnalité juridique et, corrélativement, sa capacité à agir en justice. Il s’agit en effet moins d’une fusion des instances que d’une fusion des représentations dès lors que, conformément à l’article L. 2326-3 CT, les DP, le CE et le CHSCT conservent toutes leurs attributions (Maurice Cohen et Laurent Milet, Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 2016, n° 125, p. 129). En revanche, l’instance unique regroupant des IRP dans les entreprises d’au moins 300 salariés, instituée par voie d’accord collectif, et intégrant les compétences d’un CHSCT, est dotée de la capacité à agir en justice étant donné que la personnalité juridique lui a été reconnue par le législateur -art. L. 2323-1 CT, alinéa 2 ; au sein de l’instance, une commission d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut se voir confier des attributions reconnues au CHSCT qu’elle exerce pour le compte de l’instance, mais seule l’instance est investie de la qualité à agir (art. L. 2393-1 CT, 6°).

Le phénomène de dilution relatif à la personnalité juridique était donc déjà à l’œuvre dans l’instance unique créée par la loi Rebsamen. Du point de vue de la méthode, il est à cet égard également considéré que le gouvernement aurait gagné à prendre la mesure de tous les effets de cette dilution avant d’envisager sérieusement d’en étendre le modèle à travers le CSE. Ainsi, même les auteurs qui pensent que l’éclatement des IRP peut compromettre leur efficacité font preuve de plus de précautions. Par exemple, dans son rapport remis au ministre du Travail sur le fonctionnement des CHSCT en 2014, le professeur Verkindt reste prudent en proposant « d’autoriser et [de] faciliter la négociation dans les établissements et entreprises d’au moins cinquante salariés d’expérimentations tendant à la fusion dans une même instance du CHSCT et des délégués du personnel » (Pierre-Yves Verkindt, Les CHSCT au milieu du gué. Trente-trois propositions en faveur d’une instance de représentation du personnel dédiée à la protection de la santé au travail, 28 février 2014, prop. 4, p. 56).

[25] Les frais d’expertise constituent un enjeu important source de conflits. La Cour de cassation a longtemps considéré que si la délibération entraînant recours à l’expertise était annulée, l’employeur restait tenu au paiement des frais d’expertise (Soc. 15/5/2013, n° 11-24.218). Suite à la décision de Conseil constitutionnel du 27 décembre 2015 (Cons. Const., n° 2015-500 QPC- DC, Société Foot Locker France SAS), le législateur est intervenu pour clarifier les recours en matière d’expertise CHSCT (art. 31 de la loi « El Khomri »). Si les frais sont toujours à la charge de l’employeur, ce dernier dispose toutefois de voies de recours pour contester non seulement le coût final de l’expertise (art. L. 4614-13-1 CT), mais aussi sa nécessité, la désignation de l’expert tel qu’il ressort, le cas échéant, du devis, l’étendue ou le délai de l’expertise. En tout état de cause, le CE peut décider de prendre en charge les frais d’expertise. Si la juridiction annule la délibération ayant conduit à l’expertise, « les sommes perçues par l’expert sont remboursées par ce dernier à l’employeur ».

[26] Projet d’ordonnance n° 1 relative au renforcement de la négociation collective, pp. 17-21.

[27]Lors des rencontres bilatérales de concertation avec les organisations syndicales, le gouvernement envisageait dans les entreprises de plus 300 salariés de regrouper les DP, les élus du CE, les élus du CHSCT et les délégués syndicaux dans une « instance unique » qui aurait été dotée d’une capacité de négociation. Le gouvernement a également évoqué la possibilité d’intégrer les délégués syndicaux au sein de l’instance fusionnée pour les entreprises de 50 à 300 salariés. L’empreinte du rapport « de Virville » semble ici particulièrement marquée. En effet, ce dernier prônait la création, dans les entreprises de moins de 250 salariés, d’un conseil d’entreprise, exerçant des fonctions de représentation et de négociation en affirmant qu’une telle institution serait un vecteur de développement de la représentation collective et de la négociation collective dans des structures encore trop nombreuses à être dépourvues d’institutions représentatives (Michel de Virville, Pour un code du travail plus efficace : rapport au ministre des affaires sociales, du travail, et de la solidarité, Documentation française, janvier 2004, pp. 42-45, prop. 24, p. 45).

