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La surmédiatisation réactionnaire, ou la fabrique de l’air du temps

La surmédiatisation réactionnaire, ou la fabrique de l’air du tempsTemps de lecture : 6 minutes

L’émergence en France de médias acquis aux thèses ultraconservatrices transforme l’agenda médiatique en croisade pour conquérir l’hégémonie culturelle et idéologique.

Jamais l’enjeu médiatique n’est apparu aussi décisif dans les luttes politiques, syndicales et sociétales. Les médias ont considérablement changé et ils sont désormais majoritairement entre les mains des puissances d’argent qui s’en servent à des fins idéologiques et politiques. L’existence des services publics de l’audiovisuel et des médias indépendants est réellement en cause et appelle pour sa défense une mobilisation d’une ampleur inédite en termes institutionnels et culturels.

D’autant plus que la diffusion et la banalisation des mots, des idées, des actes, de la réécriture de l’histoire, portées par les extrêmes droites et les droites extrêmes ont pris ces dernières années l’allure d’une véritable conquête hégémonique.

Les réseaux sociaux et particulièrement la «fachosphère» sont habituellement désignés à l’origine de ce fait. Ils jouent un rôle important. Mais ils n’expliquent pas à eux seuls la présence massive de ces idées dans le débat public. Il faut compléter ce tableau par un phénomène nouveau en France, l’émergence d’un groupe de médias acquis à la cause des pensées réactionnaires, sous la férule d’oligarques industriels et financiers ultraconservateurs et parfois catholiques traditionalistes dont la figure de proue est Vincent Bolloré. Il est aujourd’hui à la tête d’un empire médiatique et éditorial gigantesque : le groupe Canal+, dont font partie Cnews véritable Fox News à la française et C8, chaîne populiste ; le Journal du dimanche, où il vient de nommer à sa tête un journaliste d’extrême droite ; Paris-Match, où il tente de faire la même chose ; Editis, un des plus importants groupe d’édition français, et Havas, géant mondial de la communication, ainsi que toute une série d’hebdomadaires people ou consacrés aux programmes télévisés.

Ses chaînes et ses journaux font quotidiennement la promotion des idéologies racistes et anti immigrés, sexistes et homophobes, hostiles aux grévistes et aux syndicats. Tout cela se fait à grand renfort de journalistes (Pascal Praud, Cyril Hanouna, Geoffroy Lejeune, Élisabeth Lévy…) et d’intellectuels (Michel Onfray, Renaud Camus, Alain Soral, Alain Finkielkraut, Michel Houellebecq…), militants de la cause réactionnaire.

 Les thèmes favoris de l’extrême droite, l’islam, l’immigration, la sécurité, sont régulièrement surexposées dans l’agenda médiatique

Pauline Perrenot, d’ACRIMED et de l’Observatoire des médias, nous livre la clé de compréhension d’un phénomène qui ne se résume pas à l’empire Bolloré : «Les préoccupations historiques de l’extrême droite, l’islam, l’immigration, la sécurité, sont très largement et régulièrement surexposées dans l’agenda médiatique»[1]. Les directions des rédactions, ajoute-t-elle, ont «renoncé à déconstruire les discours issus de l’extrême droite», soit parce qu’elles sont en phase avec ces idées et les forces politiques qui les portent, c’est le cas des médias de l’empire Bolloré et d’autres que l’on a l’habitude de qualifier de médias mainstream. Soit quand il s’agit du service public, où souvent les rédactions sont paralysées par la recherche de l’audimat et veulent être en phase avec ce qu’elles pensent être l’air du temps ; ou bien encore parce qu’elles subissent les pressions politiques exercées par le pouvoir qui a intérêt à visibiliser l’extrême droite pour en faire son adversaire unique. Enfin, le phénomène résulte aussi de la paresse intellectuelle de beaucoup trop de jeunes journalistes qu’on a habitués lors de leur formation à ne s’intéresser qu’aux petites phrases et aux scoops, au détriment d’une investigation sérieuse sur les sujets traités.

C’est ainsi que l’on avale sans vérifier les fakes news qui font de l’immigration un enjeu central au coût exorbitant, qui menacerait la société française d’une «submersion» à un point tel que nous serions l’objet d’un «grand remplacement», voire d’un «francocide».