[28] À notre avis, l’instauration de ce conseil par un accord majoritaire ou un accord de branche étendu vise à faire obstacle aux arguments cherchant à montrer que cette nouvelle institution s’inscrirait en contrariété à des droits constitutionnels en ayant pour objet et pour effet de faire obstacle à la participation à la négociation collective des organisations syndicales qui, sans avoir, certes, le monopole de la représentation des salariés en cette matière, n’en ont pas moins vocation naturelle à assurer la défense des droits et intérêts des travailleurs (Cons. Const., 6 nov. 1996,  n° 96-383  DC,  loi relative à l’information et à la consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d’entreprises de dimension communautaire, ainsi qu’au développement de la négociation collective ) ; Art. L. 2132-2 CT qui dispose que  « les organisations des salariés constitués en syndicats professionnels sont seules admises à négocier les conventions et accords collectifs de travail » ; Art. 4 Convention n° 98 OIT concernant l’application des principes du droit d’organisation et négociation collective.

Certains auteurs pensent pouvoir également surmonter cet argument en avançant que les délégués syndicaux n’en seraient pas moins désignés parmi les élus. Le rapport Hadas-Lebel va dans ce sens en proposant un mode d’association sans intégration qui consiste à reconnaître aux délégués syndicaux la qualité de membres de droit à l’instance investie du pouvoir de négociation, mais sans que celle-ci dispose du pouvoir de conclusions d’accords (Raphaël Hadas-Lebel, Représentativité et financement des organisations professionnelles et syndicales , rapport au Premier ministre, Documentation française, mai 2006, pp.106-109) . Pour M. Dorlet, « [l]a signature resterait un attribut syndical exercé par les chefs de file de délégations syndicales ayant temporairement rejoint tout ou partie de l’instance, pour la négociation. Le chef de file de la délégation serait le représentant syndical au comité d’entreprise ou à son instance de remplacement, avec attribution d’une voix délibérative en phase de négociation » (art. précité).

[29] L’accord instituant le conseil d’entreprise devrait établir la liste des thèmes pour lesquels les décisions de l’employeur exigeraient un avis conforme du conseil, l’égalité professionnelle et la formation devant nécessairement en faire partie.

[30] Projet d’ordonnance n° 2 (p. 69).

[31] Ibid. (p. 70).

[32] Il est à cet égard significatif que le rapport Simonpoli précité envisage de favoriser la formation des représentants et les formations communes direction/syndicats sur les enjeux économiques et sociaux, dans le cadre d’une instance unique du personnel et en cas de réduction importante des heures de délégation ou de mandatement ! Autant dire qu’il convient de partager la même vision de l’entreprise lorsque les moyens attribués aux représentants sont limités. Telle est la clé suggérée d’un dialogue efficace pour le gouvernement.

[33] Christophe Baumgarten, Guillaume Etiévant, Amine Ghenim, Laurent Milet, Fabrice Signoretto, « La fusion des instances signe la fin de la concertation dans les entreprises », Cercle Maurice Cohen, juill. 2017, 13 p. et Droit ouvrier, sept. 2017 n° 830, pp. 529-533.

[34] Pascal Lokiec, « Revoir l’exercice du pouvoir dans l’entreprise », Droit social, 2016 p. 502.

Pour citer cet article

Christian Galani, «La fusion des instances représentatives du personnel: un projet rétrograde», Silomag, n° 4, sept. 2017. URL: https://silogora.org/la-fusion-des-instances-representatives-du-personnel

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