Tout cela ne repose sur aucune analyse sérieuse. Les chercheurs compétents ont beau s’époumoner à le démontrer, les grands médias ne leur donnent plus la parole. C’est comme ça que nous assistons, impuissants, à l’extrême droitisation du débat public, où des mensonges deviennent des évidences qu’il n’est plus possible de contester.

Ces discours sont fabriqués par des personnalités dont la visibilité médiatique leur donne quitus de la compétence, ou par des officines peu sérieuses, inconnues du grand public mais relayées par ces mêmes médias.

Ainsi, on ne compte plus les journalistes acquis à cette cause nauséabonde et, contrairement à ce que beaucoup pensent, ils ne travaillent pas tous pour le groupe Bolloré. S’ajoutent à eux des intellectuels qui prolongent la tradition de ceux qui ont soutenu, dans les années 1940, Pétain, l’Occupation et la collaboration. Ils ont participé hier violemment à l’antisémitisme ambiant comme, aujourd’hui leurs contemporains versent dans l’islamophobie.

Les oligarques industriels et financiers liés aux extrêmes droites ne se contentent pas du contrôle des médias, mais visent tout le champ culturel

Cela va bien au-delà de la sphère médiatique. Ainsi, dans le domaine de l’histoire, une entreprise d’évènementiels, Amaclio Productions, vient d’ouvrir sous l’Arche de la Défense à Paris une «Cité de l’histoire», qui la falsifie outrageusement. Elle est dirigée par un personnage, François Nicolas, connu pour ses liens étroits avec les formations ou les groupuscules d’extrême droite et pour sa haine du monde arabo-musulman. Il est aussi connu pour son anticommunisme et ses penchants pour les théories complotistes. Il n’hésite pas, dans une exposition, à présenter Adolf Hitler comme le sauveur d’une Allemagne menacée par le communisme, ou encore à accuser les Lumières d’être à l’origine de l’esclavage! Plus c’est gros… La Région Île-de-France est partenaire de cette «Cité de l’histoire». Espérons qu’elle n’y envoie pas des lycéens.

Je n’oublie pas bien sûr le «Plan Périclès» du milliardaire catholique identitaire Pierre-Édouard Stérin, dont l’objectif avoué est de soutenir activement l’arrivée du RN au pouvoir. Il finance à hauteur de 150 millions d’euros des initiatives sur le terrain destinés à investir les fêtes locales et traditionnelles qu’il veut regrouper sous un même label, «Les plus belles fêtes de France». Sa dernière déclaration est un appel à soutenir toutes les actions pour «avoir plus de bébés de souche européenne baptisés». Il veut lancer une grande campagne d’évangélisation destinées aux catholiques en rupture de ban mais aussi aux non catholiques.

Tout cela est relayé sur les réseaux sociaux par l’intermédiaire de fausses adresses, les «trolls», ou par des influenceurs d’extrême droite sur des chaînes YouTube. Pour autant, il ne s’agit pas seulement d’idées véhiculées par des individus isolés ou des officines marginales, cela permet à Éric Zemmour, mais aussi à beaucoup d’autres se réclamant de la droite d’affirmer dans les médias qu’en France désormais, vivent deux peuples dont l’un, «l’envahisseur musulman», veut remplacer l’autre, celui de «souche», l’indigène en quelque sorte.

Et Marine Le Pen dans tout cela? Comme le fait remarquer le sociologue Samuel Bouron : «Elle n’a pas à se salir les mains et, pendant ce temps, ce sont ses thématiques, ses concepts qui sont mis en avant». Elle attend tranquillement d’en recueillir les fruits électoraux.

Il ne suffit donc pas de décrire et de dénoncer cet air du temps. Encore faut-il en déconstruire les mots, les discours, les actes qui constituent la trame des arguments des extrêmes droites afin de mieux les combattre et les faire reculer dans les consciences individuelles et collectives de notre peuple.

Le combat contre cette surmédiatisation réactionnaire ne se résume donc pas une bataille institutionnelle. C’est aussi et peut être prioritairement une bataille culturelle.

[1] Florent Le Du, «Dans les médias, “les chefferies éditoriales ont renoncé à déconstruire le discours d’extrême droite”», Entretien avec Pauline Perrenot, L’humanité, 7 décembre 2023.

Pour citer cet article

Hayot Alain, «La surmédiatisation réactionnaire, ou la fabrique de l’air du temps», Silomag, n°20, novembre 2025. URL: https://silogora.org/la-surmediatisation-reactionnaire/

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